Une Palme d’Or en Iran, des audiences à Marseille et un couple de légende se ramassent à la pelle dans les salles cette semaine. Entre autres…
Un simple accident de Jafar Panahi
Iran, de nos jours. Garagiste à l’écart de la ville, Vahid pense reconnaître dans un client tombé en panne l’homme qui l’a torturé lorsqu’il était en prison. Décidé à se venger, Vahid l’enlève et le séquestre mais redoutant de commettre une erreur sur la personne, il part à la recherche d’autres victimes de ce bourreau avec son encombrant colis caché dans une camionnette…

Que restera-t-il de ce film dans quelques années ? Outre sa Palme d’Or (qui confère à Panahi le prestige d’être le seul cinéaste à avoir ravi la récompense majeure à Venise, Berlin, Cannes et Locarno), son écho politique, et sans doute son plan final — moins pour des raisons strictement visuelles que pour son usage glaçant du hors champ sonore, faisant peser sur le héros une menace dont on ne saura pas si elle se concrétisera.. Un simple accident est en effet, à l’instar de Faute d’amour (2017) de Andreï Zviaguintsev ou La Vie est belle de Benigni (1997), une de ces œuvres abritant un instant si décisif, si lourd de symboles qu’on ne peut l’oublier.
Retour de bâton du réel
Pourtant, Un simple accident oscille en permanence entre deux modes : le suspense lié à l’incertitude de l’identité du séquestré comme à l’issue de son enlèvement (fera-t-il où non l’objet de la vengeance de Vahid et de ses comparses ?) est tempéré par un surprenant ton de comédie à l’italienne. La troupe hétéroclite d’anciennes victimes agrémentée d’un couple de jeunes mariés en habit de cérémonie, avale des kilomètres avec son prisonnier dissimulé dans une estafette, se retrouvant dans des situations où l’absurde côtoie l’humour noir.
Malgré le cocasse apparent de certaines scènes, on ne se départ jamais d’un sentiment de malaise, pareil à l’ombre d’une épée de Damoclès. Son origine ? Le contexte du pays où se déroule cette histoire, qu’on suppose empruntée au vécu parce qu’elle est signé par un cinéaste lui-même victime du régime. On devine même quelles séquences sur l’espace public ont dû être, suivant l’habitude des réalisateurs iraniens, tournées en caméra cachée pour échapper aux foudres de la censure. Leur violence non feinte nous apparaît encore plus térébrante.
Un simple accident n’est donc pas qu’un thriller, c’est une fiction qui “subtilise” du réel dans l’espace contrôlé par les bourreaux pour faire exister son récit clandestin, au risque de se faire rattraper par la réalité. Quant à sa fin, elle ne dit pas autre chose : même lorsque l’on se croit à l’abri de sa menace, le réel trouve toujours un moyen de rappeler son emprise et un chemin pour achever sa besogne.

Un simple accident de Jafar Panahi (Ir.-Fr.-Lux., 1h42) Vahid Mobasseri, Maryam Afshari, Ebrahim Azizi…En salle le 1er octobre 2025.
***
Stups de Alice Odiot & Jean-Robert Viallet
Au Tribunal de Marseille, on juge des affaires en lien avec le trafic de stupéfiants. Le président entend les prévenus et leurs avocats, pour certains multi-récidivistes habitués à feindre la bonne foi ; pour d’autres pris dans des spirales destructrices et contraints à se livrer à des activités criminelles. Dans tous les cas, c’est la mise au jour d’une économie de l’enfer face à laquelle la justice dénuée de moyens…

Après avoir filmé le quotidien de détenus à la prison des Baumettes dans Des hommes (2020), Alice Odiot & Jean-Robert Viallet s’intéressent donc à la case judiciaire précédente. Si effectuer un tournage à des fins documentaires dans un prétoire n’est pas en soi une chose nouvelle — les précédents Juvenile Court (1973) de Wiseman et surtout 10e chambre – Instants d’audience (2004) de Raymond Depardon ont laissé des traces vivaces dans les esprits —, un projet de cette nature demeure un événement rare pour des raisons évidentes : la somme d’autorisations qu’il nécessite a de quoi dissuader.
Stupéfiant !
Toutes les parties, du ministère public aux prévenus doivent consentir à ce que leur image et leurs histoires soient ainsi divulguées au grand jour. Dans certains cas en effet, cette exposition constitue davantage qu’un dommage “réputationnel” : un risque pour leur existence puisque l’ensemble des affaires traitées sont en lien avec le milieu de la drogue (le titre ne laisse pas d’équivoque), où les règlements de comptes sont particulièrement nombreux à Marseille. En enchaînant les profils de prévenus, Stups le dévoile à la façon d’un patchwork effrayant, brut et sans commentaire.
Se succèdent des camés squelettiques utilisés comme « nourrices », des mineurs multi-récidivistes ou en galère, attirés par l’appât d’un gain facile mais inconscients des dangers auxquels ils s’exposent en mettant un doigt dans l’engrenage ; de vieux caïds roués habitués à jouer aux ahuris à la barre… Défilent en parallèle dans les rappels du président ou les réquisitions, les chiffres hallucinants de cette économie occulte qu’aucune sanction légale ne semble en mesure de contenir. Édifiant et déprimant, Stups rappelle aussi que la justice répond toujours au droit dans notre pays, à une époque où celle-ci est curieusement contestée par de hautes personnalités passant devant les tribunaux…

Stups de Alice Odiot & Jean-Robert Viallet (Fr., 1h26) documentaire… En salle le 1er octobre 2025.
***
Moi qui t’aimais de Diane Kurys
Années 1970. Derrière l’aura du couple phare de l’intelligentsia parisienne, une réalité plus complexe. Entre Yves Montand et Simone Signoret, le quotidien est pollué par les infidélités et les mensonges du chanteur volage. Pour tromper sa douleur et meubler une carrière au ralenti alors que celle de son époux flamboie,, l’actrice se met à rédiger ses souvenirs…

Les biopics se révèlent souvent d’étrange rendez-vous, où les illustres représentés sont rendus à leur essence ordinaire d’humains : désacralisés et soumis à leurs passions tristes ou banales. Mythifié parce qu’il incarna pendant trente ans une certaine idée de la liberté intellectuelle, de la réussite artistique et de la conscience politique, le couple Montand/Signoret voit son aura se ternir encore un peu ; elle avait déjà été passablement assombrie par les révélations de Catherine Allégret notamment sur le comportement de Montand.
Mise à mort des monstres sacrés
Moi qui t’aimais — titre ambigu dont on ne sait qui le prononce des deux époux, ni avec quel sous-entendu implicite, quel “malgré les apparences” non formulé — ressemble plus en effet à un Qui a peur de Virginia Woolf ? qu’à une langoureuse et continue roucoulade entre stars. Où Simone Signoret/Marina Foïs, loin de l’image de la femme-roc ressemble davantage au personnage qu’elle interprète dans Le Chat (1971), physiquement diminuée par l’âge et sentimentalement délaissée. Si la voir dans une posture implorante écorne son image, celle de Montand est quant à elle atomisée : égotiste, possessif, jaloux et d’une mauvaise foi abyssale, il n’aurait pas tenu trois minutes à l’époque #MeToo.
Il faut mettre au crédit de Diane Kurys deux bonnes idées. D’abord, dans le générique d’ouverture, elle montre ses comédiens Foïs et Zem se faire grimer en Signoret et Montand, et entrer dans le “décor“ du film comme ils entrent dans leurs personnages. Rappelant Les Garçons et Guillaume, à table ! — qui débute par une séance de “maquillage” de l’auteur-interprète Guillaume Gallienne —, le procédé permet de contractualiser l’accord tacite entre le film et le public : le mimétisme n’est pas recherché, les acteurs portent des masques minimaux et symboliques. Cela étant, pourquoi diable Roschdy Zem s’évertue-t-il à imiter des imitations d’Yves Montand ??
L’original de la bande
Enfin, et cela vient clore le film, la partition a été confiée à Philippe Sarde. Outre le fait qu’un des ses thèmes enveloppe la fin d’une irrésistible mélancolie en (ressus)citant Les Choses de la vie, ce choix s’imposait aux dires de la réalisatrice puisque le compositeur est ô combien représentatif des bandes originales de cette époque, notamment des films de Sautet, Corneau, Trintignant… Bref, il faisait partie de cette bande (sonore) dont il est l’un des ultimes témoins vivants.

Moi qui t’aimais de Diane Kurys (Fr., 1h59) avec Roschdy Zem, Marina Foïs, Thierry de Peretti… En salle le 1er octobre 2025.