Ode à la simplicité ; hommage au carpe diem infusé de contemplation orientale, Perfect Days a des airs de petit-cousin nippon de Paris, Texas — quête de rédemption, road movie et signature de Wenders inclus.
La vie d’Hirayama, employé des toilettes publiques tokyoïtes, obéit à une implacable routine. Sillonnant la ville au son de cassettes rock vintage pour s’acquitter de sa tâche avec conscience, le mutique sexagénaire savoure sa pause méridienne dans les parcs en prenant des photos des jeux de lumière animant les arbres et passe des soirées recueillies à lire. Une existence de métronome brusquement que va troubler l’irruption de sa nièce, ado en fugue fuyant le carcan familial…
Faste année pour Wim Wenders. Après son documentaire Anselm : le bruit du temps, le cinéaste livre un second opus que l’on pourrait voir — ou ressentir — comme une prolongation dans la fiction de quelques-uns des préceptes du plasticien Anselm Kiefer. En particulier dans la relation aux éléments et la nature, comme source d’inspiration ou “ligne de vie”. Hasard ou coïncidence, la lumière a ici servi de déclencheur à la naissance du personnage d’Hirayama comme le réalisateur le révélait d’ailleurs à Lyon, au lendemain de la cérémonie le couronnant… Prix Lumière 2023.
« Chaque film a sa propre lumière ; chaque film choisit la lumière qu’il veut projeter sur l’histoire des personnages. La lumière est différente chaque jour. [Pour Perfect Days] elle était au début. C’est à cause de la lumière que ce mec est devenu ce qu’il est : il n’était pas toujours nettoyeur de toilettes, il avait une autre vie plus privilégiée (…) Pourquoi l’a-t-il quittée ? Je me suis raconté des histoires pour comprendre le personnage. J’avais écrit pour moi, dans mon carnet — un Japonais ne peut pas lire mon écriture ; d’ailleurs les gens de mon bureau non plus (sourire). La petite histoire, c’était qu’il était un businessman, un chef d’entreprise avec pas mal de succès et d’argent, il avait une femme dont il était déjà divorcé ; il avait tout, mais il buvait et finalement il se trouvait au bout du rouleau. Il ne voulait plus sa voiture, son bureau, il en avait marre.
Un matin, il s’est décidé à mettre fin à ses jours. Et tout d’un coup, il arrive quelque chose d’assez étonnant qu’il n’avait jamais remarqué : sur le mur devant lui, il y a un jeu de lumière ; c’est le soleil qui passe à travers un arbre. Miraculeusement, il trouve son chemin par la fenêtre d’une chambre minable. Pour la première fois de sa vie, il voit ce spectacle chose qu’on peut normalement voir tous les jours — surtout au Japon, où ils ont une grande attention à ces jeux de lumières sur les murs ou le sol. Ils ont un mot pour ça : komorebi. Au moment où il le regarde, il se rend compte que c’est seulement pour lui ; que cette lumière a fait un voyage de plusieurs secondes. Et ça le rend drôlement content. Même celui qui nettoie des toilettes peut avoir ce spectacle pour lui tout seul… »
L’Extrême-Orient, le vrai
Cette connaissance de la genèse secrète du film ne fait qu’accroître le sentiment de profonde familiarité ressenti en présence d’Hirayama, héros errant éminemment wendersien. En rupture de ban avec un passé oppressant, se réfugiant dans une existence ascétique et une profession dont certains pourraient moquer l’humilité voire la trivialité, ne ressemble-t-il pas dans sa trajectoire au Travis Henderson de Paris, Texas surgissant à l’état de loque muette du diable Vauvert, après plusieurs années sans donner de nouvelles aux siens ? Une figure de Lazare, en somme, qui va s’accomplir dans des rites d’apprivoisement (avec sa nièce, avec un partenaire de jeu inconnu le défiant au morpion, avec son apprenti, avec lui-même…) et s’apaiser au fil de son road movie intra muros.
Admirateur d’Ozu — à qui il avait rendu un hommage respectueux dans Tokyo-Ga (1985) — Wenders opère ici la synthèse entre ses thèmes propres et ceux de son aîné, dans cette quête de sérénité passant comme le haïku par l’observation du temps qui passe, une forme de lâcher-prise et de maîtrise formelle. Davantage qu’une “œuvre à l’imitation de…” ou un récit dont on jubilerait à suivre le cheminement narratif, Perfect Days tient de l’expérience ; de l’immersion culturelle autant que du voyage philosophique. Et comme le laisse supposer le titre, il y a une B.O. paradisiaque…
Perfect Days de Wim Wenders (All.-Jap., 2h05) avec Koji Yakusho, Tokio Emoto, Arisa Nakano… (sur les écrans les 29 novembre 2023)