Pour sa première venue à Cannes, Cédric Klapisch joue avec les époques et ressuscite les fantômes du passé comme de son propre cinéma dans une fresque à l’ancienne, douce et mélancolique…
La Venue de l’Avenir de Cédric Klapisch
Ils ne se connaissent pas et sont réunis parce qu’ils descendent tous d’une même aïeule, Adèle, dont la propriété normande abandonnée depuis des décennies fait l’objet de la convoitise d’une municipalité. Quatre cousins acceptent d’aller explorer la maison délabrée de leur ancêtre avant de statuer sur son devenir. Sur place, ils vont découvrir des traces, photos et archives de l’existence d’Adèle ainsi qu’un mystérieux. Et peu à peu, entreprendre de reconstituer l’itinéraire qui mena cette jeune femme de sa campagne à Paris en 1895…

On n’ose plus guère employer aujourd’hui une expression implicitement péjorative pour ne pas dire radioactive depuis que la Nouvelle Vague en usa comme d’un carburant pour incendier la génération de ses aînés : la « qualité française ». Essayons toutefois, autant que faire se peut, de mettre de côté la référence dépréciative, afin que le syntagme renoue avec son sens étymologique — l’idée d’un film de belle facture et porteur de caractéristiques culturelles typiquement hexagonales. Cédric Klapisch en serait l’un des représentants contemporains, au fil d’une œuvre chroniquant la fin du XXe siècle et le début du suivant.
Rue de la Qualité
Avec certes ses mauvais penchants — la tentation du classicisme parfois à la limite de l’académisme ; d’un folklorisme le poussant à idéaliser un Paris carte postale, une Bourgogne viticole muséale — mais aussi des bons côtés comme le goût de la belle ouvrage. Ainsi que tout ce que la Nouvelle Vague précédemment citée reconnaissait comme qualités à ses maîtres du réalisme poétique : une conscience sociale du monde, un attachement à la “troupe” (en plus d’être fidèle à ses comédiens à l’instar de Zinedine Soualem, le cinéaste est l’un des plus forcenés défenseurs du second rôle étoffé, c’est-à-dire où l’acteur a quelque chose à défendre et peut, s’il s’y prend bien, se mettre en valeur sans avoir à cabotiner). Surtout, il y a un ton et une œuvre, d’un point de vue formel et narratif.
Une œuvre variée en sujets comme en genres, scandée de gimmicks (les génériques stylisés, les caméos du cinéaste…), de ruptures quasi punk au milieu d’une apparence ronde et joviale. Une œuvre, enfin, tissée de thématiques récurrentes : le temps qui passe, la famille, la filiation et la jeunesse accédant à l’âge adulte — toutes étant contiguës. La Venue de l’Avenir ne fait bien évidemment pas exception à cette règle non édictée.

Au temps pour lui
Né d’une envie « d’un film en costumes » — genre propice à la suresthétisation et à la tentation de condenser tout une époque dans le bref laps de temps que représente un film —, La Venue de l’Avenir contourne plutôt bien les pièges en alternant passé et présent, quasiment à égalité. Synchronicité oblige, cet ancrage temporel permet à Klapisch d’évoquer l’invention du Cinématographe mais il a le bon goût de ne pas dériver sur cet épiphénomène (aux yeux de 1895 et de ses personnages). Mais il est vrai qu’il avait déjà bien approché la question avec son documenteur fondateur 🔗Ce qui me meut (1989), court métrage dont on retrouve ici de discrets échos.
Rester dans la périphérie, dans l’allusif sans être non plus trop connivent… Voilà un bien difficile équilibre que ce film parvient à observer. Klapisch privilégie la discrétion au démonstratif ; on lui sait gré de préférer des regards et des silences plutôt que des confirmations verbales à des interrogations en suspens — less is more. S’arrêter à temps, c’est aussi ne pas abuser des figures connues glissées de-ci de-là. Ainsi, s’il fait surgir quelques illustres authentiques pour les besoins de l’intrigue, on est loin de l’épuisant catalogue de têtes de Dilili à Paris — seule déception de Michel Ocelot (2018). Quant à sa reconstitution du Montmartre de 1895, il l’appréhende d’un point de vue humain et sociologique, conforme à celle adoptée pour la Bastille en cours de métamorphose dans Chacun cherche son chat (1996) —où la question du temps à l’ouvrage était déjà prégnante…
Matière humaine
Dans ce ping-pong XIXe-XXIe, où il joue avec les aiguilles de l’horloge et time-lapse à l’occasion, le réalisateur est aussi un peintre usant de comédiens comme de tubes de couleurs pour composer chacune de ses toiles/séquences. Certains tableaux paraitront équilibrés, parce que rien ne dépassera : aucune nuance ne faisant de l’ombre à sa voisine, les gammes chromatiques s’agençant dans un camaïeu sage. Et puis il y a ceux qui tranchent grâce à un contrepoint donnant à l’ensemble la même vibration que la présence du soleil sur 🔗Impression, soleil levant de Monet.
Dans La Venue de l’Avenir, cet astre singulier s’appelle Cécile de France. Dans son rôle (secondaire) de conservatrice de musée un brin snob nantie d’un brin de mystère, elle compose sans ridicule ni excès.un personnage là où d’autres se bornent à jouer ce qu’on l’on attend d’eux, leur emploi coutumier. On s’étonne d’être étonné tant l’art de la nuance semble avoir été gommé au profit des excès entre le non-jeu et la “performance”. Rien que par gratitude pour son travail, le film mériterait d’être vu.

La Venue de l’Avenir de Cédric Klapisch (Fr., 2h06) avec Abraham Wapler, Sara Giraudeau, Vincent Macaigne, Cécile de France, Suzanne Lindon, Paul Kircher…En salle le 22 mai 2025.