Des règlements de comptes surnaturels chamboulent une famille turque dans les salles cette semaine. Entre autres…
The Thing You Kill de Alireza Khatami
Turquie, de nos jours. Après plusieurs années à étudier l’anglais aux États-Unis, Ali est revenu pour enseigner à l’université. En rendant visite à sa mère impotente, il la découvre mal en point et toujours sous la coupe de son père — un homme autoritaire imposant sa loi à sa famille, avec qui Ali est en froid. La mort soudaine de sa mère pousse Ali à suspecter son père d’en être le responsable. Un mystérieux vagabond que Ali a engagé pour s’occuper du jardin qu’il cultive au milieu du désert va bouleverser le cours normal des choses…

Dans Chroniques de Teheran (2023) cosigné par Ali Asgari et Alireza Khatami, un réalisateur se débattait contre la censure iranienne afin de pouvoir tourner un film dont la trame était peu ou prou celle de The Things You Kill. Accumulant trop d’interdits aux yeux du régime des mollahs — notamment une violence sacrilège vis-à-vis des ascendants aisément assimilable à une contestation affirmée de toute forme d’autorité absolue —, le projet achoppait, l’auteur renonçant devant d’insurmontables obstacles. Pied-de-nez ou prétérition : l’histoire renaît aujourd’hui, transposée dans une Turquie paradoxalement plus tolérante — en tout cas, pour le cinéaste.
Double je
À l’instar de nombreuses œuvres réalisées par ses compatriotes, Alireza Khatami tient sa promesse de s’attaquer crânement aux despotes, domestiques ou sociétaux. La voie (et la forme) qu’il emprunte détonnent toutefois : si le film s’engage sous des abords réalistes par la description d’une situation familiale tendue et d’une position professionnelle incertaine, le réalisateur bifurque lentement vers le récit fantastique dès lors qu’intervient son deus ex machina (et initiateur d’un subterfuge narratif fécond) :
Entre Faust, Théorème, Lost Highway et Cet obscur objet du désir, The Things You Kill se transforme alors en film sur la possession maléfique : le “néo-Ali”, totalement déshinibé accomplit sans états d’âme ce que l’autre n’ose pas faire. S’agit-il pour autant d’une histoire “subvertissant” la morale ? Difficile de le prétendre tant le poids de la vengeance, de la punition et du châtiment pèsent sur les personnages, devant répondre de leur méfaits passés. L’inéluctable fatum semble se rappeler à chacun et causer des malédictions sans fin : ainsi, les différents crimes paternels ne seront “lavés” que par d’autres crimes entraînant des malheurs supplémentaires. Au reste, le film épouse une forme cyclique : un rêve raconté dans les premières images est vécu dans les dernières. Plutôt pessimiste.
De l’interprétation
Ajoutons qu’aux figures du cercle et du double s’ajoute un subtile travail sur l’auto-réflexivité : à l’université, Ali dissèque l’origine des mots et leurs nuances de sens à travers les langues — la traduction pouvant être une translation, un glissement sémantique, une interprétation, un décalage… Il n’est pas interdit de voir dans le vagabond un “interprète” d’Ali s’autorisant des variations par rapport au rôle qu’il est censé jouer. Cette latitude, cet écart au sens propre, constitue la “trahison” inhérente à toute traduction.
La Palme d’Or attribuée à Jafar Panahi lors du denier festival de Cannes a concentré les regards sur Un simple accident au détriment d’un autre éminent représentant du cinéma iranien contemporain, Saeed Roustayi. Celui-ci présentait également en compétition Woman and Child, qui ne manque pas de similitudes dans la critique frontale du système patriarcal et la violence qu’il exerce à tous les niveaux de la société Iranienne. Il faudra hélas attendre un peu — beaucoup — pour découvrir ce film terrible, daté au 25 février prochain…

The Thing You Kill de Alireza Khatami (Fr.-Pol.-Can.-Tur., 1h53) avec Ekin Koç, Erkan Kolçak Köstendil, Hazar Ergüçlü… En salle le 23 juillet 2025.