Un ado américain traverse un été déterminant dans les salles cette semaine. Entre autres…
Dìdi de Sean Wang
Fremont, Californie, à l’été 2008. Chris a 13 ans et vit dans un foyer exclusivement féminin, entre sa grand-mère, sa mère Chungsing et sa grande sœur Vivian à qui il ne cesse de jouer des mauvais tours. Si chez lui on parle mandarin et on le surnomme Didi, dehors il traîne avec sa bande de potes avec l’espoir de se faire remarquer par la belle Madi qu’il stalke sur MySpace. Pour gagner du crédit à ses yeux, il s’invente des passions ; pour être cool, il fait croire à des skaters qu’il est le vidéaste idéal pour leur clip sur YouTube alors qu’il sait à peine tenir une caméra. À cet âge, on ose tout sans mesurer les conséquences…

Au festival de Sundance, Didi a glané le Prix du Public et celui du Jury. Qui s’en étonnera tant ce film interroge des questions universelles et renvoie chaque spectateur “adulte” à sa propre adolescence ?Certes, c’est le propre des coming of age movies chéris du cinéma américain ; tous ne se valent pas pourtant car ils peuvent explorer à des profondeurs bien différentes “l’âge des possibles“ – des mutations. Hollywood, par exemple, raffole de la métaphore épique ou aventureuse pour raconter le rite de passage, largement étayé par les productions Spielberg dans les années 1980 (The Goonies) ou les ouvrages de Stephen King (Stand by Me, Ça…), au point de devenir un genre en soi.
E pluribus, unum
Didi appartient plutôt à ces chroniques réalistes intégrant une phase de mutation intime à l’intérieur d’un tableau plus vaste, comme chez Gus Van Sant, Larry Clarke, Chloé Zhao, Andrew Haigh (La Route Sauvage) et tant d’autres : le portrait générationnel, sociétal ou ethnographique (lorsqu’il s’agit de dépeindre une communauté) vaut autant que celui du protagoniste. C’est le cas ici puisque Sean Wang convoque ses propres souvenirs pour évoquer les sino-américains — très peu représentés à l’écran. Les enjeux culturels apparaissent ici dès le début avec ce culte de la réussite scolaire auquel Vivian souscrit (elle part l’université) ainsi les enfants des autres familles asiatiques. Mais pas Chris, qui va jusqu’à saboter ses cours de soutien estivaux qui leur sont réservés.

Film de groupes au pluriel, donc (entre la famille, les potes, les skaters, les “relations“ MysSpace…), Didi enregistre surtout ce moment d’affranchissement et de bascule quand Chris comprend son besoin de jardin secret. Là où auparavant il y avait une communion sacrée entre sa bande et lui, il éprouve la nécessité de cloisonner sa vie. Sans savoir qu’en menant ses (timides) premières conquêtes personnelles bien éloignées de ses forfanteries collectives, il participe à la fissuration du groupe durant cet été riche en rebondissements. Encore davantage avec le recul.
Tempus fugit
D’ailleurs, les spectateurs à qui la vision de Didi produira sans doute le sentiment le plus étrange, seront sans doute ceux de la génération qui vivait son adolescence il y a 15 ans. Pour la première fois, ils vont découvrir cette (douloureuse) sensation de contempler leur jeunesse au sein d’un film à classer comme historique, ayant donc nécessité une reconstitution puisqu’il se déroule dans le passé. Bientôt, des gamins leur demanderont s’il y avait des dinosaures quand ils étaient plus petits. La roue tourne…

Dìdi de Sean Wang (É.-U., 1h33) avec Izaac Wang, Joan Chen, Shirley Chen… En salle le 16 juillet 2025