Un imposteur ayant trompé l’Espagne en s’inventant un passé est dans nos salles cette semaine. Entre autres…
Espagne, à l’aube du XXIe siècle. Inlassable porte-voix de la situation des déportés espagnols, éternels oubliés des commémorations et des livres d’Histoire, Enric Marco se démène pour obtenir leur reconnaissance officielle. Et lorsqu’il ne s’active pas dans l’association pour d’anciens déportés de Mauthausen qu’il préside, il court les salles de classes pour témoigner de son expérience des camps devant professeurs et élèves. Ce militant dévoué à sa cause voit son aura aura ternir lorsqu’un historien le contacte pour lever des ambiguïtés quant à son parcours. Et pour cause : en creusant dans les archives, l’universitaire est tombé sur des discordances stupéfiantes prouvant que Enric Marco n’est pas celui qu’il prétend…

Dans Zelig (1983), Woody Allen s’attachait à l’étrange affection dont souffrait son héros-titre : de manière inconsciente, Zelig épousait en effet les traits morphologiques et/ou caractéristiques physiques des personnes auprès desquelles il se trouvait. Comme s’il cherchait à se fondre dans la masse, à renoncer à son identité propre — non par intérêt mais par souci de discrétion, grâce à un instinct de survie évolué lui ayant conféré ce talent du mimétisme.
Faux et usage de faux
Enric Marco a, lui aussi, pratiqué le camélonisme mais de manière délibéré : il y a bien de l’empathie dans sa démarche, mais elle est malsaine puisqu’elle le conduit à une entreprise d’appropriation mémorielle, puis de falsification. Un comble pour un homme passant son temps à alerter sur les risques de l’oubli du passé ! Et pourtant, Marco considère que son action menée l’absout de son péché “originel” d’usurpation, sans mesurer que son inconséquence donne des arguments à tous les révisionnistes ou négationnistes. Si l’Enfer est pavé de bonnes intentions, Marco est au moins carreleur en chef.
Aitor Arregi et 🔗Jon Garaño cernent bien la complexe et paradoxale figure de cet homme, avide de reconnaissance mais sincère dans ses combats collectifs — comme si son engagement forcené tentait de racheter son imposture. Le film ne l’excuse pas, ne livre pas toutes les explications mais donne un image assez nette de son caractère volontiers manipulateur, comprenant intuitivement à l’image des grands escrocs quelles failles exploiter chez ses vis-à-vis pour les mettre dans sa poche. Eduard Fernández s’avère un choix excellent pour camper ce comédien.
Toutefois, instruire le procès à charge de Marco sans s’interroger sur la co-responsabilité de celles et ceux qui l’ont laissé s’installer dans son rôle serait par trop commode. Quitte à se faire l’avocat du diable, il faut bien admettre que ce militant zélé fut providentiel pour beaucoup de rescapés, soulagés de trouver en lui un infatigable porte-parole. Si leur sentiment d’avoir été trahi est légitime, leur courroux a certainement été amplifié par une sorte de culpabilité honteuse : n’avaient-ils pas trop légèrement accordé leur blanc-seing au premier venu ? Un beau parleur brandissant sa “vérité“ pour seul brevet de respectabilité, abusant de leur faiblesse, de leurs souffrances passées, de leur compassion mais éprouvant derrière son égotisme, de l’empathie pour leur combat.
Marco et ses frères
Au reste, le cas de Marco est (hélas) loin d’être isolé : d’autres exemples existent de mythomanes s’appropriant les destinées tragiques de leur contemporains, allant jusqu’à se convaincre qu’ils ont raison même si les faits leur donnent tort. Croient-ils bien faire ? Veulent-ils remplir leur existence ? S’agit-il d’escrocs retors ou de personnes au psychisme fragile ? Le fait est que ces profils hyperactifs et avides de notoriété dans notre société médiatique pullulent depuis le début du siècle. À l’instar de Tania Head, 🔗la fausse rescapée du 11-Septembre devenue présidente et responsable de l’association Survivors’ Network ; de 🔗Rachel Dolezal, issue d’une famille blanche, qui a prétendu être métisse. Ou encore de 🔗Flo Kitty., la “mythomane du Bataclan”, devenue Chris sous les traits de Laure Calamy dans la série réalisée par Just Philippot, Une amie dévouée (2024). Une liste non exhaustive.
Les Marco, Tania et consorts représentent le même risque qu’un suraccident lorsqu’un accident de la route survient en aggravant les dommages initiaux. Ils rappellent au moins, à l’époque de la vérité contrefaite et des mensonges relayés par des cohortes de crédules, que la raison doit toujours l’emporter sur l’émotion, trop aisément influençable par des charlatans.

Marco, l’énigme d’une vie (Marco, la verdad inventada) de Aitor Arregi & Jon Garaño (Esp., 1h41) avec Eduard Fernández, Nathalie Poza, Chanu Martín, Daniela Brown, Jordi Rico… En salle le 14 mai 2025.