Convoquant à la fois un étrange souvenir d’enfance et une foule d’acteurs ayant déjà traversé ses films, François Ozon compose un thriller psychologique à retournements multiples où les spectres du passé prennent corps. Sous des dehors faussement lisses, “Quand vient l’automne” est sans doute l’une de ses œuvres les plus complexes et les plus réussies. Rencontre avec le cinéaste et son interprète principale.
Il y a une dimension presque chabrolienne dans ce film…
François Ozon : Provinciale. Dès qu’on fait un truc sur la province, on parle de Chabrol. Mais bon, j’aime beaucoup Chabrol…
Justement, aviez-vous une envie particulière d’un film ancré dans cet univers provincial ?
FO : Après Mon crime, qui était un film d’artifice, tourné beaucoup en studio, et qui se passait à Paris, j’avais envie de tourner à la campagne. On fait souvent un film contre le précédent, donc j’avais envie de me retrouver à la campagne. De filmer la nature. Je me souvenu de ce souvenir d’enfance : ce qui était arrivé à ma tante qui avait organisé un repas de famille et avait invité toute la famille. Elle avait ramassé des champignons… et toute la famille a terminé à l’hôpital, dont certains en très mauvais état . Sauf elle, qui n’en avait pas mangé. Il y a eu donc un soupçon au sein de la famille sur cette grande-tante : est-ce qu’elle n’avait pas essayé de zigouiller toute la famille ? (rires) Heureusement, personne n’est mort. Moi-même ayant beaucoup d’imagination enfant, je jubilais un peu de cette situation. Le film vient de là.
Et pour que quelqu’un ramasse des champignons, il vaut mieux que cela se passe à la campagne. Après, j’ai choisi de tourner en Bourgogne, une région que j’aime beaucoup et que je connais : j’y ai passé une partie de mon enfance, tous les étés près de Clamecy, Donzy…
Aviez-vous des références particulières en entamant l’écriture ?
FO : Pas vraiment de références cinématographiques ; elles étaient plus littéraires. Simenon : c’est une petite ville de province, en apparence, tout a l’air d’aller bien ; Il y a une mamie-gâteau adorable… Mais des choses derrière se passent… Qu’est-ce qui se passe ? Je ne sais pas…
Vous évoquiez la nature. Les champignons induisent l’automne et donc l’esthétique propre à cette saison ; une ambiance symbolique qui a une grande importance sur différents aspects du film…
FO : Absolument. Et puis, c’est aussi, de manière symbolique, l’automne de la vie de ces femmes. Toute cette thématique était importante. Alors, je dois vous avouer qu’on a eu beaucoup de mal à avoir l’automne l’année dernière ; on a euun été indien très long (sourire) Cette année, ce serait parfait. Mais, bon, finalement, à l’image, ça fait automne, non ? Donc on a travaillé avec le chef opérateur, avec la décoratrice… Il fallait que ce soit très pregnant.
Vous retrouvez ici Ludivine Sagnier, avec qui vous avez une histoire de cinéma suivie…
FO : Ça fait vingt ans qu’on n’a pas tourné ensemble !
Il n’empêche qu’à travers vos filmographies mutuelles, un portrait d’elle se dessine…
FO : C’est génial de pouvoir suivre les acteurs dans leur vie et de les filmer à différents âges. Ludivine aujourd’hui, c’est une mère ; moi, je l’ai quittée jeune fille, bimbo, dans Swimming Pool au bord d’une piscine. Et là, je la retrouve en femme fragile, malheureuse, en plein divorce, mère d’un enfant. C’est presque une autre actrice que je redécouvre. C’est super de travailler régulièrement avec des acteurs avec qui on a travaillé. Ça m’est arrivé souvent, quand je m’entends bien avec un acteur ou une actrice. Je suis assez fidèle.
Êtes-vous aussi fidèle aux techniciens ou artistes travaillant avec vous ?
FO : Quand ça se passe bien, oui, il n’y a pas de raison. Après, les techniciens, c’est aussi un casting. On choisit en fonction du sujet, de ce qu’on veut montrer, ce qu’on veut filmer. À chaque fois, c’est une aventure différente.
Quid des compositeurs — les frères Galpérine, en l’occurrence ?
FO : J’avais beaucoup aimé le travail qu’ils avaient fait sur Grâce à Dieu. Là j’ai eu envie de les retrouver. Je leur ai donné des scénarios très en amont. Je leur ai parlé d’une musique atmosphérique ; je voulais quelque chose qui ne soit pas trop présent, un peu tapi. Ils m’ont proposé très vite une mélodie à base de feuilles qui tombent — au début, j’ai cru que c’était des ailes. Souvent, ils mélangent des bruitages avec des instruments ; donc il y a le bruitage de feuilles d’automne qui tombent et sur lesquelles on marche qui revient régulièrement dans le film.
Hélène, comment François Ozon vous a-t-il présenté votre personnage de Michelle ?
Hélène Vincent : Il m’a téléphoné. Il m’a dit : « Bonjour Hélène, est-ce que vous êtes en forme ? — Oui. — Bon, alors je vais vous envoyer le scénario de mon prochain film. Et vous lisez le rôle de Michelle. » Point. J’ai reçu le scénario, j’ai lu ça. J’ai eu le cœur battant tout de suite. Et j’ai dit tout de suite : « Oui ». C’était très simple. Très évident.
Aviez-vous écrit le scénario en imaginant spécifiquement l’interprétation d’Hélène Vincent ?
FO : Je savais que je voulais une actrice qui serait à l’aise avec son âge. Très vite, j’ai pensé à Hélène. Et je lui ai parlé tout de suite de l’idée que j’avais de la filmer avec ses rides, avec sa beauté de femme de 80 ans. Pour moi, c’est important : je trouve que les personnes âgées sont invisibilisées, souvent gadgetisées au cinéma aujourd’hui dans des films un peu caricaturaux, des comédies… Là, j’avais envie de donner deux beaux rôles à des femmes de plus de 70, 80 ans. Et… je trouve qu’elles sont belles ! On ne se pose même pas la question. Elles sont ces personnages, elles sont vivantes. C’est important de les montrer.
Il y a beaucoup de séquences muettes, qui reposent sur l’observation et la présence du personnage. François vous a-t-il donné des indications précises ou bien donné toute lattitude pour composer Michelle ?
HV : Je ne sais pas comment vous dire… On a eu les deux, trois premiers jours de tournage pour se caler… mais après, ça allait de soi. Vu l’âge que j’ai, je vis en pleine campagne dans le Morvan, je vis seule… Mon rapport à la nature, je suis grand-mère… Pour moi, les choses ont semblé très vite à portée de ma main. J’ai eu le sentiment que je pouvais me laisser aller dans ce personnage-là. Être en phase. C’est venu avec une telle facilité — ce n’est pas pour faire des manières : vraiment, ça a été évident. Évident. Et notre relation de travail a été d’une grande simplicité, d’une grande immédiateté.
On ne révèle rien de l’intrigue en évoquant le fait qu’après l’empoisonnement aux champignons, votre personnage est interrogé sur la possibilité d’une préméditation, notamment par son médecin. Le plan qui est retenu dans la bande-annonce se fige sur votre regard, lequel est particulièrement éloquent…
HV : C’est formidable, hein, que j’arrive à faire ça ? (rires) Je pense qu’on navigue entre le conscient et l’inconscient, en sortant nos références. Il y a des choses qui arrivent dans la vie qui tombent à point nommé. Alors là, on va dire quand on vu le film : « mon Dieu, mais quel cynisme, Madame Vincent ! » Ce regard, il s’arrête là.
C’est ça qui est passionnant. Moi je suis complètement avec elle. J’ai pris, comme parti-pris d’être avec elle. Et de la croire. j’ai pris ce parti-là. Pourquoi je laisserai sous-entendre en dessous qu’elle ne dit pas la vérité, sa vérité ? J’ai appris ça au théâtre : quand on ment, on joue de la vérité, absolument. Si on joue de la mensonge, il n’y a plus de mensonge, on sait tout de suite que c’est un gros bobard. Donc, on joue la vérité absolue. Voilà, c’est très, très immoral.
En tout cas, elle est au premier degré.
HV : Moi, j’ai joué au premier degré tout le temps. Le film, lui, raconte d’autres degrés.
François, habituellement, lorsque vous venez présenter un film, vous avez déjà le suivant soit écrit, soit tourné, voire en montage…
FO : Là, il est dans ma tête. Je suis en début de gestation. Vous ne verrez pas le film de moi, l’année prochaine, en 2025. Il faudra attendre 2026.
Même pas de court métrage ?
FO : Non, même pas… Ah, pourquoi pas ? Oui, tiens… Mais non, là, je pense qu’il y aura rien d’autre. Normalement… Je croise les doigts.
Quand vient l’automne de François Ozon (Fr., 1h42) avec Hélène Vincent, Josiane Balasko, Ludivine Sagnier, Pierre Lottin, Garlan Erlos, Sophie Guillemin… En salle le 2 octobre 2024.