Un homme déconstruit, une fille en quête de son père et une féministe tracent des routes parallèles dans les salles cette semaine. Entre autres…
Le Mélange des genres de Michel Leclerc
Comédien abonné aux cachetons, Paul est surtout homme au foyer, son épouse et consœur triomphant sur les planches. Paul a surtout la malchance d’être pris pour cible par une bande de féministes radicales, les Hardies. La faute en incombe à Simone, policière infiltrée au sein du mouvement qui, pour conserver sa couverture, désigne Paul au hasard comme un agresseur sexuel alors qu’il est le plus déconstruit des hommes. Pour lui, le doute et l’introspection s’ajoutent aux ennuis…

Quel plaisir de retrouver dans un film de 🔗Michel Leclerc ce mixte de légèreté et de savoureux mordant qui avait fait le succès de l’inusable Le Nom des gens ! Une alchimie peu banale à la vérité puisque l’auteur (et son indispensable co-scénariste 🔗Baya Kasmi) étaient parvenus à inscrire une histoire sentimentale digne des meilleures romcoms britannique dans une trame politique sérieusement engagée, le tout servi par une distribution idoine et alerte. Rebelotte donc avec Le Mélange des genres.
Après les mâles de droite à rééduquer, Leclerc s’intéresse ici à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes dans notre société, dans chaque strate du corps social : le niveau volontaire individuel, avec le personnage de Paul se “déconstruisant” en endossant les fonctions traditionnellement dévolues aux femmes dans le couple ; la mouvance militante/associative/revendicative/activiste incarnée par le collectif féministe Hardies et enfin, le cadre légal théoriquement représenté par les services de police.
Un genre de nouvelle donne
Mais, et c’est tout son intérêt et son art, si Le Mélange des genres ne conteste évidemment jamais la nécessité d’atteindre à cet objectif, cette comédie pointe avec une acuité caustique les paradoxes et les absurdités de chaque “entité” considérée. Seuls (et seules) les dogmatiques auraient la mauvaise grâce de ne pas saisir, derrière la dérision et le burlesque des situations, la pertinence de l’analyse ici proposée. En flirtant parois avec l’absurde Michel Leclerc, n’est pas loin du lanceur d’alertes lorsqu’il rappelle combien des individus peuvent être aussi suivistes que les brebis de Panurge derrière une ou un gourou en carton : seule compte leur appréciation personnelle de la loi et leur désir de revanche. Il n’épargne pas non plus les services de police qui admettent en leur effectif des éléments ouvertement machistes et laxistes face aux violences domestiques.

Notons au passage qu’il “n’essentialise” pas : il pointe des comportements aberrants émanant de personnes dont les actes sont en décalage manifeste avec ce qu’elles professent ou sont censées incarner de par leur fonction — ce qui ajoute au passage à la causticité de la comédie. Au bout du compte, Le Mélange des genres est moins un pamphlet contre les activistes ou la police — il faudrait vraiment manquer d’autodérision comme les pires des extrémistes pour faire pareil contresens ! — qu’un plaidoyer pour une relation apaisée (et empreinte de douceur) entre les genres. Une sorte de un new deal sociétal et/ou sentimental.
Pas de comédie sentimentale sans sentiments — ici on joue sur le velours de la douceur — ni, surtout, comédie et donc comédiens ad hoc. Comme toujours, Leclerc élargit sa troupe à bon escient avec ici l’arrivée de Benjamin Lavernhe — qui pourrait faire un Benjamin Malaussène parfait tant il est magistral en bouc émissaire. Ce personnage de tragédie essoré par le quotidien est d’autant plus sublime qu’il est porté par une forme de transcendance (la foi qu’il place en son métier de comédien) et sans cesse contrecarré par fatalité alors qu’il s’ingénie à devenir la meilleure version de lui-même. Sa lente et imméritée déchéance, digne de la mise l’épreuve divine de Job, devrait nous apitoyer. Mais l’Homme est ainsi fait qu’il en rit car c’est effroyablement drôle !

Le Mélange des genres de Michel Leclerc (Fr, 1h43) avec Léa Drucker, Benjamin Lavernhe, Melha Bedia, Julia Piaton, Judith Chemla… En salle le 16 avril 2025.
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La Réparation de Régis Wargnier
Alors que son restaurant est sur le point de décrocher sa troisième étoile, le chef Paskal Jankovski disparaît lors d’une partie de chasse en compagnie de son second, Antoine — par ailleurs amant secret de Clara, fille unique de Pascal. Plusieurs mois s’écoulent dans un silence absolu, jusqu’à ce que Clara reçoive une invitation anonyme pour un festival gastronomique à Taipei. Espérant y trouver des réponses et des explications à cette double absence, elle s’envole pour Taïwan…

Le titre résume à lui seul une grande partie de l’œuvre de Régis Wargnier qui a toujours volontiers traité des histoires d’âmes, de corps ou de familles largement endommagées par l’existence, l’Histoire ou la politique… Des individus malmenés en quête d’une restauration (ou d’une rédemption) que raconte le film. Entre réparation et consolation, Clara est bien dans cette attente d’une résolution personnelle que ce parcours initiatique comparable à celui que son père fit jadis en Asie, doit en théorie permettre d’accomplir. Sa quête de sens est de surcroît profondément sensorielle puisqu’elle suit une piste et un atavisme gustatifs.
Réparer les vivants
Dire de La Réparation (et des films précédents de l’auteur) qu’ils sont d’une facture académique ne devrait a priori pas le heurter. Outre le fait qu’il compte au nombre des rares membres de la section “cinéma et audiovisuel” de l’Académie des beaux-arts, le réalisateur a toujours témoigné d’un attachement à la forme, ainsi qu’à une esthétique picturale plutôt classique. Chaque plan est ainsi susceptible d’accueillir une composition valorisant la beauté exotique des paysages, la subtilité des créations gastronomiques, l’équilibre des personnages ; chaque séquence ou presque bénéficie en sus de l’accompagnement immersif de Romano Musumarra, auteur ici d’une partition sobre aux échos mélancoliques.
Le retour du compositeur de La Femme de ma vie (1986), des paysages asiatiques devant la caméra de Wargnier après Indochine (1991) ou Le Temps des aveux (2014) ne constitue pas une redondance ni un bégaiement. Pour preuve, le cinéaste s’entoure ici d’une distribution privilégiant les nouveaux visages — exception faite de Louis-Do de Lencquesaing et Clovis Cornillac, évidemment. Bonne pioche : Julien de Saint-Jean confirme ce qu’il a déjà démontré ailleurs et Julia de Nunez s’affirme dans ce qui est son premier grand rôle au cinéma. S’il fallait toutefois glisser une réserve, elle concernerait les dialogues un peu trop gangrenés de répliques explicatives et utilitaires. Quand on peut faire des images, la parole est souvent superflue.

La Réparation de Régis Wargnier (Fr, 1h44) avec Julia de Nunez, Clovis Cornillac, Julien de Saint-Jean… En salle le 16 avril 2025.
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Oxana de Charlène Favier
Paris, juillet 2018. Alors qu’elle prépare dans la fièvre le vernissage de son exposition, Oksana Chatchko sillonne la ville avec un mixte de lassitude et de colère : l’ancienne fondatrice des Femen peine en effet à faire reconnaître son statut de réfugiée politique auprès des autorités françaises. En parallèle, on découvre la trajectoire qui a mené cette jeune artiste ukrainienne vers l’activisme féministe. Un parcours qu’elle a payé au prix fort…

Le problème des biopics consacrés à des personnes unanimement respectées rappelle cette impasse que rencontre la littérature noyée sous les bons sentiments : quand le personnage principal se prête à une forme de sanctification laïque, le récit de sa vie tourne vite, qu’on le veuille ou non, à l’hagiographie. En même temps, faudrait-il se forcer à assombrir le portrait pour la seule raison que le sujet manque de zones d’ombres et de nuances ? Tout le monde n’a pas la chance d’avoir à traiter d’une fieffée crapule façon Mister Hyde !
D’autres vies que la sienne
Concernant Oksana Chatchko, il n’y a pas débat : son légitime combat en faveur des droits des femmes ainsi que l’empilement des misères l’ayant frappée au cours de sa courte existence créent une sympathie spontanée à son endroit. Lanceuse d’alerte et militante, la jeune artiste s’est surtout retrouvée à plusieurs reprises en situation de victime : d’abord torturée, molestée et stigmatisée en Ukraine, Biélorussie et Russie puis trahie par d’anciennes sœurs de lutte qui la déposséderont du mouvement qu’elle a fondé, Femen.
Cet ensemble tragique se soldant de surcroît par un suicide avait à lui seul de quoi dessiner l’arc dramatique du film. Mais par un choix — une coquetterie, presque — d’autrices et pour faire davantage fiction, 🔗Charlène Favier et sa coscénariste Diane Brasseur ont imaginé un “dernier jour“ synthétique pour Oksana, haché de flashbacks. Hélas, ces va-et-vient incessant chahutant artificiellement la chronologie brouillent davantage la compréhension qu’ils ne rythment le récit. Voilà qui laisse une impression mitigée : comme si, une fois encore, d’autres voix avaient cherché à recouvrir celle d’Oksana. Paradoxal.

Oxana de Charlène Favier (Fr, 1h43) avec Albina Korzh, Maryna Koshkina, Lada Korovai, Noée Abita… En salle le 16 avril 2025.