Rarement comédien aura montré autant d’enthousiasme à l’idée de montrer les coulisses de son métier. Dans Avignon, Baptiste Lecaplain interprète un acteur de comédie prétendant jouer Rodrigue dans Le Cid afin de séduire une consœur. Conversation lors des Rencontres de Gérardmer.
Au-delà de la comédie Avignon évoque la sempiternelle concurrence entre le théâtre privé et le théâtre public…
Baptiste Lacaplain : Bien sûr. Ça va même au-delà du théâtre : c’est la considération de la comédie populaire. Tous les ans ça revient aux César : est-ce que la comédie populaire est assez mise en avant, assez considérée ? C’est ce qu’a très bien réussi à faire Johann Dionnet à l’écriture : lui a énormément participé au Festival Off d’Avignon, et il a aussi fait un peu du In. Il a donc pu voir les deux côtés du Festival. Et même s’il y a le côté subventionné et le côté un peu plus populaire, on reste des comédiens faisant Avignon ; on est logé à la même enseigne. C’est deux mondes extrêmement proches, en vrai.
Vous-même, avez-vous observé au cinéma le même dédain entre les comédiens “classiques“ et ceux de comédie populaire ?
Je ne l’ai pas vécu personnellement, mais je sais que des copains humoristes ont pu avoir à un moment donné des remarques quand ils sont arrivés sur des films. On leur disait ; « mais qu’est-ce que vous venez faire au cinéma, les humoristes ? » Mais c’était plus de la défiance de gens qui ne sont pas forcément sensibles à ce qu’on peut faire sur scène. Une fois qu’on se rencontre, on est des comédiens : mine de rien, tout le monde vient du théâtre, du conservatoire, d’une troupe d’improvisation, d’une troupe de théâtre amateur, ou du one man show… On est obligé de passer par les planches avant.
Denzel Washington, à qui un journaliste disait : « vous êtes un acteur hollywoodien » répondait : « non, je suis un acteur de théâtre; Les gens oublient que je viens du théâtre ; après, je suis arrivé à Hollywood. » Comme Anthony Hopkins. C’est le cas de plein de gens : on vient tous du théâtre à la base.
La profession de comédien est une profession de menteur. Dans Avignon, votre personnage l’utilise dans sa vie privée. Selon vous, est-ce un interdit pour un comédien d’utiliser son talent dans la vie privée ?
(rires) Je ne sais pas si c’est un interdit, non, je ne pense pas. Mais c’est vrai que c’est bizarre… Je suis très différent du personnage public que je peux être : quand j’arrive à la maison, je n’ai pas envie de faire des blagues — mais c’est parce que je suis fatigué. Je ne pense pas que ce soit un interdit, mais on s’en sert toujours. Les longues marches que j’ai pu faire ado, où j’étais triste, mélancolique — parce que je n’étais pas aimé par mes amoureuses, que j’étais frustré de ma condition de collégien ou que je ne savais pas quoi faire dans la vie — toutes ces heures passées, j’ai essayé de les ramener dans le film. C’est que j’ai adoré dans ce scénario, ça m’a tout de suite parlé : tous les comédiennes et comédiennes, on a tous quelque chose à voir avec ces personnages dans le film.
Je suis vraiment pressé de le montrer à des copains ; qu’Arnaud Tsamère et Jeremy Ferrari le voient, par exemple. J’ai vraiment envie qu’ils revoient l’essence d’Avignon, de ce que c’est un acteur qui doute, Même si on a des carrières qui marchent plutôt bien, on est tout le temps en train de douter, de se remettre en question. Johann Dionnet parle du métier comme personne, je trouve. Mais ce n’est pas un film qui ne parlera qu’aux gens du métier.
Il montre aussi un humoriste qui va vers le théâtre classique. C’est d’ailleurs déjà arrivé. Cela pourrait-il vous attirer ?
Non, je ne pense pas. Mon premier jour de tournage sur le film Libre et Assoupi, j’étais face à Denis Podalydès. Le réalisateur Benjamin Guedj était ultra-fan de lui, et moi je le connaissais un petit peu, évidemment, mais pas comme sociétaire de la Comédie-Française. On a fait deux jours de tournage ensemble et à la fin de la première journée, Denis m’a dit : « ah, un comédien m’a planté pour une tournée de la Comédie-Française. Il y a un rôle, tu serais pas mal dedans » Je crois que c’était Les Fourberies de Scapin. Et là je me suis dit : « ah bon ? » Benjamin Guedj était là : « Dis oui, dis oui, dis oui ! » J’ai dit : « ah oui, je veux bien, Denis, pourquoi pas ? »
Et puis je me suis dit : « mais t’es malade, t’es zinzin ; je ne vais pas me retrouver avec des gens de la Comédie-Française ; je n’ai absolument pas le niveau, ni la légitimité ». Benjamin m’a dit : « Mais on s’en fout : Denis Podalydès t’as regardé et a dit : “il pourrait le faire !” ». Mais le lendemain, Denis : « je suis désolé, finalement, on a trouvé quelqu’un en interne ; en tout cas, ça n’aurait pas été bête ».
Mais juste le fait qu’il ait pensé à moi, ça m’a donné du fuel pour tout le film. Putain, Denis Podalydès m’avait considéré au milieu des Benjamin Lavernhe, des Pierre Niney que moi, j’allais voir au cinéma ! Du coup, ça m’a donné envie d’aller au Français — j’y suis allé. Avoir juste une petite considération de quelqu’un comme lui, ça m’a galvanisé.
C’est exactement comme votre personnage…
Exactement. Et c’est pour ça que je me suis retrouvé à plein d’endroits dans ce scénario. Des films, j’ai toujours voulu en faire quand j’ai démarré le métier d’humoriste. Des castings et des rôles, j’en ai ratés ; des fois, je n’ai pas tourné pendant longtemps et je me disais : « bon, ben, c’est foutu ». Pas au point d’aller travailler dans un bar comme mon personnage mais je me disais que je ferais des one-man shows et pas de cinéma. Vous espérez toujours séduire un réalisateur, une réalisatrice ; arriver à le convaincre…
Je me suis retrouvé plein de fois, dans la position de Stéphane. Et je me retrouverai encore, très certainement, dans cette position-là. C’est pour ça que quand j’ai lu cette partition je me suis dit : « mais c’est tellement génial, pour ce que ça représente dans le métier, dans la vie de chacun ! Ce rôle est tellement incroyable. »
Vous-même avez “fait” Avignon ; cela a-t-il changé quelque chose à votre carrière ou votre spectacle ?
Avignon, je le voyais comme un exercice de travail : ça me permettait de jouer tous les jours et de faire progresser mon one-man show très, très, très vite. Mon producteur Thierry Suc n’avait jamais mis ses artistes à Avignon, mais je lui avais dit : « je te jure, c’est vraiment génial, pour travailler, c’est un exercice formidable » Je jouais tous les jours, je ne pensais à rien d’autre : je me levais, je faisais mon sport, j’écrivais mes blagues, je les corrigeais et voilà… Je n’ai fait que ça au festival d’Avignon et c’était trop bien.
En plus, ça vous permet de rencontrer d’autres gens. Je me souviens, j’avais croisé, Philippe Caubère dans la rue, je n’avais pas osé lui parler — j’avais vu son spectacle, j’avais été estomaqué par le gars. Des années plus tard, j’avais parlé de lui dans une interview, sa compagne m’avait dit : « ça lui a fait très plaisir que vous le citiez, il vous aime beaucoup. » J’avais regretté de ne pas l’avoir abordé. Avignon permet de rencontrer d’autres gens et des lieux : ça joue dans des églises, des chapelles, des fonds de garage, des appartements… Avignon, c’est un endroit formidable. Tout prend vie pour le théâtre et les planches
Le film Avignon insiste aussi sur la galère pour les comédiens et les compagnies. Mais vous, n’avez pas vécu le festival de la même manière…
Non, c’est vrai : je l’ai vécu en tant que privilégié grâce à Thierry Suc qui m’avait mis dans des conditions incroyables. Mais j’ai pu voir ce que c’était la galère des comédiens vraiment épuisés de fatigue. Rouges à cause du soleil, comme ce comédien qui paradait pour la pièce Faites l’amour avec un Belge : il se mettait dans une barquette de frites en carton — on pensait qu’il était tout nu. Il a paradé tout l’été et à la fin, il était brûlé au niveau des épaules… Et on s’était foutu de sa gueule au début !
Jérémy, il a fait Avignon dans des conditions drastiques : ça ne marchait pas, il a eu des salles vides, il n’était pas bien. Arnaud, je crois, il l’avait fait une année avant. Après la télé, quand Jérémy et Arnaud ont fait Avignon, ils n’avaient même pas démarré que tout était complet. Et ils s’étaient mis en haut d’une place avec un panneau : « Jérémy Ferrari et Arnaud Tsamère tractent de façon intense » alors qu’ils étaient pleins. Arnaud m’avait dit : « avec du recul, on a regretté de faire ça parce que des comédiens galéraient et passaient devant nous et se disaient : “ben les gars, la télé, ils font ça…” » Je leur ai dit : « vous allez venir voir le film, vous allez vous prendre une leçon d’humilité » Mais ils en sont conscients.
À Avignon, les gens, sont d’une inventivité incroyable : il y a toujours un gros débat sur l’empreinte carbone des flyers. Je me souviens d’un mec qui donnait les siens dans la rue : « venez me voir etc. » et vous faisiez 10 m et il y avait une boîte qui disait : « si vous pensez jeter mon flyer, s’il vous plaît, remettez-le dans la boîte ». Wow ! Pour moi, c’est le Mark Zuckerberg d’Avignon. C’est une idée phénoménale. Dans la galère, les gens arrivent à trouver des trucs.
Quand j’ai tourné le film à Avignon, il y a des séquences où je sprintais. Et des comédiens m’arrêtaient : « si tu peux venir nous voir ; dire un petit truc sur Instagram parce que tu as des followers ; dire aux gens d’aller voir mon spectacle… » Vous êtes en face de gens qui ont envie d’y arriver : ils vous voient en train tourner un film et qui se disent que c’est énorme… Avignon, pour moi, c’est l’humilité à chaque coin de rue. Vous ne pouvez pas fanfaronner Avignon. Je suis fils de commerçant, donc je n’ai jamais eu ça, dans mon éducation — de fanfaronner trop, de me la péter — mais Avignon vous l’apprend.
Chez les comédiens, il y a le doute mais aussi l’inquiétude de la durabilité. Varier les plaisirs entre le solo, le trio, le cinéma vous rassure-t-il ?
Je ne sais pas si ça me rassure, en tout cas, je me rends compte que j’ai une année extraordinaire qui arrive avec mes 40 ans : elle est vraiment folle. Le film avec Christian Clavier Jamais sans mon psy ; j’ai on a gagné trois prix à l’Alpe d’Huez avec Avignon ; il y a Bref 2 qui est sorti ; la tournée du Trio est complète… Kyan Khojandi à l’avant-première de Bref 2 au Grand Rex m’a regardé et m’a dit : « je suis content pour toi. Tu ne t’en rends pas compte, mais tu as une très belle année qui arrive » Que Kyan me l’ait dit m’a permis de m’en rendre compte. Après ça ne garantit pas le succès mais ça fait plaisir.
Dans ce film, finalement, ce n’est pas tellement vous qui êtes drôle…
(rires) Je rêvais de faire une belle comédie romantique, parce que je suis fan de Hugh Grant, qui est un peu la référence dans les comédies romantiques. Et puis même des films français Ma vie en l’air de Rémi Bezançon, Mensonges et trahisons… du regretté Laurent Tirard avec Edouard Baer et Clovis Cornillac. Il y a eu une série de films français incroyables sortis à ce moment-là. Et puis j’ai grandi avec Klapisch ; Romain Duris, qui est quand même un héros extraordinaire dans L’Arnacœur… Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal ont fait des films incroyables… Les comédies romantiques m’ont toujours attiré. Les héros de comédies romantiques, c’est les princes charmants modernes : au lieu de se battre avec une épée, ils ont leur mélancolie et ils essaient de se tirer de là. Mais Hugh Grant c’est quand même la réf’.
Il faut en écrire une…
Ouais… Déjà, j’ai refusé Vingt ans d’écart, donc je lis pas bien, des fois… (rires) Donc écrire… Mais écrire un film à trois avec Jérémy et Arnaud, si on a une très bonne idée, on le fera. Écrire, dialoguer, ça me plaît ; réaliser, non, c’est trop de travail, c’est trop dur. Florent Bernard, qui a fait Nous les Leroy et qui est en train de préparer son deuxième film, je vois l’investissement qu’il met. C’est un vrai travail serré, un vrai truc dur. Et les réalisateurs et les très bons scénaristes n’écrivent pas des one man à côté, ils ne font que ça. Nous, les blagues, ça nous prend de l’énergie.

Avignon de & avec Johann Dionnet (Fr., 1h44) avec également Baptiste Lecaplain, Alison Wheeler, Lyes Salem, Elisa Erka…