Un quatuor à la dérive, un joueur qui l’est un peu trop et des androïdes à tout faire débarquent de concert dans les salles en cette semaine pré-cannoise. Entre autres…
Les Musiciens de Grégory Magne
Co-héritière d’une entreprise de BTP, Astrid est sur le point d’achever le rêve de son père défunt : réunir (à grands frais) quatre Stradivarius pour la création d’une œuvre inédite commandée un quart de siècle plus tôt. Hélas, le beau projet bat de l’aile car les quatre instrumentistes choisis — tous des virtuoses — sont incapables de travailler ensemble. Pour souder le quatuor avant le concert, Astrid a l’idée d’aller chercher Charlie Beaumont, le compositeur de l’œuvre. D’abord réticent et un brin misanthrope, celui-ci accepte de guider les musiciens…

Attention : réussite ! Les Musiciens est de ces films où tout concourt à une forme de transcendance et de grâce. C’est aussi le retour qu’on espérait de la part 🔗Grégory Magne, dont L’Air de rien — balade mélancolique autour d’un vieux chanteur (Michel Delpech dans son propre rôle) sauvé de la ruine par un huissier fan et compatissant — avait lancé la carrière mais qui n’avait pas vraiment confirmé avec Les Parfums, sentant la redite peu inspirée avec son histoire d’une “nez” déchue. Si Les Musiciens creuse à nouveau le sillon des affres de la création et du rapport au temps détruisant tout (notamment le rapport de l’artiste à sa perception de son œuvre comme à sa capacité à créer), il se passe ici quelque chose d’autre.
Cordes et discordes
Peut-être parce qu’il élargit sa partition et multiplie les interactions entre personnages, donc les enjeux, Grégory Magne retrouve-t-il ce nouveau souffle. Ainsi que de l’enthousiasme à raconter l’édification de cette cathédrale musicale qu’est ce concert impossible sur le papier — car mu par des raisons tout sauf artistiques. Tout est en effet question d’egos derrière ce projet d’un capitaine d’industrie s’offrant un caprice hors de prix où, de l’instrument à celui qui en joue, tout est tape-à-l’œil. Or, la musique n’a pas à taper l’œil mais passer par l’oreille pour toucher l’âme ; et c’est le sens de la démarche d’Astrid, conforté en cela par Charlie. L’héritière accomplit un acte d’amour filial devant aboutir à la célébration de l’œuvre ; le compositeur rappelle aux instrumentistes-solistes les fondamentaux de l’écoute, de l’harmonie.
D’ailleurs, la simplicité évangélique du titre — Les Musiciens ! —, son dépouillement, renvoie à ce qui fait l’essence de leur art : jouer de la musique avec « amour et acharnement » et surtout, en s’oubliant soi-même. Leçon d’humilité, retour aux valeurs, ce film a le bon goût de ne pas professer mais de proposer de ressentir. « Je fais de la musique parce que ça m’évite des pesanteurs du langage » lance justement Charlie Beaumont, excellemment campé par Frédéric Pierrot, à l’adresse de cette petite troupe indisciplinée dévorée par sa vanité et son image.
Sacrée gageure que Les Musiciens que de parvenir à user de l’image pour viser le son, mais aussi rendre le langage et l’émotion de la musique audibles, compréhensibles à tout un chacun. En faisant entendre raison aux personnages, il fait aussi écouter les spectateurs mélomanes ou non. Mise en abyme réjouissante dont le mérite est partagé : outre les comédiens-musiciens et le metteur en scène, il faut saluer le travail comme toujours remarquable de Grégoire Hetzel, compositeur et donc interprète fantôme du film. Il serait temps que son talent soit enfin reconnu par ses pairs, d’une préoccupante surdité à son égard.

Les Musiciens de Grégory Magne (Fr, 1h42) avec Valérie Donzelli, Frédéric Pierrot, Mathieu Spinosi, Emma Ravier, Daniel Garlitsky, Marie Vialle… En salle le 7 mai 2025.
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Les Arènes de Camile Perton
Jeune espoir du foot, Brahim a toujours eu pour agent son cousin Mehdi. Sur le point de rejoindre le club de Lyon, il entrevoit la possibilité d’accéder à un contrat encore plus mirobolant grâce à Francis, un intermédiaire étranger s’intéressant à lui et dont l’entregent est monstrueux. Brahim se trouve face à un dilemme : lâcher la proie pour l’ombre en faisant confiance à ce Francis ou rester fidèle à Mehdi…

Doit-on reprocher à un sportif qui, par essence, gagne sa vie en pratiquant un jeu, d’être joueur ? Ou de vendre sa propre peau de star en devenir avant d’être qu’elle soit chassée par d’autres ? On pourrait résumer l’enjeu du premier long métrage de Camille Perton à ces problématiques, sans pour autant en l’épuiser totalement. Roman d’apprentissage moderne d’un Rastignac des gazons, Les Arènes a ceci de paradoxal qu’il parle moins du sport footballistique en lui-même que du sport business ou du jeu que de la théorie des jeux dont il constitue une brillante illustration.
Les feux du stade
Tout ce qui se passe hors du terrain ayant depuis longtemps cannibalisé les interactions autour du ballon rond, le film ne montre quasiment aucun match mais bien les décisives coulisses des vestiaires. Sans trop trahir l’intrigue, Les Arènes présente des points de ressemblance avec la mécanique retorse de L’Arnaque (1973) — ce genre de combine où le pigeon n’est pas le dindon de la farce que l’on croit — et naturellement avec le récent (et trop mal payé en retour) 🔗Mercato de Tristan Séguéla, dont il constitue une manière de complément, côté joueurs. Où l’on voit à quel point l’ambition et le désir d’excellence sont des moteurs paradoxaux, susceptibles de galvaniser comme de contrecarrer les performances d’un joueur, animal à la psyché décidément bien fragile.
Au-delà de l’autopsie d’une magouille roublarde, Les Arènes dépeint ce piège clanique se refermant très tôt autour des joueurs, fatalement coincés dans un conflit de loyauté : la prise de décision individuelle est considérée comme une trahison. Redevable à son cousin de tous les efforts qu’il a accomplis pour lui mais aussi dépositaire des espoirs de sa famille, Brahim doit choisir entre s’affirmer par l’affranchissement ou rester docile dans l’ombre de son mentor. Camille Perton signe peut-être ici un mode d’emploi universel pour comprendre ces gamins à crampons, qu’il faudrait sans doute leur projeter dans leurs centres de formation afin qu’ils prennent un peu de recul sur leur valeur vénale et réelle.

Les Arènes de Camile Perton (Fr, 1h34) avec Iliès Kadri, Sofian Khammes, Édgar Ramirez, Lorezo Zurzolo, Côme Levin, Grégoire Colin… En salle le 7 mai 2025.
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Un monde merveilleux de Giulio Callegari
Dans un futur proche, le monde s’est accommodée d’androïdes à tout faire — en particulier, toutes les tâches de soin, d’éducation, de contact humain. Ancienne prof condamnée à la déprime et au chômage, Max s’est reconvertie dans la débrouille pour subsister avec sa fille. Son nouveau plan ? Subtiliser un robot haut de gamme pour le refourguer en douce. Malheureusement, elle récupère un modèle invendable et doit partir en cavale…

Rien à dire sur l’argument de base, qui tient de l’allégorie traitée sur un mode drolatique : « un monde merveilleux », c’est ce qu’espèrent avec naïveté toutes celles et tous ceux qui déléguent le moindre compartiment de leur existence aux machines… sans s’interroger sur les potentielles conséquences de leur capitulation (remplacement et donc précarisation de certaines classes sociales, déshumanisation systémique etc.). En parallèle, les supplétifs numériques accèdent au rang d’alter ego et dépassent le mimétisme comportemental, au point de revendiquer le droit d’éprouver des émotions. Comme chez Philip K. Dick, en somme, avec toutefois ceci que la fiction s’avère de plus en plus tangente à notre monde contemporain.
Bien que le sujet soit donc d’une actualité brûlante et que le personnage de Blanche Gardin (en accord avec ce qu’elle incarne à la ville) se montre particulièrement engagé contre la domination de la tech, la mayonnaise ne prend pas vraiment. Est-ce dû à cet idée de buddy movie associant une rebelle anar à un androïde façon C3PO croisé stromtrooper ? Ou au mélange avec une comédie familiale aseptisant les velléités critiques ? La diatribe, au finale, ne porte guère ; par ailleurs, les effets douloureux d’une production réalisée avec des moyens limités se font également ressentir. Dommage.

Un monde merveilleux de Giulio Callegari (Fr., 1h18) avec Blanche Gardin, Angélique Flaugère, Laly Mercier, Lucie Guien, Edouard Sulpice, Georgia Scalliet… En salle le 7 mai 2025.