<<Retour en 2014. Son deuxième film est hélas passé en trombe sur les écrans au début de l’année ; Riad Sattouf revient par la fenêtre BD et fait coup double avec le 4e tome de sa série Pascal Brutal et le 1er d’une autobiographie touchante et sans afféterie, L’Arabe du futur. Tête à tête avec le camarade d’atelier de Christophe Blain, Mathieu Sapin, Joann Sfar…
Avec L’Arabe du futur, vous vous confrontez à votre passé le plus intime : votre petite enfance. Pourquoi avoir attendu, à l’inverse de certains de vos consœurs et confrères, pour traiter de ce matériau aussi riche ? Aviez-vous besoin de passer auparavant par des filtres, des décalques, des anti-doubles ?
Pascal Brutal, Les Pauvres Aventures de Jérémie, Retour au collège, c’est autre chose… Je ne pense pas que ce soient des filtres, c’était ce que j’avais envie de faire l’époque. En fait, je n’avais pas réussi pas à trouver le bon angle pour traiter ce sujet-là avant ces dernières années. Et même si ce n’est pas possible de faire autrement avec un nom pareil, je ne voulais pas devenir “l’Arabe de la BD”, mettre en avant une spécificité tout de suite — celle du mec qui a grandi en Syrie. Mon envie de faire d’autres choses auparavant, c’était aussi une manière de fuir ce sujet un peu compliqué à aborder. Il fallait que j’aie un peu plus d’expérience.
Y a-t-il un déclencheur extérieur ou interne ?
Lorsque la guerre s’est déclenchée en Syrie, j’ai dû aider une partie de ma famille à venir en France. Et à la suite de cela, je me suis dit que j’allais pouvoir raconter toute l’histoire syrienne, justement, parce que j’avais une sorte de fin.
Toutes proportions gardées, avez-vous marqué une rupture graphique parce que vous traitiez d’un sujet plus grave à l’instar de Picasso pour Guernica ?
(rires), Oui oui, gardons les proportions ! Disons que j’aime bien adapter le dessin à chaque projet. Quand je fais La Vie secrète des jeunes, je ne veux surtout pas que ce soit un truc très détaillé, plutôt sommaire avec quelques expressions et quasiment pas de décor. Pour L’Arabe du futur, comme il s’agissait de souvenirs, c’était beaucoup plus précis qu’une description de la réalité — en tout cas, c’est comme cela que j’avais envie de le faire. J’ai donc adapté mon style au propos.
Il y a, en plus, un code de couleurs…
Oui, il y a une couleur par pays. Ce sont les couleurs que m’évoque chaque pays, et dans chaque pays je m’autorise à utiliser les couleurs du drapeau. C’est aussi une manière de dépayser le lecteur.
Une figure semble se parcourir toute votre œuvre, comme une constante : celle du “déplacé”, du ”translaté” qui de fait peut se faire l’observateur du monde dans lequel il est parachuté : les jeunes, les Syriens, les Libyens etc.
Oh ce n’est pas conscient et ce n’est pas intellectualisé à ce point-là, mais c’est vrai le voyage, les récits de voyages m’intéressent. Apprendre des choses sur des univers que je ne connais pas… Alors forcément, je suis tenté de faire pareil dans mes histoires et de décrire des lieux, des comportements un peu bizarres… enfin, que je trouve marrants à observer. En réalité, c’est surtout de l’observation : j’ai axé La Vie secrète des jeunes sur les jeunes parce que je l’étais encore, proche de mon adolescence, et que j’avais envie d’en parler, sans plus.
Et lorsque vous passez au cinéma, derrière ou devant la caméra, vous ne cherchez pas davantage à vous “déplacer” hors de votre champ habituel ?
Même pas, puisque j’ai fait des études de cinéma d’animation aux Gobelins… Donc la narration par l’image, ce n’était pas un truc qui me “terrifiait“. Et comme j’ai eu la possibilité de faire des films parce qu’une productrice [Anne-Dominique Toussaint, NDR] me laissait faire ce que j’avais envie de faire, je l’ai fait. Toutefois, je me serais battu pour faire de la BD, pas pour du cinéma, parce que c’est très difficile.
Ce qui ne vous empêche pas de faire, en plus, la musique de vos films…
Oui oui… Justement, je me dis que j’essaie faire tout ce qui est possible pour avoir d’autres expériences.
Comment avez-vous ressenti ce curieux effet yoyo après, d’abord, le succès des Beaux Gosses, puis le passage éclair sur les écrans de Jacky au Royaume des filles, plutôt mal distribué?
En fait, je ne sais pas quoi en dire…
Si je savais comment faire des trucs qui marchent tout le temps, je ferais des trucs qui marchent tout le temps (rires) !
Riad Sattouf
Je vais essayer de faire un autre film et de voir. La bande dessinée, c’est l’auteur tout seul avec son crayon et sa feuille de papier ; le cinéma, il faut convaincre plein de gens des idées que l’on peut avoir… C’est un truc de communication intense, alors que la BD, c’est un truc très solitaire. Même quand on travaille dans un atelier — avec mes collègues, c’est surtout pour discuter et rigoler qu’on est ensemble. Pas pour se soumettre pour approbation nos “découpages narratifs” respectifs.
Vous avez planifié trois volumes pour L’Arabe du futur. L’actualité ou les retours de vos proches peuvent-ils influer sur la suite de votre récit ?
Vu le succès, je vais en faire deux cents (rires) ! L’éditeur a dit trois, moi je ne sais pas. Peut-être que le troisième sera plus gros. Mais je n’ai pas encore écrit le contenu.
Propos recueillis par Vincent Raymond