Une friandise pour cinéphiles, un mélodrame japonais sensible et un film noir dans Alger la blanche se rencontrent dans les salles cette semaine. Entre autres…
Nouvelle Vague de Richard Linklater
1959. Ses collègues des Cahiers du Cinéma Claude Chabrol et François Truffaut ayant brillamment franchi le Rubicon en signant leur premier long métrage, Jean-Luc Godard piaffe dans son coin car il sait que son heure est venue. Il convainc donc le producteur Georges de Beauregard de financer le film qu’il a en tête mais dont personne ne sait grand chose car il n’y a pas vraiment de scénario. Une actrice américaine, Jean Seberg, “inventée” par Preminger ainsi qu’un comédien français loin du profil du jeune premier se font embarquer dans ce projet auquel personne ne comprend rien sauf Godard, et qui semble se transformer en naufrage au gré des lubies du néo-cinéaste. S’ils pouvaient se douter qu’ils sont en train de changer l’Histoire…

C’est le genre proposition de cinéma à laquelle un cinéphile a du mal résister. Touchant à un totem autant qu’à un tabou, Nouvelle Vague propose donc d’assister au making of du plus pirate voire libertaire des films de la Nouvelle Vague, À bout de souffle en empruntant — volant ? — la forme dudit film. Une mise en abyme totale au service d’un projet historico-artistique équivalant pour un paléontologue à une sorte de modélisation du chaînon manquant. Au-delà de l’exercice de style mimétique, Richard Linklater signe une œuvre drôle, érudite et invitant à se replonger dans celle à laquelle il fait référence. Une œuvre satellite paratextuelle davantage qu’un remake ou un pastiche, dans l’esprit de ce que Michel Hazanivicius avait effectué avec Le Redoutable (2017).
Ressac
Dans Nouvelle Vague en effet, on retrouve le même Godard, celui d’avant 1968. À la fois impertinent, tête-à-claque, voyou et drôle mais aussi sûr de son fait, jaloux et inquiet. Un concentré de paradoxes et d’intelligence, que sa propre légende n’a pas encore vitrifié et dont la primesautière légèreté affleure volontiers entre deux insolences. Péremptoire jusqu’à l’intransigeance mais roublard autant qu’amateur de canulars, le réalisateur débutant fabrique ici autant un film que sa réputation en tordant les règles du “cinéma de papa”. Cela pourrait être un drame tant les équipes (dont le producteur ou Jean Seberg) sont désorientées par sa direction erratique et ses improvisations ; cela tourne à la comédie, grâce au détachement goguenard d’un Belmondo amusé par l’expérience.

Auteur amateur de défis conceptuels, Richard Linklater était le cinéaste idoine pour raconter cette épopée. Il s’amuse à jouer de la vraie-fausse falsification en dépassant la paraphrase stérile comme Gus Van Sant avait dépassé le principe du remake plan-plan en retournant Psychose à l’identique (ou presque) plan par plan. Visuellement confondant — les ressemblances de Guillaume Marbeck (JLG), Aubry Dullin (Belmondo) ou Matthieu Penchinat (Raoul Coutard) y contribuent, ne nous leurrons pas — Nouvelle Vague filme la jeunesse révolutionnaire au travail plutôt de célébrer la poussière des reliques.
Voilà d’ailleurs tout l’intérêt d’une telle entreprise aujourd’hui, à une époque où le 7e Art est ravagé par le doute, plombé par une crise de créativité et miné par l’émergence de technologies alternatives. La voie empruntée — volée ? — par Godard, contrebandière, est peut-être celle qu’il convient de suivre pour qu’une nouvelle génération redonne à un cinéma hors d’haleine, un nouveau souffle.

Nouvelle Vague de Richard Linklater (Fr., 1h46) avec Guillaume Marbeck, Zoey Deutch, Aubry Dullin… En salle le 8 octobre 2025.
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Egoist de Daishi Matsunaga
Célibataire élégant travaillant dans le milieu de la presse de mode, Kōsuke embauche le jeune Ryūta, un coach sportif pour se maintenir en forme. Très vite, leurs rendez-vous débordent du cadre sportif et professionnel pour se transformer en une relation amoureuse. Quand Ryūta coupe brutalement les ponts, Kōsuke croit devenir fou. Il tente de renouer le contact et établit un étrange arrangement avec son amant pour le convaincre de poursuivre leur liaison…

Une romance et un vrai mélo que n’aurait pas renié celui que l’on cite toujours en pareille circonstance, Douglas Sirk… ou ses disciples contemporains que sont Todd Haynes ou François Ozon. L’histoire d’amour cachée entre les deux protagonistes — du fait de leur différence d’âge, de statut social et naturellement parce qu’il s’agit de deux hommes dans une société conservatrice — ne constitue pas l’alpha et l’oméga d’Egoist. Une série de retournements et de coups de théâtre vient modifier les perspectives.
Masques
Ainsi, Ryūta est-il un profiteur manipulant son sugar daddy ? Kōsuke est-il une vache à lait consentante dans leur relation tarifée ; se ment-il à lui même sur la nature des sentiments de Ryūta comme il ment à sa famille en taisant son homosexualité ? Il y a beaucoup de masques et de non-dits chez tous les personnages, de jeux de rôles également. Mais la dissimulation n’est pas le propre de deux amants ; on le découvre dans le dernier acte — dont on ne dira rien ici pour ne pas en rompre la fragile tendresse. Tristesse et beauté, aurait dit Kawabata.

Egoist de Daishi Matsunaga (Jap., 2h) avec Hio Miyazawa, Ryohei Suzuki, Yûko Nakamura… En salle le 8 octobre 2025.
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Alger de Chakib Taleb-Bendiab
Alger. Une petite fille a été enlevée. Pour Dounia, psychiatre, les statistiques sont formelles : un compte à rebours de 48h est lancé, au-delà duquel les chances de retrouver l’enfant vivantes seront proches de zéro. Avec grand peine, elle gagne à sa cause Sami, un flic méfiant et bourru face à cette médecin obstinée. Ils découvrent que le rapt pourrait être le fait d’un tueur en série opérant depuis des décennies…

Ce premier long métrage, qui fut candidat (malheureux) de l’Algérie en début d’année pour l’Oscar du meilleur film étranger, est-il annonciateur d’un renouveau au sein du cinéma algérien ? Régulièrement coproducteur d’œuvres d’auteurs mettant en avant des thématiques sociales, historiques et/ou politiques stricto sensu, le pays n’est guère coutumier des films de genre tels que les thrillers. Certes, Elias Belkeddar avait tourné Omar la fraise à Alger en 2023, mais il s’agissait d’un film à capitaux majoritairement français.
La ville en guest star
Avec ce polar que Chakib Taleb-Bendiab revendique à 100% financé de l’autre côté de la Méditerrannée, le réalisateur rappelle la démarche Saeed Roustayi (La Loi de Téhéran), Tarik Saleh (Le Caire Confidentiel) ou Rodrigo Sorogoyen (Que Dios nos perdone) : signer un film efficace, suivant la traque d’un malfrat par la police dans les rues et les secrets d’une capitale considérée moins comme un décor qu’un personnage à part entière de l’intrigue. Cela n’empêchant pas — bien au contraire — d’inclure de multiples allusions au contexte sociétal comme au passé qui n’est pas encore passé (les “années noires”).
Il y a de belles promesses dans ce coup d’essai, ainsi que de la maîtrise et une pointe de culot : Chakib Taleb-Bendiab refuse notamment pour son récit les sacro-saintes règles du happy end ; son film gagne en potentiel dramatique comme en réalisme. Demeurent toutefois quelques zones fragiles, à l’instar du du “méchant” du film, dont le cabotinage confine au grotesque. Considérons qu’il s’agit un péché véniel.

Alger de Chakib Taleb-Bendiab (Alg.-Tun., 1h33) avec Meriem Medjkane, Nabil Asli, Hichem Mesbah… En salle le 8 octobre 2025.