Révélée en 2021 par “Un monde”, la cinéaste belge Laura Wandel est de retour avec “L’intérêt d’Adam” suivant l’inlassable combat d’une infirmière cherchant à venir en aide à un petit patient ainsi qu’à la mère toxique responsable de son hospitalisation. Conversation avec la réalisatrice.
C’est le deuxième film dans lequel vous évoquez la maltraitance enfantine. Si elle est votre sujet, la cécité parentale (ou celle des adultes) face à ce drame ne l’est-il pas tout autant ?
Laura Wandel : Je dirais plutôt que c’est la maltraitance du système globalement qui, par définition, se répercute sur l’enfant “au bout de la chaîne”. C’est pour ça que je suis aussi intéressée par les institutions : il y est évidemment aussi question de hiérarchie, donc hiérarchie d’une violence systémique, et finalement c’est un microcosme de la société. La société est représentée, et en même temps l’hôpital c’est aussi tous les maux de la société qui sont représentés. Et avec les difficultés de financement, c’est aussi un cri d’alarme par rapport à cette institution.
Lorsque l’on tourne à l’intérieur d’un service hospitalier, comment met-on en scène la chorégraphie des médecins, l’ensemble des patients ?
J’ai été observer pendant trois semaines, en immersion — j’avais fait la même chose pour Un monde. L’idée de départ ne vient pas de personnages : ça vient toujours d’un lieu et je vais dans le lieu ; je vois un petit peu ce qui se passe et de là naissent les personnages et les histoires. J’ai énormément pris de notes en immersion ; j’ai eu la chance en fait d’être introduite par la chef de service en pédiatrie qui m’a fait passer pour une stagiaire en observation en hospitalisation en urgence et en consultation. J’ai vraiment choisi l’hospitalisation parce que les personnels soignantes sont plus en contact avec les patients — en tout cas de manière longue. Et puis toutes ces différentes chambres représentent à chaque fois des univers différents — et, finalement, un ensemble de la société.

Sur le tournage, il y avait du personnel soignant qui était présent : on a tourné dans un vrai hôpital. C’était très important pour moi de ne pas tourner dans un studio pour que ce soit aussi un peu empreint de vérité. Léa [Drucker, NDR] et tous les autres comédiens ont été énormément guidés par le personnel soignant présent. Elle aussi a été faire une observation pendant plusieurs journées dans un hôpital. Tout ça a nourri la chorégraphie générale du film.
Ce dispositif vous a-t-il contrainte à utiliser un matériel particulièrement léger ?
On a eu la chance de pouvoir tourner dans un service qui nous était “alloué” (parce qu’il nécessitait des travaux de peinture) pendant une vingtaine de jours. Tout n’a pas été tourné là : les urgences ont été tournées dans un hôpital désaffecté dans une autre ville. Là, il a fallu tout refaire. Mais par contre du coup on a pu disposer du matériel qui était présent dans le service ; donc c’était vraiment super. Par rapport à l’éclairage, le chef-op a fait toute une installation pour que tout soit éclairé uniformément et pouvoir faire des 360°. Et c’était à nous de le suivre. De toute façon, on voulait que ce soit assez léger dans notre manière de filmer.
Est-ce pour la tension que le récit ne se déroule que sur une longue nuit ?
Oui, même si quand j’ai commencé à écrire le scénario, ça ne se passait pas comme ça. Et plus j’avançais dans l’écriture, plus je sentais aussi que c’était juste pour faire ressentir au spectateur la pression que ressent ce personnel soignant qui n’a même pas le temps de s’asseoir, quasiment pas le temps de manger — et c’est la vérité, quoi !
Au sein de cette histoire dramatique, vous créez un suspense parallèle autour des badges d’accès qui ne fonctionnent pas. Ce qui en dit long aussi sur le matériel défaillant, la sous-traitance… Cela fait-il partie de vos “choses vues“ ?
Oui, oui. Quand elle demande si c’est possible de remplacer son badge et qu’on lui dit que la personne habilité à remplacer le badge est en vacances, c’est complètement surréaliste. C’était un petit clin d’œil à cet aspect très bureaucratique. Et puis évidemment, ça commence à dysfonctionner quand il y a des choses qui commencent aussi à « dysfonctionner » chez elle.
Après une heure dans ce microcosme avec tous ces mondes qui sont rassemblés. le film se termine hors de l’hôpital…
Oui, effectivement, sortir de l’hôpital, ça se veut comme une bouffée d’oxygène. Même si sort dans la nuit. Finalement, on ne voit jamais la lumière du jour, même si on est dans un lieu assez clair.

Comment avez-vous trouvé l’interprète d’Adam ?
Ce qu’il faut savoir, c’est que ce sont des jumeaux — pour le temps de travail des enfants — même s’il y en a un qui est principalement à l’écran et qui joue. Trouver des jumeaux, c’était la contrainte de départ. Et on a “simplement” lancé un casting. Ce qui m’a très fort touchée chez Jules Delsart qui joue Adam, c’est qu’il y a quelque chose qui se passait à la caméra et qu’il avait une façon de regarder les gens droit dans les yeux et de soutenir le regard, ce qui est assez rare pour un enfant si petit — il avait 5 ans. Je lui demandais de répéter des phrases après moi pour voir sa capacité à s’exprimer. C’est pour ça que j’ai choisi.
Comment avez-vous fait pour qu’il y ait un lien aussi fort avec Anamaria Vartolomei, qui joue sa mère ?
Comme dans le précédent film avec Karim Leklou et les enfants, on est allés à la piscine parce que ça permet le jeu et ça permet le rapprochement assez naturellement ; au parc, aussi. On n’a pas fait énormément de choses, mais en tout cas, ces deux moments, ça les a vraiment rapprochés.
Dans Ponette (1996), l’interprète du rôle-titre Victoire Thivisol avait à peu près le même âge au tournage. EtJacques Doillon avait eu recours à un “truc” pour qu’elle sache quand elle était dans le jeu : elle enfilait un plâtre factice. Avez-vous eu de la même manière utilisé un objet transitionnel avec Jules Delsart ?
C’est vrai que ça m’avait marqué, je trouvais ça tellement mignon ce petit plâtre dans Ponette. Pour lui, ça a été aussi tout un travail pendant des mois, comme pour mon film précédent ; j’ai d’ailleurs travaillé avec les deux mêmes coachs enfants. Là, ce qui permettait la transition, c’était que la coach enfant avait une baguette magique et elle lui disait toujours : « maintenant tu te transformes en Adam ». Sinon, je peux vous expliquer notre méthode : on leur expliquait simplement la scène, on leur demandait de la rejouer avec des Playmobil d’improviser. de dessiner la scène sur un papier. 0n a parcouru toutes les scènes du film comme ça. Et au moment du tournage, on leur montrait leur dessin de la scène. Ça leur permettait de se rappeler ce qu’on avait déjà travaillé. En même temps, je le dirigeais aussi beaucoup au moment-même.
Avez-vous écrit votre scénario en pensant à vos comédiennes ?
J’ai vraiment écrit pour Léa Drucker, c’était sûr. Et Anamaria, ce n’était pas si évident que ça. Très vite j’ai pensé à elle, mais justement je me disais « Ah, mais c’est une jeune, elle va très très jeune, est-ce que ce n’est pas trop ? » À un moment j’ai pensé à quelqu’un d’autre et en fait je suis revenue à elle.
Sauf erreur, Léa Drucker est issue d’une famille de médecins. Le rôle a dû faire écho à des souvenirs personnelles…
Oui, c’est ce qu’elle dit. Son père était pédiatre, chef de service.
Comment se prépare LA réplique d’Adam, lorsqu’il dit à sa mère « je ne veux pas être mort » ?
Iris Kaltenbach a fait une consultation et cette idée est vraiment venue d’elle.
Comment en êtes-vous arrivées à cette formulation, « je ne veux pas être mort » qui est symboliquement très forte, avec un verbe d’état, définitif, là où on s’attendrait plutôt à « je ne veux pas mourir » qui implique un processus ?
Je me demande si ce n’est pas lui qui l’a proposé. Sans doute que ça doit être une déformation, mais je trouvais ça hyper intéressant.
Jules et son frère ont-il vu le film ?
Oui, bien sûr, ils l’ont vu mais ils se rappelaient surtout tous les moments qu’ils avaient passé sur le tournage et tout ça. Nous on a tout fait évidemment pour que ce soit le plus agréable possible. Pour qu’ils voient ça comme un jeu.

L’Intérêt d’Adam de Laura Wandel (Bel.-Fr., 1h18) avec Léa Drucker, Anamaria Vartolomei, Jules Delsart… En salle le 17 septembre 2025.