Des enfants sans mère et une autrice forgeant sa légende cohabitent cette semaine dans les salles. Entre autres…
Dites-lui que je l’aime de & avec Romane Bohringer
À la lecture du récit biographique que Clémentine Autain consacre à sa mère (la comédienne Dominique Laffin, disparue lorsqu’elle était enfant), Romane Bohringer éprouve le besoin impérieux, quasi viscéral, de transposer le livre en film tant cette histoire est jumelle de la sienne. De fil en aiguille, l’adaptation accouche d’une enquête sur Marguerite Bourry, dite Maggy, la mère de Romane ainsi qu’une réflexion plus générale sur la maternité et le pardon…

Parler de quelqu’un d’autre puis, en cours de route, obliquer pour parler de soi et finalement viser à une forme d’universalité. La méthode littéraire d’Emmanuel Carrère ferait-elle des émules au cinéma ? Car c’est bien en partant “d’autres vies que la sienne” que 🔗Romane Bohringer s’est enfin confrontée au spectre de sa mère longtemps refoulé. S’il n’y avait pas eu ces étranges résonances entre son enfance et celle de Clémentine Autain, elle n’aurait sans doute pas encore trouvé le courage d’explorer ses souvenirs ni de (r)ouvrir les archives de sa mère. Le temps était sans doute aussi venu de s’atteler à cette tâche mémorielle : avant, les cicatrices n’étaient pas refermées ; plus tard, elles eussent été invisibles.
Laffin justifie les moyens
Et puis il y a cette singulière proximité de destins Clémentine/Romane ; cette sororité entre deux enfants de la balle. Ouvrant la voie, Clémentine a rendu possible l’exercice de l’intro-rétrospection. Ne restait à Romane qu’à trouver la sienne propre hors du champ littéraire stricto sensu, en usant de ses outils : en l’occurrence, la transposition cinématographique. Étrange parcours circulaire du titre au passage : emprunté au film de Claude Miller interprété par Dominique Laffin racontant une obsession, il est devenu celui du récit intime de Clémentine Autain avant d’habiller son adaptation à l’écran. Comme si tout, inéluctablement, vouait cette affirmation et ce message d’amour à passer par Dominique Laffin et le 7e Art.
Œuvre de cinéma, Dites-lui que je l’aime version 2025 l’est pleinement, s’emparant de tout ce qui lui est permis d’user pour tenter de cerner son insaisissable sujet. D’abord docu-fiction porté par la double voix des narratrices, puis patchwork émaillé d’images d’archives et de reconstitutions, auto-fiction et film-enquête, il s’achève par une parodie de comédie d’aventures en forme de mignardise. Cependant, chaque parti-pris esthétique de ce film composite, bouillonnant d’idées de réalisation — notamment dans l’idée de restituer plastiquement la persistance de la mémoire — est justifié. Quant à l’alternance de régimes, entre gravité et burlesque, elle démine tout risque d’impudeur ou de sensiblerie : on reste à juste distance et sans complaisance voyeuriste.
Vacance à la mère
Bel exercice de « mentir-vrai », Dites-lui que je l’aime se fait enfin un véhicule fort commode pour tenter d’élucider d’un bloc plusieurs secrets familiaux.

Dites-lui que je l’aime de & avec Romane Bohringer (Fr., 1h32) avec également Clémentine Autain, Eva Yelmani, Josiane Stoléru… Sortie le 3 décembre 2025.
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Les Enfants vont bien de Nathan Ambrosioni
C’est l’été. Suzanne prend la route avec ses deux enfants Gaspard et Margaux. Pour la nuit, elle s’arrête à l’improviste débotté chez sa sœur Jeanne, qui vit seule depuis que sa compagne Nicole l’a quittée. Mais au matin, Suzanne a disparu et Jeanne doit composer avec son neveu et sa nièce. Elle qui ne voulait pas de progéniture fait l’apprentissage d’une maternité subite et… subie.

Dans Toni en famille, 🔗Nathan Ambrosioni avait identifié en Camille Cottin son interprète fétiche ; il se peut qu’il ait désormais trouvé grâce à Les enfants vont bien son style et son ton. Entre dramédie et chronique, semé de fausses pistes et surtout de beaucoup de délicatesse, ce nouveau film prend des distances plus marquées avec ce que l’on soupçonne appartenir au vécu de l’auteur pour s’incarner dans des personnages. Des êtres de fictions dont les parcours et les états d’âmes nous émeuvent, et dont les destins ne s’arrêtent pas aux portes du générique. Car s’il y a un avant et un après dont on ne sait rien, ce que l’on partage avec eux est un présent de grande intensité.
Les enfants sont bien
Traitant d’un sujet casse-gueule car encore mal accepté dans notre société (le refus de la maternité, ici présenté de surcroît sous différentes formes et consécutif à des raisons distinctes), Les enfants vont bien n’est cependant ni un film militant, ni donneur de leçons. Il photographie l’époque avec humanité, sans tomber dans les travers du dossier à la façon du récent 🔗Des preuves d’amour — lequel interrogeait a contrario le désir d’enfant face aux entraves, avec également Monia Chokri. L’équilibre et la pondération font ici loi, grâce à la très belle interprétation (donc intelligente direction de Nathan Ambrosioni) des jeunes comédiens, Manoã Varvat et Nina Birman.
Il n’y a donc grand chose à reprocher à ce film d’une absolue sobriété, refusant le pathos et parvenant à se dépouiller de presque tous les clichés. Presque, car demeure une de ces scories persistantes bien qu’invisible affectant bien des drames réalistes et épurés : la musique au piano-trois-doigts. Un genre de partition — que l’on pourrait qualifier d’habillage sonore minimaliste mais aussi de refus de la mélodie — qui égraine des notes rares mais appuie avec une insistance faussement discrète sur les émotions au lieu de les laisser submerger naturellement le spectateur. Mieux vaut toujours la guitare que le piano en telles circonstances, si toutefois l’on ne peut pas s’accommoder du silence…

Les Enfants vont bien de Nathan Ambrosioni (Fr., 1h51) avec Camille Cottin, Juliette Armanet, Monia Chokri, Manoã Varvat, Nina Birman… Sortie le 3 décembre 2025.
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Fuori de Mario Martone
Figure rebelle proche du milieu artistico-intellectuel romain, Goliarda Sapienza est irréductible à une seule discipline. Tour à tour (ou simultanément) comédienne, résistante, écrivaine, anarchiste, elle commet par bravade en 1980 un vol de bijoux qui lui vaut d’être emprisonnée à la prison de Rebibbia. À sa libération, Goliarda conserve des liens forts avec quelques-unes de ses co-détenues, notamment certaines passionarias du mouvement anarchiste dont elle se rapproche. Parfois très intimement…

« On devrait jamais quitter Montauban » soupirait Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs, arguant que les ennuis découlaient d’un arrachement à son substrat naturel. Sans vouloir faire de ce constat une généralité, reconnaissons que sortir un cinéaste de sa zone géographique de confort peut l’exposer à une certaines confusion, voire le déboussoler totalement. Se couper de Naples a cet effet sur Martone — et donc sur son cinéma.
À Rome artificielle
Fort justement titré Fuori (dehors…), ce biopic de Goliarda Sapienza n’en est pas tout à fait un ; plutôt un puzzle, un kaléidoscope, un portrait décousu de l’autrice de L’Art de la joie, réinterprété de manière libre, opératique, lyrique, tragique selon les “moments”. Sans doute est-ce là plus conforme à la personnalité complexe et parfois contradictoire du modèle mais l’ensemble, mêlant causes, conséquences et époques, s’avère embrouillé pour les non-spécialistes de Sapienza comme des Années de plomb italiennes.
Grande était sans doute la tentation d’incarner cette icône à la gloire posthume et il faut reconnaître l’investissement de Valeria Golino, qui n’hésite pas à en faire trop, mais dans tous les sens. Paradoxalement, cette dévotion un peu jusqu’au-boutiste au personnage finit par apparaître comme un truc, une quête de performance ou une nécessité de meubler le vide parce qu’il manque des indications pour cerner la vérité des faits et des actes. En d’autres termes, on se retrouve face à une impression de fausseté là où la vérité devrait rejaillir.

Fuori de Mario Martone (It.-Fr.., 1h55) avec Valeria Golino, Matilda De Angelis, Elodie, Corrado Fortuna, Stefano Dionisi, Antonio Gerardi… Sortie le 3 décembre 2025.

