<<Retour en 2014<<L’Invention du Passé, ou l’intelligence de la complémentarité. Deux institutions culturelles majeures collaborent pour rendre abordable un mouvement pictural peu connu, le Style troubadour. Une synergie justifiée à plus d’un titre…
L’époque est au multi-maillage des institutions culturelles, à l’interconnexion et au dialogue ; aux résonances raisonnées. Encouragée par les tutelles — voyant dans ces convergences non seulement des économies par mutualisation, mais également la matérialisation d’une offre diversifiée organisée en réseau — cette dynamique trouve entre Bourg-en-Bresse et Lyon une illustration des plus cohérentes avec un diptyque consacré au Style troubadour : L’Invention du Passé. En s’inscrivant dans deux sites éminemment symboliques de l’histoire de ce genre pictural, cette mise à l’honneur joue avec subtilité avec sa spécificité, qui est justement de traiter de scènes historiques, de présenter des images édifiantes ou constitutives de la légende collective.
Enveloppe lyonnaise
Né comme Victor Hugo en 1802, ce mouvement se dessine sous le pinceau d’élèves du plus célèbre mémorialiste-hagiographe de l’Empire, David. Des élèves lyonnais pour la plupart, au rang desquels figurent les jeunes Fleury François Richard ou Pierre Révoil, qui délaissent les thèmes à la mode (représentation d’une antiquité de pacotille, idéalisée, volontiers anachronique), et trouvent leur inspiration dans des événements médiévaux, valorisant ainsi le passé héroïque de la Nation.
Il y a d’ailleurs quelque insolence, en cette période post-révolutionnaire, à vanter ainsi tant de figures glorieuses de l’Ancien régime ; toutefois, en ces temps où le goût des lecteurs penche pour la littérature de cape et d’épée, le genre plaît par son audace, sa nouveauté, sa précision : à l’exactitude portée à la description des décors et des costumes, s’ajoute en effet une exécution d’une minutie digne des maîtres hollandais du XVIIe siècle. Les artistes semblent vouloir fabriquer des images iconiques du « bon vieux temps », ou à tout le moins, les pierres fondatrices d’une mémoire commune. François Ier, Charles Quint, Cromwell, Marie Stuart figurent en majesté ou au seuil de la mort, à des instants-clefs de leur existence, mais rarement en situation galante pendant que des ménestrels leur donnent l’aubade, comme le nom « troubadour » le laisse supposer !
Lettres bressanes
L’origine de cette appellation musicale et frivole est à trouver… à Bourg-en-Bresse, précisément au musée du monastère royal de Brou : c’est là en effet qu’eut lieu en 1971 la première exposition dédiée à ce courant. Elle l’unifia, le théorisa et le nomma, réévaluant par de voie de conséquence des artistes et œuvres que d’aucuns jugeaient secondaires. Quarante-trois ans plus tard, le même édifice renoue avec son histoire et l’histoire de l’art. Et ce n’est pas seulement pour saluer en Brou le précurseur de la dénomination « troubadour » que l’on commencera le voyage par Gothique mon amour ; c’est aussi parce qu’il s’effectue au cœur d’un bâtiment classé au titre des monuments historiques.
Or, la muséographie, très didactique, nous l’apprend d’emblée, les adeptes du Style ont abondamment puisé leur inspiration dans les salles du Musée des monuments français (un conservatoire du statuaire et des tombeaux de l’Ancien régime). Très thématique, le parcours nous présente de parfaits in situ (une section est consacrée aux scènes de cloîtres) et même, comble de la mise en abyme, des vues de l’église de Brou. On admire quelques toiles galantes orientalisantes de Rosalie Caron, ainsi que d’imposantes œuvres signées Daguerre et Bouton (les co-inventeurs du diorama), créant des ambiances fantomatiques saisissantes de mélancolie.
Apostille lyonnaise
L’exposition lyonnaise apparaît comme une prolongation de Brou. Sans doute plus érudite (mais l’on possède les bases après Bourg), elle se visite comme une l’on explore une arborescence hypertextuelle : l’espace, le volume et le choix d’œuvres permettent d’approfondir, en présentant le cas échéant des variations. C’est ainsi que l’on découvre Les Enfants d’Edouard de Paul Delaroche (1830), composition suscitée par le Richard III de Shakespeare, dont l’influence sera considérable, les échos multiples — car l’art se nourrit de l’art : nombre d’œuvres sont des évocations de peintres (Poussin, de Vinci, Raphaël, Le Tintoret…). On notera enfin que cet accrochage donne à voir dans son contexte une récente acquisition du Musée : L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint (1848), de David, le maître des initiateurs du Style troubadour. La boucle temporelle est bouclée…
L’Invention du Passé.
*Gothique mon amour… (1802-1830) au Monastère royal de Brou : 63 boulevard de Brou, Bourg-en-Bresse. brou.monument-nationaux.fr, 04 74 22 83 83. Jusqu’au 21 septembre (tlj de 9 h à 12 h 30 et de 14 h à 18 h jusqu’au 30 juin ; puis de 9 h à 18 h dès le 1er juillet). De 0 à 7,50 €.
*Histoires de cœur et d’épée en Europe (1802-1850) au Musée des beaux-arts de Lyon : 20 place des Terreaux, Lyon 1er. www.mba-lyon.fr, 04 72 10 17 40. Jusqu’au 21 juillet (tlj sauf ma. et jours fériés de 10 h à 18 h ; ve. de 10 h 30 à 18 h ; nocturne 6 juin de 18 h à 22 h). De 0 à 9 €.