Cette semaine sur les écrans, Tom Cruise plonge profondément sous l’eau, va loin sous terre et s’envole très haut dans le ciel à cause d’une IA. Entre autres…
Mission : Impossible – The Final Reckoning de Christopher McQuarrie
L’Entité, intelligence artificielle pernicieuse s’est infiltrée dans le cyber-espace et cherche à prendre le contrôle de l’arsenal nucléaire mondial afin de raser l’humanité du globe. Au lieu d’affronter cet ennemi commun, les grandes puissances se surveillent mutuellement. Pendant ce temps, Ethan Hunt est dépositaire d’une clef donnant accès à un boîtier contenant le code source susceptible de neutraliser l’Entité — surtout si on lui adjoint le virus codé par Luther. Problème : Ethan est en cavale, recherché par toutes les polices et son antagoniste Gabriel ; quant au boîtier, il dort dans un sous-marin nucléaire russe coulé quelque part sous la calotte arctique. Ah : et il ne reste que quelques heures avant une potentielle fin du monde…

Il faut reconnaître à Christopher McQuarrie une forme d’intuition ou de prescience : bien avant que les IA s’insinue dans le moindre interstice de notre quotidien, il avait anticipé la sortie de leur état de latence — en tout cas avant 2020, époque du tournage de The Dead Reckoning.
Cette suite tombe d’autant plus à propos qu’une reprogrammation autonome d’une IA ou que son retournement contre son créateur humain n’est plus du domaine de la science-fiction — ainsi que l’avait envisagé Kubrick dans 2001. Le méchant processeur est aujourd’hui en passe de supplanter l’ennemis russe/chinois/nord-coréen/iranien (rayez la mention inutile) dans les superproductions hollywoodienne. Heureusement, au cinéma, il y a Tom Cruise.
Tom Cruise, surhomme physiologique
Explicitement voulu comme la coda et l’apogée de la franchise M:I, ce huitième opus propulse son héros tutoyer les zones les plus extrêmes du globe, au risque de se fâcher définitivement avec toute forme de vraisemblance. Ethan Hunt enchaîne donc un saut tout habillé dans des eaux polaires, une apnée qui lui vaudrait un titre mondial (suivie d’une décompression susceptible de l’envoyer au cimetière) ; un corps-à-corps aérien auquel succède une chute libre avec parachute en torche — au sens igné du terme. Cela, bien évidemment, en l’espace de trois jours. Ce qui lui laisse le temps d’échapper à deux ou trois bobinettes nucléaires désamorcées juste à temps dans des souterrains ainsi qu’à quelques tentatives de meurtre par arme blanche ou par balle.
En apparence invulnérable, Ethan/Tom laisse toutefois transparaître quelques failles — pour rappeler qu’il demeure humain, sans doute. Mais, à l’instar de Macbeth — que « nul nul homme né d’une femme ne peut blesser » — personne ne peut le tuer ni le battre. Il y a bien l’Entité, un programme numérique “surnaturel” qui parvient à s’insinuer dans ses pensées, mais cette divinité digitale en profite pour faire de lui son Élu. Pour le reste, lorsque Ethan/Tom se trouve dans une position fâcheuse, c’est toujours une femme qui vient le tirer d’affaire : la Présidente des États-Unis, une pacha de porte-avion, une matelote dans un sous-marin, son équipière Grace etc. Sous-texte : personne, du genre masculin, ne peut prétendre avoir secouru le mâle alpha tête de gondole désigné prophète par un algorithme.
En plus d’être un Macbeth de l’âge du silicium, Ethan/Tom se la joue Frodon en plongeant dans le Mordor russe gelé avec une clef lui donnant — indirectement — accès au pouvoir absolu. Y aurait-il du Tolkien dans la quête de Mission : Impossible ? Ce serait comme prétendre qu’on retrouve un rebondissement majeur du Chant du loup dans les aventures sous-marines de l’amphibie rédempteur.
Au temps pour lui
Frôlant la démesure jusqu’à l’asymptote, The Final Reckoning ne succombe pourtant jamais à la facilité de la parodie connivente : même si cet épisode se fait volontiers auto-réflexif, alimentant son récit d’extraits des précédents, c’est toujours dans une optique dramatique. Cette incorporation de matériau ancien pourra sembler homéopathique au regard de la masse globale du film (2h51 !). Ces télescopages temporels s’inscrivent toutefois en cohérence avec l’écriture narrative de la série connue pour bousculer la chronologie en ayant recours à des flash-forward — cela, dès le générique du début, c’est même sa signature — au risque de divulgâcher des séquences-clefs, ce qui peut paraître un comble dans un film à suspense.

McQuarrie ne se prive donc pas de “déplacer” par anticipation des scènes dont les morceaux de bravoure n’apporteraient rien, voire de pratiquer l’ellipse ou de faire fonctionner le hors-champ. S’il vérifie ainsi par l’exemple la validité de l’adage less is more, il permet à son grand finale aérien d’occuper en majesté l’écran dans la longueur et l’esprit du public. Si l’on était taquin, on supposerait qu’il s’agit d’une conséquence du précédent opus, où la spectaculaire cascade à moto de Ethan/Tom était passée à l’as, supplantée par la conclusion haletante dans le train.
Alors oui, c’est plaisant parce même si que ça se prend au sérieux d’une manière désuète, comme un film des années 1980, c’est plutôt bien ouvragé. Raison de plus d’être agacé par un détail minime : quel esprit fantasque a pu s’imaginer qu’il serait judicieux de laisser le personnage incarné par Pomme Klementieff s’exprimer en français les 90% du temps ? Parce qu’elle s’appelle Paris (!), au cas où le public international n’ait pas compris la subtile allusion ? Pour montrer que Tom Cruise maîtrise l’idiome hexagonal à la perfection (non) ? Pour faire exotique (bof) ? Érigé en système, ce dialogue décalé donne surtout l’impression que la projection est passée en mode bicanal multilingue sous l’action d’une IA capricieuse. Satanée Entité !

Mission : Impossible — The Final Reckoning de Christopher McQuarrie (É.-U., 2h51) avec Tom Cruise, Simon Pegg, Hayley Atwell, Rom Klementieff, Esai Morales, Ving Rhames, Angela Basset, Henry Czerny, Rolf Saxon…En salle le 21 mai 2025.