Un espion en bout de course et une petite fille ouvrant les yeux sur le monde sont les têtes d’affiche de la Fête du Cinéma dans les salles cette semaine. Entre autres…
Reflet dans un diamant mort de Hélène Cattet & Bruno Forzani
Dans un hôtel de luxe de la Riviera où il s’éteint à petit feu, un ancien agent secret reprend goût à sa vie aventureuse lorsque sa voisine disparaît. Pour lui, c’est le signe que son ennemi juré, Serpentik, est de retour. Mais il n’est pas aisé de repartir au combat quand on a l’âge de ses artères, la mémoire qui flanche — au point de confondre passé et présent — et des soucis de trésorerie. D’ailleurs, qu’est-ce qui prouve que tout cela est bien réel ?

Quel sens du timing de la part de Cattet & Forzani ! Au moment où la franchise James Bond, désormais propriété de l’ogre Amazon, vient de révéler l’identité de son nouveau réalisateur en la personne de Denis Villeneuve (mais toujours pas de l’interprète de 007), Reflet dans un diamant mort offre une étincelante remise en perspective de la saga bondienne, à l’aune de sa grandeur et de sa décadence. Entre hommage franc au registre de ce sérial et méditation mélancolique sur sa déliquescence incarnée par son héros d’un autre temps, cette relecture du mythe peut se voir, à l’instar des autres réalisations de Cattet & Forzani, comme un spoof sérieux : une sorte d’anti-parodie “méta“, mise en abyme incluse.
S’ils ciblent ici la figure de l’agent secret tel qu’il est apparu à l’écran au tournant des années 1960 sous les traits de Bond (et de ses nombreux épigones), ils ne changent rien à leur méthode. Habitués à détricoter les lignes programmatiques et stylistiques du polar, de la série B ou du cinéma underground pour mieux les réagencer à leur convenance, ces deux stylistes poursuivent leur utile entreprise de revalorisation patrimoniale transgressive. Plus théorique et poétique que Tarantino, leur veine n’en est pas moins jouissive pour les cinéphiles… ni moins spectaculaire.
Le meilleur des Bond… sans Bond ?
À l’instar du père Quentin, ils légitiment leur palimpseste en convoquant des témoins d’époque : Fabio Testi (jadis interprète de giallo dont la silhouette actuelle évoque Sean Connery âgé) mais également des titres de Christophe, de Morricone, de Bruno Nicolai pour B.O. Ils parsèment par ailleurs leur récit de “tropes” bondiens, figés dans cette série supérieurement et surperlativement cinématographique dès ses trois premiers volets — Dr No (1962), puis From Russia with Love (1963) et enfin Goldfinger (1964).

Même s’ils ont depuis été imités par une foultitude de concurrents, ces référents sont presque réductibles à la franchise ; ils suffisent en tout cas à l’identifier : une séquence pré-générique, un générique graphiquement marquant avec des silhouettes féminines, une thème associé au héros, une séquence de casino, un héros en smoking, une side-girl qui finira forcément mal, une opposante pas mieux lotie, des gadgets, des poursuites en voiture et une redoutable némésis… Le cahier des charges est respecté à la lettre ; Reflet dans un diamant mort tient quasiment du James Bond par prétérition !
Paradoxalement, il se rapproche du plus irrévérencieux des Bond-non-Bond, le 🔗Casino Royale de 1967 produit par Charles K. Feldman, qui possédait les droits de la première aventure de 007 écrite par Fleming — alors que les autres étaient entre les mains de Broccoli & Saltzman, les tenants de la série canonique. Mais si ce film hors du commun signé par cinq réalisateurs (!) abordait la déchéance de l’espion vieillissant (campé par David Niven), il s’agissait alors moins d’explorer la psyché molle d’un héros aux abois que saisir l’opportunité de surfer sur la bondomania en fabriquant une pochade absurde. Et jubilatoire pour qui a le sens de l’humour.
Silencio

Belle ouvrage constituée de subtils enchâssements, Reflet dans un diamant mort trouve en Yannick Renier un très convaincant “John“ — preuve que les agents secrets peuvent être belges — et dans l’aréopage de comédiennes un glamour mâtiné de sadisme rarement vu dans la maison 007. Chorégraphies pugilistiques de haut rang, photographie d’une chaleur incandescente, esthétique visuelle imparable : c’est à peine que l’on s’aperçoit que le récit glisse progressivement vers un fantastique déviant. Se trouve-t-on dans la vérité d’un complot dont est témoin un espion à la retraite ou bien dans la confusion mentale d’un acteur gâteux confondant la réalité avec les aventures de son personnage fétiche d’antan ? Le film n’élucide rien et c’est tant mieux : il s’épanouit dans cette incertitude lynchienne.
Convoquant le cinéma et la transmission d’un rôle — donc, l’interchangeabilité du comédien face à l’écrasante stature d’un personnage — il illustre indirectement la maladie dont souffre aujourd’hui le 7e Art ; maladie inoculée malgré elle par la saga James Bond : le piège de la franchise, de la sursuite, du recyclage ad nauseam d’un concept économiquement viable.
On ne vit que vingt-cinq fois
La question que pose dans son titre même Reflet dans un diamant mort interroge d’ailleurs sur la pérennité des héros de jadis ou sur le bien fondé de ressusciter un personnage qui a largement fait son temps.
, James Bond et ce qu’il représente des soixante dernières années, ont droit au repos. Ses multiples avatars (en attendant le prochain) ont passablement écorné son immortalité, au moins autant que les entorses nécessaires que son personnage a concédées à l’évolution des mœurs au fil du temps — davantage par opportunisme et nécessité de durer qu’engagement philosophique ! Avec le temps, Bond s’est fait moins clivant et plus consensuel. Devenu moins clivant, il n’est plus que le reflet de son époque. Une ombre dans un miroir sans tain.

Reflet dans un diamant mort de Hélène Cattet & Bruno Forzani (Bel.-Lux.-It.-Fr., 1h27) avec Fabio Testi, Yannick Renier, Koen de Bouw, Maria de Mederos, Thi Mai Nguyen, Céline Camara…
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Amélie et la Métaphysique des tubes de Maïlys Vallade & Liane-Cho Han
Amélie est belge mais elle vit avec sa famille au Japon depuis toujours car son père y travaille. Indifférente au monde extérieur, elle a comme une épiphanie lorsqu’on lui fait goûter du chocolat blanc. Dès lors, en compagnie de sa nounou Nishio-san, elle explore sans relâche les merveilles environnantes. Mais tout va basculer le jour de ses 3 ans…

Sur le papier, la rencontre entre l’univers fantasque mâtiné de causticité d’Amélie Nothomb et un projet de film d’animation à destination du jeune public pouvait sembler incongru. Mais il y avait avec le Japon un point de concours presque évident : les studios Ghibli ayant depuis quarante ans habitué le public à confronter l’enfance à des situations dramatiques très réalistes… et néanmoins saupoudrées de merveilleux. La Métaphysique des tubes se prête à ce cahier des charges ; en tout cas, la proposition de Maïlys Vallade & Liane-Cho Han y souscrit.
Amélie à l’usage des petits
Récit autobio-fictif à la première personne, Amélie et la Métaphysique des tubes offre deux couches de lecture : un conte aux contours bariolé sur l’émerveillement de la découverte ; et puis une illustration aigre-douce de la prise de conscience par une enfant de la fragilité, puis de l’inexistence de sa toute puissance. Ou comment l’on passe du centre à la périphérie de son propre monde — ce que bien des responsables politiques égotistes n’ont assimilé malgré leur grand âge… Un joli roman d’apprentissage où la personnalité singulière de l’autrice est gommée au profit de son double de fiction et de ses (més)aventures. Bonne pioche : l’histoire en devient plus universelle.

Car derrière la beauté sensible des images aux tonalités douces et lumineuses, c’est tout un catalogue de petits deuils intimes familiers à chacun qui sont dévidés. Bien sûr, il y a les particularismes nippons qui sont abordés — et la rancune de la défaite de la guerre, l’appréhension de la différence et le racisme en découlant de la part de la vieille propriétaire faisant fonction ici de croque-mitaine. Une somme d’événements rudes qui viennent percuter les contours parfaits de la bulle d’Amélie et l’initient à son changement d’état. Il lui faudra plusieurs rites de passage pour cela, aussi concrets que métaphoriques. Un très habile travail de transcription qui vaut bien l’art d’Isao Takahata…


Amélie et la Métaphysique des tubes de Maïlys Vallade & Liane-Cho Han (Fr., 1h17) animation avec les voix (V.F.) de : Loïse Charpentier, Victoria Grobois, Yumi Fujimori, Cathy Cerda, Marc Arnaud, Laetitia Coryn, Haylee Issembourg, Isaac Schoumsky, François Raison…