Une enquête ardue, un retour sur une mue et une grossesse tendue sont l’affiche cette semaine dans les salles. Entre autres…
Dossier 137 de Dominik Moll
Décembre 2018. Un tir de LBD blesse gravement à la tête un jeune homme venu en famille participer aux manifestations parisiennes des Gilets jaunes. Ce “Dossier 137” atterrit dans les mains de Stéphanie Bertrand, une enquêtrice de l’IGPN qui cherche à établir les circonstances du drame. Plus ses investigations avance, plus elle met au jour des initiatives personnelles surprenantes de la part de certains membres des forces de l’ordre ainsi que graves dysfonctionnements dans la chaîne de commandement. Pis encore : elle se heurte à ses collègues et à sa hiérarchie…

Grande pourvoyeuse d’images, la “matière filmique” du mouvement des Gilets jaunes a bien vite donné naissance à plusieurs dérivés audio-visuels — outre les flux d’actualités diffusés en temps réel. Les premiers furent logiquement des documentaires tournés à chaud ou à tiède (J’veux du soleil de Gilles Perret & François Ruffin en 2019 ; Un pays qui se tient sage de David Dufresne en 2020) ; des films épidermiques et militants précédant des fictions où le phénomène sociétal devenait une toile de fond ou un contexte dramatique.
Les faits et les fautes
Si La Fracture (2021) de Catherine Corsini a ouvert le bal de manière presque anecdotique — le film aurait pu se dérouler dans n’importe quelle situation de manifestation —, d’autres auteurs ont attendu d’avoir un peu de recul sur les événements pour s’emparer du sujet tels que Thomas Kruithof (Les Braises) et enfin Dominik Moll pour ce Dossier 137, indéfectiblement lié aux Gilets jaunes puisque ce contexte constitue son substrat. Mieux : il en dévoile le contrechamp policier et leurs coulisses, matérialisant le deux réalités concomitantes au sein d’un même État (de droit). D’une part, l’action désordonnée de membres des forces de l’ordre ; de l’autre, l’instance de contrôle sur lesdites forces. Une instance toutefois entre le marteau et l’enclume.
Comme souvent, 🔗Moll autopsie ici la pulsion du mal ordinaire ; celui produit par des individus lambda placés dans de circonstances “favorables” à une déshumanisation temporaire… ou systémique. S’agissant des policiers exécutant (voire outrepassant) les directives d’une hiérarchie aux abois, on frissonne en pensant à la vérification en conditions réelles des conclusion 🔗l’expérience de Milgram : le blanc-seing de l’autorité libère des derniers scrupules. D’où l’importance de maintenir dans cet écosystème qu’est l’État démocratique ces anticorps régulateurs que sont les forces de la police des polices.
12 et 137 font toujours 22
Dossier 137 ressemble à La Nuit du 12, et pourrait en constituer le verso ou le second volet d’un diptyque. Pas seulement d’un point de vue structurel — dans les deux cas en effet, c’est une enquête qui sert de fil rouge — mais parce qu’il met en lumière un drôle de paradoxe : le fait que des fonctionnaires de police doivent mener un travail acharné, en luttant parfois contre leur propre institution, pour éviter qu’un crime demeure impuni. À force, on ne devrait plus trop être étonné : on voit bien des films où des enseignants essaient d’assurer leurs cours malgré les injonctions à ne pas faire de vagues…
Sur un mode plus léger, il est amusant de retrouver ici Léa Drucker en policière aussi obstinée qu’intègre, après son rôle dans🔗Le Mélange des genres, qui la montrait justement rejoindre le groupe féministe qu’elle était était censée infiltrer… après avoir découvert les entorses aux règles du droit pratiquées par ses collègues du commissariat. Preuve qu’il y a une certaine continuité idéologique dans ses personnages de film en film.

Dossier 137 de Dominik Moll (Fr., 1h56) avec Léa Drucker, Stanislas Merhar, Sandra Colombo, Guslagie Malanda… Sortie le 19 novembre 2025.
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Trans Memoria de Victoria Verseau
Une dizaine d’années après l’opération lui ayant permis d’achever son parcours de transition, Victoria est de retour en Thaïlande avec Athena et Aamina, deux amies ayant effectué le même double voyage qu’elle. Loin de se borner à un pèlerinage personnel, cette expédition est aussi l’occasion d’évoquer la mémoire de Meril une camarade qui, elle, n’est plus de ce monde…

Autoportrait pluriel en forme de journal ouvert sur plusieurs époques, Trans Memoria est donc un récit à plusieurs voix s’offrant des flashbacks multiples. Si l’on y retrouve de nombreuses confessions intimes de Victoria — notamment celles, sans filtre et empreintes de douleurs, avant et après son opération — ainsi que des images de son enfance, ce documentaire composite cherche à créer un espace collectif de parole grâce à l’effet « reconstitution ». Il y a dans ce protocole autant une démarche maïeutique qu’une volonté d’obtenir un objet expérimental hybride — Victoria Verseau étant artiste, la double intention formelle et plastique ne peut lui être déniée.
Deuil et renaissance
S’il retrace la naissance à leur nouvelle identité de chacune des protagonistes, Trans Memoria demeure marqué par l’ombre écrasante de l’absente, Meril. Film-cénotaphe, ce documentaire se trouve en définitive davantage hanté par le deuil qu’il ne l’aurait sans doute désiré, conférant à la memoria du titre un vague air funèbre. Il tend également à lier de manière inéluctable transidentité et mal-être — et en même temps, il aurait été déplacé de contrefaire une joie de vivre exubérante alors que l’atmosphère est au recueillement. C’est donc un étrange objet, donnant l’impression d’être le point de départ d’un work in progress artistique en forme de confessionnal. L’avenir nous confirmera si c’est intuition est fondée ou non.

Trans Memoria de & avec Victoria Verseau (Fr.-Suè, 1h12) documentaire… Sortie le 19 novembre 2025.
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Des preuves d’amour de Alice Douard
Céline et Nadia sont en couple et filent un bonheur d’autant plus parfait qu’elles attendent leur premier enfant, que Nadia porte. Alors que la délivrance s’approche, Céline éprouve des difficultés à se projeter dans cette maternité qu’elle ne vit pas pleinement. D’autant qu’elle a des eu des rapports compliqués avec sa propre mère, une pianiste de renom, justement de passage à Paris…

Les films-dossiers ont ceci de fâcheux qu’ils sont trop souvent davantage des dossiers que des films. Comprenez : de traiter une problématique sociétale traitée sur un mode juridique, avec un désir un peu vain d’exhaustivité en choisissant un cas réunissant le plus de sous-alinéas spécifiques. Portés certainement par l’envie sincère (et l’orgueil ?) de “faire débat et date”, ils se trouvent en général si embringués dans leur cause qu’ils en oublient le cinéma. Résultat ? Une enfilade de clichés, de scènes convenues, le tout sur une trame dramatique rudimentaire (ça va/crise : ça ne va plus/ça va finir pas s’arranger). Comme si la vertu du propos exonérait de toute audace artistique, de toute velléité de réalisme, de tout effort d’émotion non préfabriquée — c’est-à-dire attendue.
Dossier du petit écran
Des preuves d’amour en est, hélas, l’illustration parfaite. Téléfilm sans vraiment de plus-value, c’est un peu la version féminine et post #MeToo de Comme les autres (2008) de Vincent Garenq — parce que le monde et la loi ont changé. Parce que le sujet (et l’amitié) l’emportent sur la forme, le générique se pare en plus de ses têtes d’affiche, de caméos de luxe : Anne Le Ny, le chef-op Tom Harari, la réalisatrice Jeanne Herry… Peut-être faudrait-il leur rappeler le mot de Jeanson, encore et toujours d’actualité : « on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments ».

Des preuves d’amour de Alice Douard (Fr., 1h37) avec Ella Rumpf, Monia Chokri, Noémi Lvovsky… Sortie le 19 novembre 2025.


