Des chevaliers, des cavaliers, un envoyé du futur, des trésors du passé et une histoire contemporaine sont au menu des salles cette semaine. Entre autres…
Kaamelott – Deuxième volet (partie 1) de & avec Alexandre Astier
Après avoir su fédérer l’armée de Résistance et organiser les Burgondes afin de combattre l’imposteur Lancelot, Arthur a triomphé de son ancien chevalier et l’a banni — à l’instar de bon nombre des traîtres qu’il n’a pas enfermés. Loin de le galvaniser, cette victoire l’a laissé aboulique : il passe désormais ses journées en Carmélide, indifférent à tout et surtout au pouvoir. Au désespoir de Bohort de Gaunes, qui s’ingénie à rétablir une nouvelle Table où Arthur doit siéger en majesté. Comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle menace semble peser sur lui — et cette fois, elle vient du Ciel…

Qu’est-ce qui fait d’Arthur (version Astier) un personnage singulier ? Il y a sans doute mille conjectures possibles… et sans davantage de mauvaises réponses. Tentons toutefois une hypothèse : sa normalité, d’autant plus hurlante dans un monde saturé de super-héros, d’êtres surnaturels et de dieux. Loin d’aspirer à l’extra-ordinaire, Arthur rêve d’ordinaire — la Table ronde où il siège primus inter pares n’est-elle pas l’allégorie de cet idéal égalitaire ? Fuyant toute gloire vitrifiante, le seigneur du royaume de Logres n’a pas la victoire modeste mais dépressive. Comme si un triomphe lui faisait encourir le risque d’atteindre une posture en surplomb de lui-même. Aujourd’hui, on parlerait de syndrome de l’imposteur — alors qu’il en dépose un en toute légitimité.
E pluribus, unum
L’idée d’un héros faillible, fragile ; d’un Sisyphe ou d’un Prométhée puni par les dieux est toujours plus enthousiasmante. Outre le fait qu’il est plus facile de s’attacher à (et se projeter dans) un être imparfait, on éprouve davantage d’empathie pour un personnage luttant conjointement contre des forces externes et internes : son mérite n’en est que plus grand s’il (lorsqu’il) défait ses opposants. Cela, après avoir fédéré ses soutiens — ce qui n’est pas une sinécure tant ils tirent à hue et à dia. Le ciment dont Arthur use pour accomplir cet exploit est son arme favorite — et l’une des deux favorites de son interprète : la parole (l’autre étant la musique).
À l’instar de son lointain successeur sur le trône britannique Henry V dans pièce homonyme de Shakespeare, Arthur harangue ses troupes pour les gagner à sa cause. S’il n’y a pas de bataille d’Azincourt en ligne de mire, l’enjeu n’en est pas moins de taille : convaincre ses ouailles de (re)partir en quête et de se frotter à un concept tirant sa beauté de son abstraction absolue : l’Aventure.
Cet éloge de l’Aventure en tant que quête existentielle rappelle celle sous-tendant la série Giuseppe Bergman de Manara, personnage réclamant à corps et à cri la possibilité de vivre des histoires fantastiques et exaucé par le destin… tout en étant confronté à des situations de la plus commune trivialité — mais ne sont-elles pas des aventures d’un autre niveau ?

E pur si muove !
Kaamelott – Premier Volet obéissait à un mouvement centripète en ramenant Arthur exilé (et ses Semi-Croustillants) en son château ; ce Deuxième volet opère une riposte centrifuge, dispersant tout ce petit monde aux quatre vents; Somme de quêtes dans la Quête (celle du Graal), l’épisode distribue les personnages dans tous les décors géographiques possibles, obligeant Arthur lui-même à s’extraire de sa léthargie pour reprendre la route.
À propos de mouvement, il en est un qui n’est pas passé pas inaperçu : la non-présence de Franck Pitiot, interprète historique de Perceval. Le choix du comédien de ne pas apparaître ici n’a toutefois pas condamné son personnage à la disparition puisqu’il existe malgré tout de bout en bout du film in absentia, poursuivant ses répliques ou monologues abscons de chevalier « solitaire, rébarbatif et régional. ». Évoquer un personnage sans bénéficier de son incarnation, Coppola l’avait certes expérimenté dans Le Parrain, 2e partie (1974) où Brando n’avait pas voulu reprendre son rôle pour un clin d’œil ; Astier pousse ici l’exercice un cran plus loin, laissant la possibilité à Perceval de revenir dans sa forme physique coutumière au-delà du Deuxième volet.

Alius et Idem
Si Kaamelott est globalement nourri de son propre univers étendu, ce volet semble toutefois lorgner en direction de quelques illustres devanciers, notamment en bande dessinée. On a déjà évoqué Manara, mais il faut ajouter Goscinny et Uderzo (ce qui n’étonnera personne) pour le personnage du druide Conle, dont la grandiloquence de pythie rappelle Prolixe, le Devin. La surdité de Guenièvre, frappée par la courroux des dieux, renvoie quant à elle au professeur Tournesol alors que le démon majeur Ssabernock paraît être un petit frère de Thanos. Dans un autre registre graphique, les grimaçantes Ygerne et Crida de Tintagel semblent sorties des peintures noires de Goya — voire de Jérôme Bosch. On a vu pire comme références.

Altior, fortior, melior
Il faut enfin noter le saut qualitatif à tous les postes entre le Volet 1 et cette première partie de Volet 2 ; le temps écoulé profite toujours à la technologie de l’image et du son. Plus ambitieux — la scission en deux parties en témoigne —, ce Kaamelott fait de la mélancolie le carburant de son épopée et s’achève sur plusieurs cliffhangers. Heureusement, il ne faudra attendre qu’un an pour découvrir ce qu’il advient à Arthur et ses compagnons, tous en fâcheuse posture.

Kaamelott – Deuxième volet (partie 1) de & avec Alexandre Astier (Fr., 2h19) avec également Anne Girouard, Jean-Christophe Hembert, Guillaume Gallienne, Virginie Ledoyen, Alain Chabat…En salle le 22 octobre 2025.
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Les Cavaliers des terres sauvages de Michael Dweck & Gregory Kershaw
Dans les hauteurs de l’Argentine subsistent des gauchos, cow-boys et coq-grils faisant perdurer une tradition à la fois élégante et exigeante de l’élevage. De nos jours, une nouvelle génération se prépare à mettre ses pas dans ceux de ses ainés, se frottant aux exercices imposés du métier — qui incluent le rodéo…

Reproche a été fait jadis à Sebastião Salgado (1944-2025) d’avoir porté un regard « esthétisant »sur les sujets de ses reportages. En clair, d’avoir rendu la misère trop belle à regarder, comme s’il fallait accorder la qualité plastique à la situation et dégrader ses images lorsque l’on rend compte des déshérités… sous peine d’être accusé de voyeurisme colonial, d’obscénité ou, pourquoi pas, d’attenter à la morale comme un méchant travelling :— curieusement, le pléonasme entre le fond et la forme ne pose en revanche jamais aucun problème. .Espérons que personne ne risquera à un tel procès d’intention face au travail de Michael Dweck et Gregory Kershaw, dont l’approche n’a rien à envier au regretté photographe : le documentaire n’est pas condamné au flou-tremblé-mal cadré, cette caricature du réel gage d’une prétendue authenticité.
Jeune centaure
À l’instar de Claus Drexel, qui peaufine ses cadrages lorsqu’il s’intéresse aux SDF, aux laissés pour compte des États-Unis ou au porstitué(e)s du Bois de Boulogne — bref, ceux que personne ne prend le temps de considérer et encore moins de regarder — Dweck & Kershaw soignent leurs plans afin que l’on observe ce qu’ils filment. Paysages et personnes se trouvent ainsi magnifiés par le format ultra large et un somptueux noir et blanc ; des plans longs ultra composés privilégiant les vues de profil font de chaque phonogramme un tableau captivant. Quant aux chevauchées au ralenti, elles acquièrent une indéniable dimension épique (et hippique)

Portrait de groupe d’un peuple, étude sociologique, Les Cavaliers des terres sauvages suit aussi le parcours singulier d’un personnage : une jeune gaucha s’affirmant comme dépositaire de cette tradition essentiellement masculine. Adoubée par ses parents et ses condisciples, elle revendique avec fierté les attributs du métier et s’impose les mêmes exercices que les garçons. Un rôle modèle à l’obstination impressionnante dans un monde bienveillant, qui aurait de quoi inspirer pas mal de sociétés occidentales.

Les Cavaliers des terres sauvages (Gaucho Gaucho) de Michael Dweck & Gregory Kershaw (É.-U.-Arg., 1h24) documentaire…En salle le 22 octobre 2025.
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Arco de Ugo Bienvenu
2075, dans un monde ayant dû s’accommoder des crises environnementales, les humains vivent sous cloche pour se protéger des tempêtes et entourés de robots — bien pratiques quand les parents travaillent loin du domicile. C’est cas d’Iris, 10 ans, qui se retrouve en position de “petite” adulte chez elle. Et qui va devoir gérer une situation plus qu’inhabituelle : accueillir un enfant de son âge, Arco, débarqué de l’an 2932. Prisonnier de l’époque d’Iris parce qu’il a effectué le voyage temporel sans permission, Arco cherche à rentrer chez lui. Il aura besoin d’aide car un trio d’hurluberlus tente de mettre la main sur sa personne et le cristal lui permettant de traverser le temps…

Pour son premier long métrage en forme de conte d’anticipation, Ugo Bienvenu pose ses valises graphiques, poétiques et écologiques entre Moebius-Giraud, Miyazaki et Pascale Moreau au sein d’un univers d’anticipation bien sombre… mais hélas plutôt cohérent : les dérèglements climatiques actuels et la fascination pour le tout numérique sont à peine extrapolés. Ce qui ne change pas à travers les âges, c’est la curiosité des préados ni leur goût pour la transgression : sans lui, pas de chance d’infléchir le cours des choses vers un avenir un peu moins sinistre. Ainsi, en effectuant son voyage interdit, Arco crée un paradoxe temporel qui permet à son futur d’exister. Allez ensuite expliquer aux enfants qu’il ne faut pas désobéir !
De beaux lendemains
Une preuve que Arco voit juste dans sa dimension prospective ? L’ensemble du film repose sur la quête d’un cristal magique ouvrant les portes du futur ; or Ugo Bienvenu a décroché à Annecy pour son film la récompense suprême — à savoir le Cristal du long métrage. Et comme un Cristal cofinancé par la France a de bonnes chances de poursuivre sa route vers le César du film d’animation, on devrait entendre parler de lui en février… Au reste, la trajectoire du jeune cinéaste était déjà bien lancée : une dizaine d’années de carrière lui a permis d’obtenir le soutien d’une coproductrice nommée Natalie Portman. Son avenir a du futur.

Arco de Ugo Bienvenu (Fr., 1h29) animation dès 8 ans avec les voix de Swann Arlaud, Alma Jodorowsky, Margot Ringard Oldra, Oscar Tresanini, Vincent Macaigne, Louis Garrel, William Lebghil, Oxmo Puccino…En salle le 22 octobre 2025.
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Le Secret des mésanges de Antoine Lanciaux
C’est les vacances pour Lucile ! À 9 ans, la fillette rejoint sa mère Caro, qui effectue des fouilles archéologiques dans le château de Bectoile, le village où cette dernière à passé son enfance. Avec son copain Yann, et en suivant les indices des mésanges, Lucile découvre que le château et les légendes de Bectoile dissimulent des secrets dont la mise au jour va bouleverser Lucile et sa famille…

Le cinéma, ou l’art des extrêmes. Alors que des entreprises promeuvent à grand renfort de démos la capacité de leurs intelligences artificielles à fabriquer à des séquences sur la base de prompts, d’autres recourent à l’artisanat le plus radical pour concevoir des films. On se souvient ainsi que Sebastien Laudenbach avait signé seul un long métrage d’animation en peinture, La Jeune fille sans mains (2016) ; voilà qu’Antoine Lanciaux redonne de l’avenir à la technique du papier découpé, ce mixte subtil entre origami, stop motion, dessin et couleur.
Papivole 2.0
Contée comme une aventure de la Bibliothèque rose (mais version contemporaine), cette chasse au trésor est vécue à hauteur d’un enfant, dont « l’univers [serait] égal à son vaste appétit » dirait Baudelaire. L’esprit est ouvert au merveilleux, le moindre arbre biscornu prend des allures de monstre, chaque sente en forêt devient une route susceptible de mener vers l’aventure… Il y a certes là un charme rétro mais l’histoire n’est en désuète — ne serait-ce que parce que les garçons sont ici davantage les faire-valoir des filles — et les nouvelles générations les “réparateurs” des traumas des adultes. Un film familial judicieusement positionné pour les vacances de la Toussaint.

Le Secret des mésanges de Antoine Lanciaux (Fr., 1h17) animation dès 6 ans avec les voix de Marine Le Guennan, Yannick Jaulin… En salle le 22 octobre 2025.
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La Petite Dernière de Hafsa Herzi
C’est l’année du bac pour Fatima, benjamine d’une fratrie vivant en banlieue. Sportive et la tête bien faite, la jeune femme décroche sans problème son diplôme et entame des études de philosophie à Paris. Dans ce nouveau contexte, elle prend du recul et en vient à s’interroger sur ses désirs. Peu à peu, d’expériences en rencontres, elle se découvre plus encline à aimer les filles que les hommes. Est-ce compatible avec sa religion, qui rejette l’homosexualité ?

Mise en images du roman/récit/témoignage de Fatima Daas, le film est-il susceptible de faire avancer le débat ? Rien n’est moins sûr. Nous ne sommes plus à l’ère des films-dossiers de Cayatte contre la peine de mort (Nous sommes tous des assassins, Justice est faite…) et la collection d’étiquettes que La Petite Dernière arbore (#homosexualité féminine #issue de banlieue #musulmane) le transforme en cas d’école analysé par Didier Éribon, accentuant paradoxalement une singularité… qui n’en est pas une puisque le film raconteune éducation amoureuse et les désarrois d’une première peine de cœur, sujet sans drapeau ni genre.
Cas d’école
Mais Hafsia Herzi a la hype et La Petite Dernière épouse une des problématiques clivant la société ; aussi a-t-il été hissé dans la compétition cannoise — on y reviendra. À bien des égards, il est représentatif d’une fragmentation contemporaine où les questions universelles s’effacent derrière des interrogations individuelles, catégorielles. Où l’on ne vise que des convaincus et des concernés en s’en contentant. Une opération blanche en termes intellectuels et sociétaux, mais que d’éclats à l’échelle microcosmique !
Revenons sur son passage à Cannes, où il a décroché une Queer Palm attendue et un Prix d’interprétation féminine pour Nadia Melliti plus surprenant. Non que la comédienne débutante démérite, mais il n’y a rien d’exceptionnel à la voir accomplir ce qu’implique son métier. On craint surtout que ces lauriers aient été attribués ici — comme souvent par le jury officielle — afin de “garantir” au film une place au palmarès, quelle qu’elle soit. Par suivisme ou surenchère (la Queer Palm ayant été remise la veille) ; voire, pire encore, pour le personnage à travers la néo-actrice… Cela, en faisant fi du poids s’exerçant désormais sur Nadia Melliti. Souhaitons-lui de se libérer vite de ce drôle de cadeau.

La Petite Dernière de Hafsa Herzi (Fr., 1h53) avec Nadia Melliti, Ji-Min Park, Amina Ben Mohamed…En salle le 22 octobre 2025.


