Suzanne Husky célèbre au Drawing Lab (Paris Ier) l’importance du castor, aménageur historique des rivières, des écosystèmes et des paysages. Un plaidoyer artistique pour sa réhabilitation urgente.
Quand les alertes émises par les scientifiques, la multiplication avérée des catastrophes ni les actions des militants ne suffisent plus, que reste-t-il pour éveiller les consciences aux périls environnementaux… si ce n’est l’art ? Comme un ultime recours, empruntant une voie sensible pour atteindre les esprits trop hermétiques aux faits ou à la raison. Une dernière chance de dessiller, en convoquant la beauté… tout en rappelant à quel point elle est éphémère et fragile.
Récipiendaire du 12e Prix Drawing Now, Suzanne Husky a donc opté pour cette stratégie opiniâtre, à l’occasion de son accrochage au Drawing Lab. Usant principalement de l’aquarelle — ô combien en adéquation avec les écosystèmes lotiques qui lui sont chers —, l’artiste en détourne l’apparente douceur, voire naïveté, pour en démontrer la polyvalence. La technique devient ainsi un merveilleux outil à même de représenter de manière unifiée des données chiffrées, des éléments cartographiques ou historiques, des scènes poétiques, humoristiques ou revendicatives. Un véhicule tout terrain (et amphibie) pour embarquer le visiteur.
Apologue de l’écologue
Le temps profond des rivières “expose” clairement les conséquences de deux éléments concomitants de l’anthropocène : la domestication forcée des cours d’eau et l’élimination des castors. En voulant canaliser les rivières, aménager des berges dégagées mais aussi supprimer les obstacles naturels (méandres etc.) ou barrages construits par ces rongeurs “ingénieurs” (refuges d’éco-diversité), l’Homme a en l’espace de deux cents ans modifié en profondeur la physionomie et la biocénose des paysages. Chamboulé le cycle local de l’eau en accélérant les processus d’évaporation et de ruissellement au détriment de la réabsorption par les nappes phréatiques. Une vidéo édifiante alterne des images de cours d’eau libres sinuant dans la verdure et de canaux bétonés “au cordeau“ : la vie d’un côté, son simulacre de l’autre.
Pendant des siècles pourtant, l’humanité avait non seulement toléré mais aussi compris l’utilité des régulations opérées par les castors sur les rivières : leurs ouvrages tempéraient les irrégularités de débit, permettaient à la faune de nicher. Suzanne Husky le raconte dans une longue frise chronologique aquarellée (8m) co-conçue avec le philosophe Baptiste Morizot. Placé en majesté dans l’exposition, ce magnum opus montre le destin funeste des castors. Divinisés par les civilisations antiques, inspirateurs d’une kyrielle de toponymes (la Motte-Beuvron, Bibracte, Bièvre…), puis chassés (pour leur fourrure ou leur fameux castoréum) ils furent quasiment éradiqués en Europe et en Amérique. Ailleurs, l’artiste revient sur les contes ou mythes ayant pour origine le valeureux rongeur et son interdépendance à l’eau. Les Anciens avait compris que sans l’existence de l’un, il n’y avait point de salut pour l’autre. Donc, pour nous.
Le temps du castor
Totem de l’œuvre de Suzanne Husky, le castor symbolise d’autant mieux la reconquête des rivières que des effets positifs consécutifs à sa réintroduction ont déjà été documentés. Loin d’être une lubie d’artiste hors-sol, Le temps profond des rivièress’avère une réponse concrète, optimiste, à des interrogations mortifères… et légitimes. Il faut le voir comme le volet polychrome de son engagement puisque, rappelons-le, la Franco-américaine avait co-fondé en 2016 un “Nouveau Ministère de l’Agriculture“… qui aurait bien du travail en ce moment.
Suzanne Husky : Le temps profond des rivières, jusqu’au 7 avril au Drawing Lab – 17 rue de Richelieu – 75001 Paris – www.drawinglabparis.com – 01 73 62 11 17 – Entrée libre.