Récit d’aventures initiatique pour trois ados dans des Ardennes sinistrées, “Les Trois Fantastiques” parle d’amitié, de trahison, de harcèlement. Également suite d’un court métrage (“Pollux”), ce premier long est aussi le fruit d’un sacré parcours que raconte son auteur Michaël Dichter, croisé au Festival de Sarlat.
Les Trois Fantastiques fait suite à un court métrage, Pollux (2018). Portait-il déjà en germe votre long ?
Michaël Dichter : Au départ, j’ai écrit Pollux avec Marie Monge. C’est l’histoire de cette même bande de copains qu’on retrouve dans le long métrage. Sauf que le personnage principal, c’était Vivian — le plus grand des trois. À la fin du court, je savais que j’avais encore envie de travailler sur l’amitié, sur la loyauté, sur la trahison et sur la famille mais je pensais que j’allais continuer sur Vivian. Mais en tournant la dernière séquence (qui était aussi chronologiquement la dernière séquence) je me retrouve face à Max et son grand frère. Et je me suis dit qu’il fallait que Max soit mon personnage principal : c’est lui qui allait générer le plus de conflits. C’est comme ça qu’est né Les Trois Fantastiques.
Votre film explore tous les conflits de loyauté pouvant exister au sein d’un groupe comme aussi au sein d’une famille…
Et même au sein de la ville, avec l’usine. L’usine et les habitants de la ville avaient passé un contrat : on décide d’emménager ici parce qu’il y aura du boulot ad vitam. Personne ne se dit que l’usine qui fait vivre la ville peut être délocalisée, fermée… et c’est ce qui s’est passé. Le point de départ, c’était Revin avec Electrolu : à l’époque 16 000 de familles emménagent Quelques années plus tard, elles finissent par être 5 000. Tout faisait écho au thème principal que je voulais aborder : l’abandon. Un père qui abandonne sa famille — donc la figure paternelle qui disparaît. Max, notre personnage principal, fait tout pour la remplacer par son grand frère. Après, ça s’est décliné sur tout le film : Max abandonne aussi ses amis ; une usine abandonne ses habitants, qui eux abandonnent le territoire… C’est surtout un film sur l’abandon.
Mais aussi une histoire d’amitié…
J’ai grandi avec Les Goonies, avec Stand by Me — je l’ai vu très jeune avec mes deux grandes sœurs, qui m’ont fait découvrir le cinéma. C’est toujours nos aînés qui nous mettent devant des films qu’on n’a pas forcément le droit de regarder mais on y va parce qu’elles ont le droit. Stand by Me ne m’a pas lâché pendant très longtemps : j’ai continué à le regarder au moins une fois par an. Ces histoires d’amitié hyper fortes, liées à un drame comme dans Stand by Me, ont évidemment aussi inspiré Les Trois Fantastiques, consciemment et inconsciemment. C’est un vrai parcours initiatique, qui se termine au lac, aussi avec une arme et aussi avec un cadavre…
La région où se déroule l’histoire a-t-elle été choisie en lien avec votre enfance ?
Non : j’ai grandi en région parisienne. Mais j’avais tourné le court métrage dans les Ardennes, en région Gand Est, à Revin, d’ailleurs. J’ai grandi dans un milieu social modeste et je me suis rendu compte en parlant avec les gamins et les adultes qu’on parlait le même langage. Les territoires oubliés se comprennent. Peu importe si j’avais grandi en région parisienne et eux en province, à la campagne, ou alors dans des zones désindustrialisées : on avait le même rapport à l’enfance et à l’accélération — le basculement de l’enfance à l’âge adulte est plutôt rapide dans les milieux modestes. Le système D est très vite mis en place et on est aussi très vite confrontés aux problèmes d’adultes. Même si dans le film, ils font tout pour l’écarter — le déni, c’est aussi la force de l’adolescence, de l’enfance — à un moment, ça éclate.
Donc on a tout tourné dans le Grand Est. Tous les décors étaient sur 50 km autour de Charleville. Les gamins viennent de la région eux aussi.
Comment les habitants de la région, témoins de la désindustrialisation, ont-ils vécu le tournage ? L’effet miroir doit être assez troublant quand un cinéaste pose son regard sur leurs problématiques et les transforme en fiction…
Déjà, ils étaient très touchés qu’on s’intéresse à eux avec beaucoup d’empathie. J’essaie de raconter une histoire avec le plus d’empathie possible et surtout de la vivre à travers des enfants : ça crée aussi un décalage — le même décalage que les enfants ont avec les adultes. Après, d’avoir un tournage qui vient… Je me rappelle des tournages qui se faisaient à Bagnolet, ou à Montreuil quand j’étais petit… C’est toujours très excitant de voir un tournage arriver, ça amène tout de suite de la vie, de l’énergie… Les habitants jouent le jeu. On emploie les équipes, les façades, l’intérieur, les appartements, les gamins qui vivent… D’un coup, tout se met en route, et c’est très, très joyeux.
En tournant avec des adolescents, votre “fenêtre de tir” ne devait pas être très large. En témoigne le personnage de Max, dont la voix semble muer…
Pour la post-synchro, vous avez vu juste, c’était difficile parce qu’ils ils avaient déjà mué donc c’était hyper difficile de retrouver la voix d’enfant qu’ils avaient trois mois et demi avant. La fenêtre de tir est très, très mince quand tu tournes avec des ados. Tu les vois changer pendant le tournage quand ça dure un mois et demi. Mais même entre le casting et le tournage, ils avaient déjà changé. Et maintenant, Max c’est le plus grand : il fait 1,85m.
Raphaël Quenard était-il déjà dans le court ?
Non. À l’époque, il n’avait pas fait Yannick, c’était juste un gars qui avait joué dans Family Business et dans un court, Les Mauvais Garçons. Dans ce film, c’est horrible ce qu’il fait et en même temps, il me faisait énormément de peine. Tu as envie de l’aimer et tu n’as pas envie de le détester. Et même si tu le détestes, il a un sourire, un truc qui fait qu’on peut tout lui pardonner. Un personnage autant ambivalent, quelqu’un qui arrive autant à jouer avec mes émotions sur un court, où il n’est même pas personnage principal, il fallait que je le rencontre. On s’est bu un café à Paris, je ne lui ai même pas fait de casting. Il a lu, ça correspondait à son planning chargé — il faisait Yannick quelques semaines plus tard. On s’est tapé dans la main, c’était aussi simple que ça.
Pour Emmanuelle Bercot, ça s’est passé de la même façon. On s’est vus dans un café, on s’est tapé dans la main, on s’est dit : « on le fait ». Et elle a même décalé ses vacances. Elle ne s’est jamais immiscée dans la mise en scène. Elle s’est immiscée dans le jeu mais c’est ce qu’il faut pour un comédien. C’est l’intelligence du comédien qu’on vient chercher. Elle a un instinct qui est très fort. Emmanuelle donne tout de suite le truc qu’il nous faut. Dès la première prise, elle est très forte.
Raphaël, lui, est toujours très en demande de faire des prises et il va toujours apporter quelque chose de nouveau. Ce qui est déstabilisant pour les autres comédiens parce que les dialogues changent, surtout quand c’est des jeunes comédiens qui n’ont jamais tourné. Mais c’est rigolo parce que ça marchait à chaque fois et il donnait toujours, toujours, toujours plus. C’est une force de travail et un esprit très, très créatif. Je pourrais dire de ça de tous les comédiens, même les ados.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être réalisateur ?
L’esprit de groupe… Travailler à plusieurs… Je l’ai compris après. Je ne sais pas ce qui m’a donné envie de faire des films ; je sais que j’ai toujours voulu raconter des histoires. Mais le travail main dans la main de dizaines de personnes, c’est vraiment un truc qui me botte. Avec le cinéma, tu peux tout faire ; tu peux t’amuser avec tout : la musique, la lumière, le cadre, les comédiens… Tu peux vraiment “chef-d’orchestrer” un truc incroyable : t’as un milliard d’instruments… Et j’utilise tout. Tout m’intéresse, même ce qu’on est en train de faire maintenant : pouvoir parler du film. Même la partie d’échanges avec le public. Je suis vraiment trop reconnaissant de pouvoir faire ce que je suis en train de faire ; c’est inconsciemment ce que j’ai toujours voulu faire. Je me rends compte que ma place est vraiment là.
Quel est votre parcours ?
Je n’étais vraiment pas très scolaire : j’ai fait plus d’années de lycée que d’années de collège — cinq, là, où normalement on en fait trois. Je ne connaissais personne dans le cinéma. Dans ma tête, j’étais sûr que tout se faisait en bande. Donc, je me suis dit : « je vais à la fac de cinéma, je vais rencontrer plein de copains, il y en aura un qui sera scénariste, l’autre qui sera chef-op, et on fera notre film ensemble. » C’est pas du tout arrivé comme ça (rires) La fac, c’était beaucoup de théorie, du coup, j’ai arrêté et j’ai commencé à travailler dans un bar et en gros, j’ai gagné de l’argent que je réinjectais en louant du matériel et je faisais des courts métrages.
Mais c’était toujours impossible de rencontrer du monde. La seule année où j’étais à la fac, j’ai fait un concours de réalisateurs organisé par la Fondation Culture & Diversité. J’avais 21 ans à l’époque. Le concours donnait le droit de faire un court métrage à la FEMIS en trois semaines — avec le matos et des comédiens affiliés à la FEMIS — et le président du jury, c’était Cédric Kahn. Je fais le court et on se dit au revoir. J’avais pris le numéro de téléphone de Cédric mais je change de téléphone et à l’époque, il n’y avait pas le Cloud…
Et je retravaille dans des bars. Trois ans plus tard, je re-rencontre Cédric qui vient en famille manger dans le restaurant dans lequel je travaille : « Incroyable ! Il faut absolument que je vous fasse lire un scénario de court métrage. —Pas de problème ! » Il écrit son adresse mail sur l’addition d’un client. Je lui dis au revoir… sauf que je file l’addition au client en question, qui repart avec. Donc je n’ai plus ni mail ni de contact avec lui (sourire).
Je change de boulot pour un autre bar du 11e arrondissement — je crois qu’il habite dans le quartier, parce qu’il revient à nouveau, avec un copain cette fois-ci, pour boire un verre. Là, je lui raconte l’histoire de l’addition et je lui dis : « alors là, j’ai le film, il faut absolument que tu le vois. —Pas de problème, mais j’y pense : je tourne un film sur un groupe de hippies, j’ai peut-être un rôle pour toi. » Je me dis : « Mika, là, t’as le moyen d’approcher le cinéma de très près : tu vas voir des vraies caméras ». Parce que je ne savais même pas comment ça se passait sur un plateau. J’étais très américanisé : dans ma tête, tout le monde avait une caravane. Je rencontre Antoine Carrard, le directeur de casting, j’ai le rôle, je tourne avec Kassovitz que j’adore. Et je vis pendant trois jours le cinéma. C’était dingue.
Quatre ans plus tard, j’ai 27 ans, je fais toujours des courts-métrages, je n’ai toujours pas de production et je connais toujours personne — à part Cédric dont j’ai le numéro et que je ne lâche plus. On continue à s’appeler, il me donne un milliard de conseils. Il m’en donne encore sur mon film, sur la sortie… Bref. Antoine Carrard me rappelle : « J’ai un casting pour toi. —Ça tombe bien, je suis toujours au point zéro de ma carrière. —Ce serait bien que tu le fasses. —Franchement, si je peux faire n’importe quoi dans le cinéma, je le fais. » À l’époque, on avait monté un restaurant avec ma femme à Montreuil, donc j’étais juste restaurateur du midi. J’y vais, je passe le casting, j’ai le rôle pour Telle mère, telle fille distribué par Jérôme Hilal pour Gaumont. Maintenant il est chez Zinc et aujourd’hui c’est lui qui distribue mon film.
Tout cela me permet de rencontrer du monde, il n’y a pas de lien avec les producteurs de courts métrages que je rencontre aussi en parallèle. Car en fait je rencontre des gens qui font le cinéma, je me fais aussi des contacts — parce que la costumière qui était dans Telle mère, telle fille est devenue aussi ma costumière, et d’un coup tous les liens se créent : je rencontre des producteurs qui me produisent mon premier court métrage Pollux. Voilà comment tout s’est passé…
Pensez-vous que ce sera aussi compliqué pour votre deuxième film ?
Le deuxième, ça a été très dur. Parce que je cherchais le deuxième alors que je n’avais pas encore tourné le premier. En fait, j’avais la hantise qu’on se rencontre et que vous me posiez la question — vous, les journalistes ou même des spectateurs : « Alors, c’est quoi après ? » Et que je dise : « pas grand-chose. Pour l’instant, je vis le moment présent. » J’aime toujours être en mouvement. Mais quand on a fini la post-prod du film et le lendemain, j’avais deux idées. Et j’ai commencé à creuser, creuser, creuser… En fait, je ne fais que ça depuis mars dernier. Je sais que le film se déroulera dans un lieu unique et se tournera en hiver.
Les Trois Fantastiques de Michaël Dichter (Fr., 1h35) avec Diego Murgia, Emmanuelle Bercot, Raphaël Quenard, Jean Devie, Benjamin Tellier… En salle le 15 mai 2024.