Habitué aux distributions de prestige, le prolifique Ivan Calberac réunit dans “N’avoue jamais” un des couples les plus légendaires du cinéma français, Dussollier-Azéma, dans une comédie revisitant un thème cher au boulevard : l’adultère — ici découvert avec 40 ans de retard. Conversation joviale à l’occasion des Rencontres du Sud
Vous revenez au cinéma sans passer cette fois par la case théâtre…
Ivan Calberac : C’est vrai que là, je ne suis pas partie d’une pièce mais d’un fait divers. En Italie, un Sicilien de 92 ans qui avait découvert des lettres d’un amant de sa femme qui dataient de 70 ans, a décidé de demander le divorce. Il est devenu le plus vieux divorcé d’Italie. Ce fait divers nous a beaucoup amusés avec les producteurs : il racontait à la fois une blessure d’orgueil, mais aussi un homme très amoureux de sa femme.
On est parti de ça et je me suis mis à écrire le scénario. C’était juste un couple et j’ai eu envie d’en faire l’histoire d’une famille parce que je suis passionné par la transgénéalogie : ce qu’on hérite de ses parents, ce qu’on lègue à nos enfants… Je voulais l’histoire d’un homme qui va aller de catastrophe en catastrophe. Une mécanique comique, où son obstination à obtenir réparation va l’amener à des situations de pire en pire pour lui et presque à remettre malgré lui sa femme dans les bras de cet amant.
L’idée était de faire une pure comédie avec des acteurs hyper forts là-dedans. André Dussollier, Sabine Azéma et Thierry Lhermitte, c’est des machines de guerre en comédie ! On vit dans une époque assez anxiogène, on ne va pas se le cacher. J’avais envie de faire un film léger, où on oublie un peu tous nos soucis pendant une heure de demi. Quelque chose de ludique, parfois même burlesque — il y a des moments qui sont carrément de la comédie visuel, ce que je n’ai pas souvent fait. Une pure comédie, un pur moment de plaisir.
Est-ce pour cela que vous avez fait du personnage d’André Dussollier un général ?
Le fait qu’il soit général incarnait bien cette rigidité du personnage. Et ça crédibilisait le fait qu’il ne veuille pas lui pardonner. Avec un profil vraiment rigide, on a tout de suite les codes, on voit tout de suite à qui on a affaire. Et puis il va s’humaniser, cet homme. En même temps, il est très amoureux de sa femme, ce qui le rend aussi assez touchant. On a tous été blessés en amour, on a tous été jaloux. Ce film montre qu’à n’importe quel âge, on peut être jaloux, blessé, amoureux… Ces personnages ne sont plus tout jeunes, mais ils se comportent comme des adolescents. Je crois que dans les sentiments, on ne vieillit jamais vraiment.
Leurs enfants, eux-mêmes adultes, sont dépassés à l’idée que leurs parents puissent divorcer…
À n’importe quel âge, c’est toujours dur de voir ses parents se séparer. Surtout que pour eux, ils sont un modèle. Même pour les enfants qui ont les parents les plus rock’n’roll, finalement, ça reste un modèle pour eux, des fondations. Même à la quarantaine, c’est dur de voir ses parents divorcer. Il y a une scène que j’adore où l’une des filles parle de tous les problèmes du monde actuel, qu’elle relie de manière totalement inappropriée, mais en même temps touchante. Joséphine de Meaux — une actrice incroyable en comédie — est géniale dans cette scène. On l’avait beaucoup préparée, parce qu’elle doit monter en puissance.
Vous faites de ce général un mari absent par son métier, un père pas toujours très agréable avec ses enfants…
La comédie s’intéresse aux défauts de la nature humaine : plus les personnages ont des défauts, plus ils peuvent devenir comiques. Molière l’a montré par L’Avare : plus ils ont des défauts, plus ils vont être comiques, plus ils vont être intéressants aussi et plus on va s’identifier. Le personnage parfait, moi, ça ne me parle pas. Les défauts sont à la fois comique et sources de conflits. Ça crée sans arrêt de l’intrigue, du burlesque, de la répétition et la possibilité d’une évolution.
Vous avez pris goût aux “vieux couples de cinéma”. C’était déjà le cas avec La Dégustation…
Ah, ils étaient quand même moins vieux (rires)
Là, vous avez deux couples d’un coup : Dussollier et Azéma évidemment. Et puis Dussollier et Boujenah, d’une certaine manière…
Oui, c’est vrai. C’était les retrouvailles de Michel Boujenah et d’André Dussollier, qui n’avaient pas rejoué depuis Trois hommes et un couffin. Ils étaient hyper contents de se retrouver. Ils étaient restés amis, ils n’avaient jamais retravaillé ensemble. Sabine Azéma et André, c’est vraiment un couple mythique. C’est un bonheur de les réunir. Franchement, en comédie pure, ils sont incroyables !
Comment arrive-t-on, quand on est réalisateur, à leur faire dépasser des automatismes qu’ils peuvent avoir — si jamais ils en ont ?
Alors non, ils n’arrivent pas trop avec des automatismes. Ils arrivent vraiment à essayer de comprendre leurs personnages et de les servir au mieux. Et ils sont assez “souples” sur un plateau. Ils ont deux manières de travailler un peu différentes. André est quelqu’un qui a toujours envie de refaire une prise et envie d’améliorer ce qu’on a fait ; Sabine est une sorte d’instinctive incroyable. André aime bien se concentrer tout seul ; Sabine a plus besoin d’être entourée avant de tourner. Donc ils essaient de s’harmoniser. Mais une fois qu’ils sont partis…
Et Thierry Lhermitte, c’est une rencontre entre un personnage et un rôle. Ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu aussi touchant… Il est toujours aussi beau, il a un charme fou. Quand on découvre que l’amant de sa femme, c’est Thierry Lhermitte, on a un sérieux problème. (rires) En plus il est prof de karaté et super sympathique… J’ai essayé de choisir l’amant qui mettrait le plus en danger André Dussollier. C’est un vieux garçon, il n’a pas construit ; il est complètement en opposition avec le couple. Il symbolise potentiellement une sorte de fantôme pour cette femme qui a l’air un peu rangée, qui a vécu tout le temps avec son mari. Ce que je trouve très ironique, c’est qu’il se remet à la draguer. Il ne lâche pas l’affaire !
Comment est venue l’idée de faire de l’un des fils un marionnettiste ?
Elle est venue assez tôt. Je voulais vraiment que le personnage d’André ne comprenne pas bien son fils. Pour qu’il le prenne pour un guignol, la meilleure idée, c’est qu’il fasse des marionnettes (sourire) Je suis très sensible à cet art : je suis un grand fan du festival d’Avignon, j’y fais des pièces quasiment chaque année et je viens aussi y voir des pièces de marionnettes. Pour le film, j’ai choisi parmi 400 celle qui était plus en écho avec l’histoire que je voulais raconter, L’Éloge des araignées. On a travaillé ensemble, ça a été une grâce. André y est bouleversant : il pleure, mais avec une certaine retenue. J’adore la façon qu’il a eu de jouer cette scène, c’est une vraie bascule dans le film : c’est un moment où le personnage change de regard. Proust disait « le vrai voyage, c’est changer de regard ». Là, son personnage s’humanise, s’assouplit.
Vous avez donc choisi N’avoue jamais cette fois comme titre. Avez-vous hésité avec une autre chanson, notamment Je reviens te chercher, qui figure aussi en bonne place dans le film ?
Ça aurait pu, c’est vrai. Il y a eu un autre titre, « Tu files un mauvais coton Annie », qui est l’une des répliques-phares. Mais c’est N’avoue jamais qu’on a préféré parce qu’il est interpellant, mystérieux, ludique… Et aussi le titre d’une chanson inscrite dans notre inconscient collectif. Souvent, je dis le titre de mon film N’avoue jamais et la personne en face chante « N’aaaaaa-voue jamais » (sourire) Elle clôt, en plus le film dans le générique de fin. Donc, quand on a trouvé ce titre, on s’est dit que c’était idéal. Mais j’adore la chanson de Bécaud Je reviens te chercher qui a un double sens : qui revient chercher qui ? (sourire) Azéma son amant ou Dussollier sa femme ?
Avez-vous entièrement écrit les dialogues ?
J’adore le dialogue. J’écris aussi des pièces de théâtre qui ne sont presque que du dialogue. J’essaie de soigner mes dialogues ; j’ai une jubilation avec la langue, avec la phrase qui va faire rire, qui va rebondir. Je sens d’ailleurs, dans les premières projections que j’ai faites, qu’il y a plein de publics qui partagent ce plaisir de la bonne phrase. Et puis… c’est de la nourriture pour les comédiens. Alors oui, il y a un gros travail sur le dialogue.
C’est donc vous qui avez écrit la version déviante de Bon anniversaire sur l’air de La Marseillaise…
Absolument, avec André Dussollier, on l’a co-écrite ensemble (sourire). En fait, c’est touchant, mais c’est tellement maladroit et ça raconte tellement la nervosité du personnage : il ne peut pas faire une chanson sans se que ce soit La Marseillaise pour l’anniversaire de sa femme ! En même temps, il prend la peine d’écrire des paroles pour sa femme — tous les hommes qui le font pas. Il y a toute la complexité de cette situation qui est résumée dans cette chanson. Et tout l’amour aussi, qu’il a pour sa femme. On sent qu’il l’aime. Et c’est beau, après autant d’années. Enfin, moi, je trouve ça beau (rires)
N’avoue jamais de Ivan Calbérac (Fr., 1h34) avec André Dussollier, Sabine Azéma, Thierry Lhermitte, Joséphine de Meaux… en salle le 24 avril 2024.