Un footballeur en plein doutes et une correspondante de guerre se partagent l’affiche cette semaine. Entre autres…
Panopticon de George Sikharulidze
Géorgie, en 2020. Jeune recrue d’un centre de formation de footballeurs, Sandro traverse une période complexe. D’abord, son père lui annonce qu’il veut entrer dans les ordres en devenant moine orthodoxe. Ensuite, il tombe amoureux de la mère coiffeuse d’un de ses coéquipiers dont il se met à partager les fréquentations troubles : à son contact, le timide et pieux Sandro se retrouve à faire le coup de poing contre les immigrés et à professer de grandes leçons de morale…

On a vu il y a peu avec 🔗Sirāt un exemple de film bifurquant en cours de route (c’est le cas de le dire) pour s’aventurer sur un chemin inattendu. Panopticon s’inscrit dans cette lignée, à ceci près qu’il emprunte plusieurs chemins en parallèle sans en lâcher aucun — chacun étant lié à un personnage gravitant autour de Sandro ; chacun étant aussi intéressant. Ainsi, d’un roman initiatique un peu bateau entre un ado fantasmant sur la mère de son copain exerçant un métier sensuel on glisse peu à peu dans un portrait plus vaste d’une génération, d’un pays.
Aux cheveux courts !
Pris en tenaille entre ses pulsions naissantes et le poids de la foi catholique dans laquelle il infuse chez sa grand-mère et au contact de son père en route le pour le monastère, l’ingénu Sandro vacille. Résultat ? Au lieu d’assumer ses désirs, il commet de menus larcins et affiche d’ostensibles positions de père-la-vertu bien éloignées de ses propres aspirations ou agissements — les vertus publiques, ces éternels remparts des vices cachés. Et par conformisme autant que par bêtise, il en vient à rejoindre un mouvement nationaliste sans être foncièrement politisé. Les circonstances et la frustrations, comme souvent, suffisent à embrigader les brebis égarées.
Empruntant son titre à Foucault, George Sikharulidze illustre ce carcan dans lequel Sandro se trouve piégé : pour être “admis” dans le groupe auquel il aspire à appartenir, le jeune homme en accepte les lois tel le rasage de crâne, signe de reconnaissance et d’acceptation, contrastant avec la coupe de cheveux sensuelle opérée par la mère de son ami. Mais il renvoie aussi à cette photographie globale de cette Georgie contemporaine, égarée entre intranquillité et incertitude. Premier long métrage, Panopticon témoigne d’une remarquable acuité dans l’écriture des personnages et leur « mise en vie ». Prometteur pour la suite.

Panopticon (Panoptikoni) de George Sikharulidze (Géo.-Fr.-Rou.-It., 1h36) avec Malkhaz Abuladze, Data Chachua, Salome Gelenidz… En salle le 24 septembre 2025.
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Put your soul on your hand and walk de & et avec Sepideh Farsi
Cherchant à documenter la situation quotidienne à Gaza après les événements du 7-Octobre (mais n’ayant pas eu l’autorisation d’y accéder), la cinéaste iranienne Sepideh Farsi entre en contact avec Fatem Hassona, une journaliste gazaouie de 25 ans qui va devenir sa correspondante sur place. Durant plusieurs mois, entre les bombardements incessants et la sporadicité des réseaux, Fatem va livrer des témoignages de “l’intérieur” mais aussi nouer un dialogue avec Sepideh. Jusqu’au 16 avril 2025 où la jeune femme perd la vie dans une attaque israélienne…

Présenté à Cannes par l’ACID un mois après le décès de Fatem Hassona, ce film est à l’heure de sa sortie encore tristement d’actualité, alors que le la situation s’enferre dans l’horreur et que les voies (ou voix) internationales achoppent à trouver une issue au conflit… le tout dans un contexte global plus que délétère. Objet brûlant, Put Your Soul On Your Hand And Walk ne peut se découvrir sans tenir compte de ce contexte. Impossible de le voir non plus sans penser au cruel compte à rebours qu’il constitue pour Fatem — à l’instar du Journal d’Anne Frank, il s’agit d’une œuvre dont on sait que la fin coïncide avec celle, tragique, de son autrice-narratrice.
Il n’y a plus d’abonnée…
Revenons au contexte. Les difficultés de communication entre les deux interlocutrices ne nous sont pas épargnées : les connexions aléatoires, le son haché et les images pixelisées par le très bas débit, les interruptions nombreuses… Tout cela fait écho à la situation de précarité générale que connaissent les Gazaouis. Sepideh Farsi ne tente pas d’améliorer les choses : elle crée un dispositif rudimentaire, filmant des écrans. Comme si recopier les images de leurs échanges “au propre” aurait trahi l’urgence du document et aseptisé la crasse du réel. Les seules images nettes que l’on voit sont des photographies expédiées de Gaza, groupées dans des diaporamas intervenant comme des intermèdes. Leur piqué contraste d’autant plus violemment qu’elles livrent des témoignages visuels implacables de désolation.
On ne saurait conclure sans évoquer ce qui survient brièvement au détour d’une de leurs discussions : leur différence d’appréciation sur la question du voile, symbolique deux générations et deux parcours différents. Sepideh Farsi, Iranienne ayant fui l’oppression du régime des mollahs s’étonne que sa cadette, si éprise de liberté, en revendique le port. Le débat n’est pas entre elles source de conflit, loin s’en faut ; mais il n’aura hélas jamais de conclusion.

Put your soul on your hand and walk de & et avec Sepideh Farsi (Fr.-Pal.-Ir., 1h52) documentaire avec également Fatem Hassona… En salle le 24 septembre 2025.