Des pubards pris dans une boucle temporelle et un escroc en taule sont à l’affiche de cette semaine pré-cannoise. Entre autres…
Comme un lundi de Ryo Takebayashi
Lundi matin, dans une agence de publicité japonaise en open space. Une nouvelle semaine harassante débute pour la jeune Akemi et ses collègues, qui ont tous dormi sur place pour tenter de boucler un dossier compliqué. Alors qu’une routine ordinaire semble se dévider jour après jour, deux collaborateurs ne cessent de faire à Akemi des mises en gardes ou des prédictions se révélant exactes. D’après eux, ils sont piégés dans une boucle temporelle et il faut parvenir à convaincre l’ensemble du bureau pour arriver à s’en dégager. Cela prendra fatalement du temps…
Qu’il s’agisse de comédie romantique (Un jour sans fin), de science-fiction (Edge of Tomorrow) ou de slasher (Happy Birth Death), le principe de la boucle temporelle offre toujours une structure identique : des personnage y sont contraints de rectifier un moment-clef de leur existence en devant découvrir la bonne combinaison d’actions à enchaîner jusqu’à un parachèvement théorique. Pour eux, le fantasme d’une deuxième chance infinie se transforme en cauchemar tant qu’ils n’ont pas identifié la cause de leur immobilisation dans un présent éternel. Comme un lundi n’échappe pas à la règle, et prend une saveur très particulière de fait de sa double inscription : dans l’univers nippon et celui circonscrit au monde du travail.
Encore un matin
Car l’obstination dont il faut faire montre pour s’extraire du piège temporel renvoie clairement au perfectionnisme outrancier dont le cliché ordinaire – mais s’agit-il d’un cliché ? — pare le Japon, autant qu’à l’obsession productiviste associée aux agences : le bureau servant ici de décor tient ainsi du précipité socio-culturel. En nous promenant dans ce plateau où tous les collègues se côtoient, égaux en apparence, Ryo Takebayashi nous révèle la survivance d’un formalisme et d’un respect hiérarchiques très vivaces. Autant de murs invisibles isolant chacun des collaborateurs, déniant de facto le concept d’équipe.
Il faut comprendre que c’est davantage un trousseau qu’une clef qui les libèrera ; la configuration de l’open space offrant une des portes de sortie à l’occasion d’une réalisation collective typiquement japonaise. L’abandon de l’individualisme à tous les niveaux donne lieu à d’assez touchantes séquences, qu’on ne suppose pas possibles au début de cette comédie fort logiquement rythmée de fausses pistes, de variantes sur les redondances et de second degré.
Remarquable par son montage et sa gestion d’un espace exigu (tout le monde ne peut pas en dire autant), Comme un lundi ne doit pas faire oublier derrière la fable la morale qu’elle assène assez frontalement en début de chaque cycle : qui travaille en continu sans passion s’expose à se prendre le mur en pleine face comme un pigeon se prend une vitre…
Comme un lundi de Ryo Takebayashi (Jap., 1h23) avec Makita Sports, Wan Marui… en salle le 8mai 2024.
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Neuilly-Poissy de Grégory Boutboul
Patron de restaurants aisé peu regardant vis-à-vis de ses obligations légales et fiscales, Daniel ne pouvait qu’être rattrapé par la patrouille. Si la perquisition à son domicile ne révèle qu’une partie infime du magot détourné grâce à ses magouilles, l’escroc est tout de même expédié à la centrale de Poissy où il tait sa judéité et se fait même passer pour musulman. Pendant ce temps, son épouse Lisa se trouve contrainte au débotté de gérer (et redresser) les affaires de la famille…
C’est, dit-on, dans les vieux pots que l’on fait (parfois) les meilleurs recettes ; Grégory Boutboul a donc opté pour une sorte de “cuisine-fusion” en accommodant ici à plusieurs sauces le thème de la “rencontre-entre-deux-extrêmes-que-tout-oppose-mais-qui-finissent-par-s’apprécier“. Rien de blâmable en soi, c’est le ferment des meilleures comédies de situation où les contrastes initiaux, rivalités et/ou différences entre les personnages finissent par s’abolir dans la concorde — voir le récent Un p’tit truc en plus. Daniel et ses coturnes forcés partageront donc à la fin une estime réciproque ; la réconciliation entre juifs et arabes se scellera par ailleurs autour d’une côte de bœuf dans une zonzon devenue quasi-irénique…
La revanche d’une femme
On n’atteint pas, loin s’en faut, la grâce œcuménique de Rabbi Jacob — d’ailleurs cité à un moment par les détenus. Sans doute parce que Grégory Boutboul ne sait pas trop comment jouer avec les clichés pour les détourner ou les démonter. A-t-il peur de transgresser les limites dans le contexte de tension actuel ? Pour mémoire, Gérard Oury ne le craignait pas — et son film était sorti pendant la guerre du Kippour.
Étonnamment, c’est hors du milieu carcéral qu’on trouve les personnages les plus complexes car capables de férocité : outre le juge — Gérard Darmon, impénétrable et impitoyable —, Lisa campée par Mélanie Bernier est un cas d’école de femme fatale contemporaine. Dans les difficultés, cette épouse-trophée entretenue se métamorphose, dévoilant un visage effroyable : pire que Daniel en affaires, Lisa imagine des combines fiscales plus retorses quand elle n’exerce pas du chantage, prête à balancer son conjoint pour conserver ses privilèges ou à le reprendre lorsque son intérêt l’y pousse. Un reversement dans le couple certes intéressant, mais au détriment de la morale — ce qui s’avère cocasse pour un film centré autour d’une rédemption.
Et l’image ou les décors ? Trahissant l’exiguïté du budget, on préfèrera par charité ne pas en parler.
Neuilly-Poissy de Grégory Boutboul (Fr., 1h37) avec Max Boublil, Mélanie Bernier, Claudia Tagbo, Steve Tchientcheu, Malik Amraoui… en salle le 8mai 2024.