Une jeune dessinatrice de retour au bercail et une collégienne victime de harcèlement se croisent sur les écrans cette semaine. Entre autres…
Juliette au printemps de Blandine Lenoir
Après une longue période dépressive, Juliette est de retour dans sa ville d’enfance où réside toujours sa famille. Encore un peu fragile, elle doit faire face à ses parents séparés, à sa sœur aînée jamais avare de conseils (mais à la vie privée moins policée qu’il ne paraît), à sa grand-mère partant à l’EHPAD ainsi qu’à un secret profondément refoulé…
Les grand-mères, les mères, les sœurs de combat dans le droit de disposer de leur corps, les filles aujourd’hui… Il y a autant une cohérence qu’une évidence dans la galerie de personnages animés par Blandine Lenoir, film après film. Né bien sûr d’une nécessité de combler une faible représentation d’une moitié de l’humanité à l’écran mais surtout de leur octroyer davantage qu’une place : un regard, un intérêt, une considération. Il serait réducteur — pour ne pas dire stupide — de désigner son cinéma comme strictement “féministe” ou “féminin” puisqu’il s’adresse à tout le monde en offrant des personnages peu filmés auparavant ; autant qu’ils soient désormais vus par le plus grand nombre possible.
Héroïne de cette histoire autant que témoin de sa propre famille qu’elle redécouvre, la Juliette du titre est aussi une figure inhabituelle à l’écran de femme émergeant d’une dépression. Loin des clichés kleenex-abandonnée par son mec/sa copine, la protagoniste s’offre une immense introspection permettant à chacun et chacune de reconsidérer son existence. C’est d’ailleurs parce qu’on fait *littéralement* sortir le fantôme du placard — et de la maison — que vont se dénouer les tensions entravant la vie de Juliette, de sa sœur aîné Marylou trop parfaite (et hyper stressée), de leurs parents trop séparés, de leur grand-mère trop muette…
Boucle d’ours
Pour cette seconde adaptation d’une bande dessinée de Camille Jourdy (après le peu convaincant Rosalie Blum de Julien Rappeneau en 2015, où figurait déjà Noémie Lvovsky), Blandine Lenoir a su conserver le ton mélancolique de l’autrice. Sans doute parce qu’elle l’a “incorporée” à travers ses illustrations (c’est sa main qui dessine) et qu’il y a même une séquence animée contribuant à l’ambiance semi-onirique — les créations graphiques de Juliette se nourrissant du réel, de souvenirs refouler pour raconter d’autres histoires, dans un système d’enchâssement de récits finissant par exhumer ce que l’inconscient avait caché. D’un point de vue plus anecdotique, on décèlera dans les images de ce film une lointaine référence visuelle à l’une des premières parutions de Camille Jourdy, Peau d’ours (2006). Le passé refait toujours surface, même s’il se déguise…
Juliette au printemps de Blandine Lenoir (Fr., 1h36) avec Izïa Higelin, Sophie Guillemin, Jean-Pierre Darroussin, Noémie Lvovsky, Éric Caravaca… En salle le 12juin 2024.
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Excursion de Una Gunjak
Sarajevo, de nos jours. Pendant que leurs parents discutent des modalités de la sortie de fin d’année devant se dérouler en Italie, des collégiens s’occupent en jouant à “action-vérité”. La jeune Iman confesse alors avoir déjà couché avec un garçon. Les jours passant, la rumeur va se répandre et inciter Iman à pousser le curseur un cran plus loin en affirmant qu’elle est enceinte. Les conséquences seront terribles…
La Bosnie-Herzégovine accueille ici une nouvelle étape dans le tour du monde des films faisant de l’institution scolaire non le sanctuaire de l’apprentissage, mais un lieu d’exclusion, de souffrance et de discrimination. Parce ce qu’ils sont jaloux ou soucieux de devancer les réactions du groupe, de leurs aînés par mimétisme, des adolescents mal dans leur peau (pléonasme) se ruent sur celle qui désigne sa différence par rapport aux autres. Qui, à leurs yeux, s’affirme comme bouc émissaire potentiel et dérivatif à toutes leurs déconvenues.
Una Gunjak prend du temps — parfois un peu trop — pour dépeindre le contexte social et familial d’une grande partie des collégiens. Conséquence : ce que l’on gagne en détails sociologiques sur la vie à Sarajevo (les disparités économiques, la relative harmonie pour ne pas dire indifférence entre les différentes religions…), on le perd hélas en efficacité dramatique. Et quand la mécanique du harcèlement s’emballe quasiment de manière incompréhensible, l’issue saisit le spectateur de manière brutale, le laissant avec le sentiment d’une dommageable absence de résolution pour Iman. C’est là toute la différence entre une fin ouverte et une fin frustrante.
Excursion de Una Gunjak (Bos.-Her.-Cro.-Nor.-Ser.-, 1h30) avec Asja Zara Lagumdžija, Nađa Spaho, Maja Izetbegovic… En salle le 12juin 2024.