Un premier amour, une répétition infernale et une fin de vie cohabitent dans les salles cette semaine. Entre autres…
L’Épreuve du feu de Aurélien Peyre
ur une île de la côte atlantique. Hugo, 19 ans, s’apprête à accueillir dans la maison familiale sa petite amie Queen pour un séjour estival en tête à tête. Aussi solaire et nature qu’il est introverti, Queen bouscule la vie du jeune homme complexé. Et sa personnalité atypique leur ouvre les portes de la petite bourgeoisie locale qui tenait jadis Hugo à l’écart. Mais à trop fréquenter ces nouveaux “amis”, Hugo ne perd-il pas de vue l’essentiel ?

Et si l’on tenait là la surprise de l’été la révélation féminine de l’année ? Sorti dans la moiteur de la canicule et à la veille du pont du 15 août, L’Épreuve du feu porte diablement bien son nom ; il est surtout un film de saison. Un film d’amour de vacances — de premières amours de surcroît — s’inscrivant dans la veine des contes romehriens estivaux pour la dimension morale (le titre laisse bien entendre qu’il s’agit d’un apologue) en privilégiant les moments de vie, d’intimité, les regards et les silence parfois aux babils ou aux arguties sentimentales. Pour éternelle qu’elle soit et semblable à des millions d’autres, l’histoire d’Hugo et de Queen est bien ancrée dans les mœurs d’aujourd’hui. Et ses tribus.
L’île et elle
L’Épreuve du feu, qui s’achève sur un pont et un bateau manqué, se déroule sur une île. Et cela ne doit rien au hasard : l’insularité n’est pas que géographique dans ce roman d’apprentissage où Hugo s’avère lui-même un personnage bienheureusement arraché à sa situation solitaire grâce à sa rencontre avec Queen. C’est d’ailleurs un fameux paradoxe que cette représentante du prolétariat, affichant tous les attributs de la classe populaire, permette au paria du groupe d’être soudainement adoubé ! Infatué de son nouveau statut, Hugo croit naïvement qu’il fait partie de cette élite alors qu’il n’est grâce à Queen qu’un objet d’étude, une curiosité, la distraction de leur saison.

Aurélien Peyre raconte beaucoup de choses dans ce film par (et sur) les regards ; celui que l’on porte sur soi et aux autre, ainsi qu’à l’importance du regard que les autres portent sur soi — cette plaie de l’adolescence. Ce faisant, il joue avec les préjugés sociaux des spectateurs qui identifient de prime abord en Queen une jeune femme superficielle, voyante et vulgaire… et découvrent sa sensibilité, sa maturité qui la rendent infiniment plus aimable que cet égoïste d’Hugo. Loin d’être une bimbo décérébrée, Queen est une chance pour cet aréopage de fissapapas sclérosés dans leur morgue satisfaite. Encore faut-il qu’il la saisissent.
Naissance d’une reine
Film cruel mais aussi sensoriel (davantage que sensuel) avec ses parfums de veillées sur la plage, de nuits sans fin et d’après-midis nonchalantes, L’Épreuve du feu doit énormément à l’ensemble de sa distribution qui donne vie et vérité à des personnages bien cernés — la troupe de petits bourges hautains comme Hugo et Queen que campe la stupéfiante découverte Anja Verderosa. Il serait incompréhensible qu’elle n’accède pas au premier plan dans les plus brefs délais. C’est en grande partie grâce aux nuances qu’elle imprime à son rôle qui pourrait être verrouillé d’avance que ce premier long détonne, étonne et finit l’air de rien à rester en mémoire pour travailler sagement.

L’Épreuve du feu de Aurélien Peyre (Fr, 1h45) avec Félix Lefebvre, Anja Verderosa, Suzanne Jouannet, Victor Bonnel… En salle le 13 août 2025.

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En boucle de Junta Yamaguchi
Établissement traditionnel des montagnes japonaises, l’auberge Fujiya commence une journée apparemment ordinaire quand soudainement le personnel et les clients éprouvent un curieux sentiment de déjà-vu… qui se transforme en panique lorsqu’ils s’aperçoivent qu’ils sont piégés dans une boucle temporelle, condamnés à la revivre les mêmes deux minutes à l’infini. Passant par toutes les émotions, ils cherchent l’origine (ou un responsable) de leur infortune…

Bis repetita placent : l’an dernier, ArtHouse distribuait l’astucieux et désopilant 🔗Comme un lundi reposant sur le principe d’une infernale boucle temporelle emprisonnant les employés d’une agence de communication dans une semaine sans fin en effaçant leur souvenirs… jusqu’à ce qu’ils identifient l’événement-clef débutant le cycle.
Répétition générale
Rebelotte ici, la mémoire en plus, avec un effet d’accélération et une mécanique rappelant autant le rythme des vaudevilles qu’un escape game fantastique ou un jeu vidéo dont il faudrait résoudre l’énigme en temps ultra limité. Si chaque séquence permet aux personnages d’accumuler et partager des connaissances sur le phénomène qu’ils subissent, il leur faut à chaque fois repartir “spatialement“ de zéro pour se retrouver pour conférer — lorsque certains n’en profitent pas pour tenter une aventure parallèle en solo. En boucle illustre en effet magnifiquement les problématique de dynamique de groupe, où un imprévu dans l’ordre du monde nécessite la recherche d’un bouc émissaire commode et révèle le vrai caractère des gens : individualiste ou altruiste.
Il y a aussi dans ces itérations successives une sorte jeu oulipien, entre l’épuisement des possibles à façon Ayckbourn et l’énigme à la Agatha Christie, où les évolutions de l’intrigue se trouvent conditionnées par d’infimes variations internes. La quête de la causalité de la boucle et des moyens d’y remédier conduisent ainsi à explorer chacun des protagonistes et leur éventuelle responsabilité dans le détraquement du temps. Le passage en revue des mobiles probables, l’apparition de sous-intrigues et de personnages secondaires empêchent la tension de chuter… ou la redondance de lasser.
Temps détraqué
À ce qui est écrit s’ajoutent les variations externes — et c’est sans doute le point le plus intéressant — s’appliquant à l’histoire. D’une séquence à l’autre, le décor est plus ou moins recouvert par la neige, comme si la boucle subissait des caprices dans son déroulement. On devine que cet discontinuité est liée à un aléa météorologique ayant frappé le tournage mais sa survenue a été habilement intégrée dans la narration comme un indice supplémentaire d’anomalie. Junta Yamaguchi a bien retenu la leçon de Cocteau : « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur » ; ne lui reste pour la prochaine fois à trouver une fin moins deus ex machina. Mais on ne va pas chipoter pour deux minutes de film…

En boucle de Junta Yamaguchi (Jap, 1h26) avec Riko Fujitani, Manami Honjô, Gôta Ishida… En salle le 13 août 2025.
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À feu doux de Sarah Friedland
À quatre-vingt-ans passés, Ruth vit toujours seule chez elle, où elle cultive sa passion pour la cuisine, malgré sa mémoire défaillante. Lorsque son fils — qu’elle ne reconnaît plus — vient la cherche pour l’installer dans une maison de retraite, elle est d’abord déboussolée mais va trouver ses repères en “s’invitant” dans les cuisines de l’établissement où elle retrouve ses gestes d’autrefois. Les jours où cela va bien…

On voit régulièrement fleurir sur les écrans ce genre de films hybrides ; des fictions documentarisantes ou des documentaires à peine dissimulés sous les oripeaux d’une fiction. Leur but ? Gagner en réalisme, toucher au plus vrai tout marquant une distance visible avec ce qui pourrait ressembler à un schéma romanesque. Leurs intentions louables, comme les grandes problématiques sociétales qui les motivent, ne les exonèrent pas d’un regard objectif sur la forme que ces œuvres, souvent du forgées dans le même métal, adoptent.
Leur refus du “cinéma” — comme si un sujet dramatique devait s’interdire de recourir aux outils narratifs spécifiques du cinéma —, l’enchaînement de “tranches de vies“ et de longs plans contemplatifs cliniques d’une froideur compassée, en font des objets assez caricaturaux. Mais leur frugalité un brin frelatée s’avère dans le goût de l’époque… ainsi qu’à celui de la Mostra qui, comme Saint-Omer en 2022, a bardé ce film de récompenses.
Réchauffé
À feu doux n’est pas détestable mais paradoxalement banal dans sa construction pseudo-disruptive et sa mécanique réclamant de l’empathie sans en avoir l’air… quand le mélo n’a pas peur de sortir le violon pour souligner l’émotion — la démarche du second ne serait-elle pas plus franche ? Et plutôt que le quotidien dans la maison de retraite (avec une Ruth qui pourrait aussi bien être un Bill Murray alzheimerisé dans un film de Jarmush) ou les sempiternels rebondissements sur le passé, on s’en tiendra à la première séquence du film. Se déroulant au domicile de Ruth, celle-ci présente une réalisation plus dynamique et inventive que le reste du film. Peut-être est-on passé à côté d’un brillant court métrage…

À feu doux (Familiar Touch) de Sarah Friedland (É.-U., 1h38) avec Kathleen Chalfant, Katelyn Nacon, Carolyn Michelle Smith… En salle le 13 août 2025.