Des fidèles engagés et une vengeance inflexible se disputent la rentrée dans les salles cette semaine. Entre autres…
L’Évangile de la révolution de François Xavier Drouet
Salvador, Brésil, Mexique et Nicaragua. Quatre pays d’Amérique latine qui, durant les années 1970 et 1980 vont subir la férule de dictatures d’extrême-droite et voir émerger une opposition populaire progressiste soutenue par l’Église catholique locale. Pas forcément des hauts membres du clergé, mais des prêtres de terrain et des catéchistes pour qui il existe une proximité évidente entre le discours du Christ en faveur des pauvres et les aspirations de la révolution marxiste. Cette alliance (ou convergence idéologique) conduira parfois à une vive répression à l’encontre des religieux s’écartant du dogme alors porté par le Vatican et les gouvernants, largement soutenus par les États-Unis. François Xavier Drouet revient sur cette séquence passée au purgatoire de l’Histoire…

« On ne sait pas toujours pourquoi l’on fait un film. Je n’ai pas entrepris celui-ci pour retrouver une foi depuis trop longtemps évanouie. Si j’ai voulu rencontrer ces croyants, peut-être était-ce pour m’aider à garder foi en la justice, en cette époque de ténèbres. Je les envie d’avoir en eux cette boussole, cette foi qui déplace les montagnes, cette foi qui se moque de la peur. S’ils sont les vaincus de l’histoire, leur cause, elle, demeure invincible. » Ces mots, que prononce François Xavier Drouet en conclusion de son documentaire, auraient aussi bien pu servir d’introduction tant ils condensent la motivation intime de l’auteur à entreprendre ce voyage historico-politique afin d’en révéler son importance au regard du monde et l’actualité.
Vers le sud (de l’Amérique)
Parent pauvre de l’histoire immédiate, cette période et cette zone ont en effet peu été mises en lumière en occident, écrasées sans doute à l’époque par la “concurrence” médiatique de la chute de l’URSS et le chamboulement géopolitique majeur qui s’ensuivit en Europe. Pourtant, le récit de cette internationale catholique agissant comme une force révolutionnaire a tout pour fasciner — de par la puissance de son engagement, sa dimension tragique voire sa portée romanesque. Si François Xavier Drouet ne peut être soupçonné de prosélytisme religieux (il revendique d’emblée sa situation de non croyant), il ne cache pas ses sympathies de gauche mais ne tombe jamais dans le travers du panégyrique militant. Son film est donc bien un documentaire — certes engagé —, non un tract à l’usage des déjà convaincus.
Prodigieusement informatif, il alterne images d’époque et séquences réalisées de nos jours. Arrêtons-nous un instant sur la somme d’archives rares ici réunies : d’une qualité hallucinante, elles documentent avec précision l’organisation de la résistance clandestine comme des événements publics montrant la répression de la police ou l’armée. Ou le soutien manifeste du très rétrograde Jean-Paul II — et de son bras droit Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI — aux pires dictatures, le pape professant clairement aux peuples un amour inconditionnel de l’Église doublé d’une soumission à leur bourreaux. Dieu merci, le Vatican fait entendre une autre musique liturgique depuis.
Honneur aux vaincus
Quant aux témoins — aux survivants — que le réalisateur a retrouvés et qui racontent leur trajectoire, leur courage laisse coi. Certains exercent encore leur apostolat, à l’image du Père Júlio Lancellotti au Brésil, toujours au plus près des déshérités de São Paulo pour la plus grande ire de l’extrême-droite. Ce n’est pas tant la constance de son engagement qui frappe, mais ses propos : « Mon combat est celui d’un vaincu » explique-t-il à François Xavier Drouet. Lucide, mais loin d’être résigné, ce prêtre (comme tous les catéchistes révolutionnaires) est un Sisyphe. On ne sait pas si ce Sisyphe est heureux, mais savoir qu’il existe réconforte.

L’Évangile de la révolution de François Xavier Drouet (Fr.-Bel., 1h55) documentaire… En salle le 3 septembre 2025.
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La Voie du serpent de Kiyoshi Kurosawa
Ravagé par la disparition non élucidée de sa fillette de 8 ans, Albert Bacheret a décidé de punir ceux qu’il soupçonne de l’avoir kidnappée et tuée. Avec l’aide d’une psychiatre japonaise, Sayoko, il enlève et torture les membres d’une société occulte qui se rejettent mutuellement la responsabilité des faits en laissant transparaître derrière leurs mensonges des actes d’une insondable atrocité…

Le prolifique Kiyoshi Kurosawa n’a sans doute pas beaucoup hésité lorsqu’on lui a offert la possibilité de signer en France un autoremake de son film quasi-homonyme de 1998. Bien qu’il ait déjà tourné à Paris, peut-être aurait-il dû ici y réfléchir à deux fois. Non qu’il soit interdit d’effectuer des variations sur un même thème — il y a de quoi au contraire stimuler la créativité — mais parce que toutes les greffes ne prennent pas. En l’occurrence, La Voie du serpent semble souffrir d’un déphasage ou décalage permanent, dont la principale expression concerne le jeu de l’interprète principal. Le pauvre Damien Bonnard apparaît en effet complètement à l’ouest, plus largué que son personnage. Le reste de la distribution (de prestige) s’en tire mieux avec des rôles plus ténus — on regrette toutefois que Vimala Pons ait droit à une panouille.
Bancal et filandreux, ce revenge movie mollasson au retournement prévisible abrite une intrigue parallèle dont on se demande si elle n’est pas un journal intime caché du Kurosawa : les séances de psy d’un Japonais vivant à Paris ne supportant pas sa vie d’expatrié. Bilan des examens : on peut s’en dispenser.

La Voie du serpent de Kiyoshi Kurosawa (Fr.-Bel.-Lux.-Jap., 1h52) avec Damien Bonnard, Mathieu Amalric, Kô Shibasak, Vimala Pons, Grégoire Colin, Slimane Dazi… En salle le 3 septembre 2025.