Des extraterrestres métamorphes et voyageurs spatio-temporels sont à l’affiche pour le week-end pascal. Entre autres…
Alienoid – Les Protecteurs du futur de Choi Dong-hoon
Sauf renversement improbable des tendances météorologiques, il vaut mieux cette année faire une croix sur la chasse aux œufs et envisager une alternative. Exclusivement présent dans les salles les dimanche et lundi de Pâques, Alienoid peut se considérer comme un bon dérivatif : il combine dans sa trame une composante “traque“ (capturer des extra-terrestres hostiles plutôt que des confiseries) ainsi qu’une dimension régressive en faisant appel à une foultitude d’ambiances et références pop culture.
Séoul, au début du XXIe siècle. Une entité extra-terrestre à l’apparence humanoïde ou robotique suivant les situations a pour mission “d’injecter” les prisonniers de sa planète dans des humains et surtout d’éviter qu’ils ne s’échappent. Capables de voyager dans le temps, il jugule les tentatives d’évasion de la chiourme réfractaire afin qu’elle n’interfère pas avec la vie terrestre. Dans un moment de faiblesse, il ramène du Moyen Âge un bébé qu’il élève comme sa fille sans qu’elle connaisse son secret. Mais celle-ci devient adolescente et à l’arrivée d’une nouvelle cargaison de détenus, la vérité va surgir… ainsi que des ennuis. Des allers-retours dans le passé seront indispensables pour espérer préserver le présent et le futur…
Film de genre(s)
Les premières minutes donnent le ton d’un projet plutôt osé dans la mesure où il convoque l’esthétique chorégraphique (et le cadre historique) des wu xia pian et oblique sans dommage sur une ambiance que ne renieraient pas les blockbusters hollywoodiens des années 1980 — Terminator, Retour vers le futur, Robocop… Points communs ? Un indéniable sens de l’action et du rythme, le goût des répliques humoristiques portées par un faire-valoir robotique et une propension à fétichiser la machine. Bien plus qu’un “véhicule“, elle est une interface entre les époques, les espèces, les civilisations etc. Elle constitue également un artefact, ce corps étranger résiduel témoignant du passage d’un visiteur venu d’ailleurs.
Le cross over permanent implique un enchâssement de récits à la synchronicité singulière. Choi Dong-hoon réussit le prodige de faire comprendre les enjeux propres à chaque époque, aux liens les unissant sans recourir à des tombereaux de dialogues didactiques : le montage fluide et les indices posés au fur et à mesure permette d’assembler les pièces du puzzle sans éprouver de sentiment d’égarement face à la complexité du récit et des sous-intrigues — bien des scénaristes pourraient en prendre de la graine. Voir dans sa ligne narrative fondamentale un nouvel avatar de La Jetée de Chris Marker (après L’Armée des 12 singes) n’a rien d’absurde.
Film de genre polyvalent (au point de déborder par moment sur la rom-com), Alienoid bénéficie pour s’accomplir dans tous les registres des insolents progrès des effets spéciaux abolissant jusqu’à l’idée d’impossibilité. En découlent des ambiguïtés assez intéressantes lorsque l’on prend un peu de recul, à commencer par celle liée au postulat de départ : que penser du fait que les corps des humains ont été sélectionnés — sans leur consentement — pour servir d’hôte/de prison à des délinquants d’outre-espace ?
Par ici la sortie
Quelques mots sur la sortie dans les salles françaises. Non pas parce qu’elle est limitée à deux jours : on commence à avoir l’habitude de ces charmante excentricité (la plus récente, Creation of Gods : Kingdom of Storms, date de février dernier) mais parce que le parcours commercial de ce long métrage va à rebours des standards — en cela, c’est presque un cas d’école. Porté à la connaissance du public occidental voilà quelques mois grâce à une diffusion virale sur les réseaux sociaux d’extraits savamment choisis (celle de l’hôpital en particulier), Alienoid a été publié sur les plateformes hexagonales en février ; un non-sens au regard du festival d’effets visuels et sonores que déploie ce film réclamant une découverte dans le cocon immersif d’une salle de cinéma. Les spectateurs ne l’ayant pas vu (ou ceux qui l’on visionné en primeur sur un écran riquiqui) seront presque à égalité face à ce grand spectacle.
On s’amusera de noter qu’en faisant entorse à la chronologie des médias (qui impose en France sauf dérogation l’exclusivité à la salle avant tout autre canal de diffusion), cette exploitation baroque s’avère cohérente s’agissant d’un film se jouant des paradoxes temporels ! Rien de bien infamant, donc. Toutefois, si l’on devait émettre une réserve vis-à-vis d’Alienoid, elle porterait sur un travers devenant systémique dans l’écriture des blockbusters. Une sorte de vilaine maladie consistant à ne plus être capable de boucler une histoire proprement. Il semble en effet qu’il faille toujours ménager une fin ouverte… quand on n’annonce pas de manière explicite un prochain passage en caisse pour connaître le dénouement.
Cette forme de soft chantage, où les producteurs font l’aumône d’une franchise au spectateur vache à lait en jouant sur sa frustration risque à terme de se retourner contre eux. Le succès ne décrète jamais, mais se mérite. D’aucuns auraient un peu trop tendance à l’oublier.
Alienoid – Les Protecteurs du futur de Choi Dong-hoon (Co. du Sud, 2h22) avec Byung-Hee Yoon, Chan-hyung Kim, Dae-Myung Kim… Sur les écrans le 31 mars.