Des hôpitaux, la guerre, des gibiers humains, des vampires numériques ou de pellicule se heurtent dans les salles cette semaine. Entre autres…
L’Intérêt d’Adam de Laura Wandel
Un hôpital en Belgique. Lucie, une infirmière en service pédiatrique tente par tous les moyens d’aider Adam un petit patient de 4 ans que Rebecca, sa jeune mère toxique dissuade de manger. Ménageant l’enfant comme sa génitrice entêtée, Lucie contourne sa hiérarchie et use d’une patience infinie malgré les coups de tête de Rebecca : elle pense avant tout à l’intérêt d’Adam…

🔗Laura Wandel avait frappé à l’estomac avec Un monde, son précédent et premier long métrage filmant à hauteur d’enfant une fratrie prise dans la mécanique complexe du harcèlement scolaire ; la revoici toujours aussi soucieuse du bien-être des plus fragile dans cette histoire en temps réel concentrant en une petite heure l’acmé et la résolution d’un crise en apparence inextricable. Pour le spectateur, c’est un peu comme assister à un tir à pile ou face : impossible durant tout le film de savoir si la pièce va tomber du côté favorable à Adam ou de l’autre ; voire si une position médiane sur la tranche ne risque pas de geler la situation en annihilant les efforts désespérés de Lucie pour ménager l’enfant et sa mère à leurs bénéfices mutuels.
Urgences made in Belgium
De par le respect quasi parfait de la triple unité temps/lieu/action, c’est donc à une sorte de thriller hospitalier qu’on assiste, avec l’histoire d’Adam comme intrigue principale et quelques cas secondaires agrémentés de détails parfois anecdotiques pour densifier la toile de fond — en somme, tout ce qui faisait jadis l’ordinaire de l’excellente série Urgences, conflits entre chefs de services et praticiens inclus. Caméra fluide attachée aux moindres pas de Lucie/Léa Drucker, vision à 360° sur les coulisses de l’hôpital et tous les services, immersivité complète qui donne l’impression de passer dans une lessiveuse… L’empathie du spectateur, forcément sollicitée lorsqu’il s’agit d’un récit touchant à un enfant, est renforcée par ce partage de subjectivité. D’aucuns pourraient parler de manipulation, il s’agit juste d’un usage pondéré des outils narratifs. Dans l’intérêt du récit.

L’Intérêt d’Adam de Laura Wandel (Bel.-Fr., 1h18) avec Léa Drucker, Anamaria Vartolomei, Jules Delsart… En salle le 17 septembre 2025.
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Nino de Pauline Loquès
Après des examens de routine, le jeune Nino apprend par hasard qu’il est atteint d’un cancer et doit entamer au plus tôt un traitement par chimiothérapie. Un peu sonné, il tente de se confier à ses proches, mais comme par un coup du sort, chaque tentative achoppe et Nino entame un week-end d’errance doux-amer dans Paris…

Nino est un film en forme de cycle, débutant ex abrupto et s’achevant là où il a commencé. Entre ces deux moments, il ne se passe que deux-trois jours mais c’est une vie qui défile au présent : le passé du jeune homme est convoqué via la rencontre avec sa mère et son ex petite amie ; son futur à travers l’injonction qui lui est faite de préserver ses spermatozoïdes s’il tient à avoir une progéniture après son traitement. D’une grande délicatesse malgré un sujet grave, ce premier long métrage dépourvu de pathos repose sur la silhouette longiligne de son personnage-titre (et donc sur son interprète Théodore Pellerin, quasi assuré du César du meilleur espoir), abasourdi par le tour soudain pris par son existence.
Néo existentialisme
Si son errance n’est pas sans rappeler les déambulations dans Paris de l’héroïne d’Agnès Varda dans Cléo de 5 à 7 (1962), elle aussi confrontée à une question médicale, Nino offre un contrepoint très contemporain en s’inscrivant dans ce qui ressemble à une “tendance” au sein du jeune cinéma français : dresser le portrait de trentenaires déboussolés et hirsutes. À la limite de l’androgynie, peu loquaces, dépourvus d’attaches professionnelles ou sentimentales, ils semblent confrontés tardivement à la quête existentielle qui les transformera en adultes. Bastien Bouillon en a endossé quelques-uns, mais une floppée d’autres arrivent tels que Baptiste Perusat (pour Laurent dans le vent), Martin Jauvat (Baise en ville), hérauts de cette masculinité tout en fragilité, bien loin des clichés virilistes. Un mouvement à suivre qui raconte sans doute une évolution dans la perception et la représentation de ce qu’est un héros aujourd’hui.

Nino de Pauline Loquès (Fr., 1h36) avec Théodore Pellerin, William Lebghil, Salomé Dewaels… En salle le 17 septembre 2025.
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Oui de Nadav Lapid
Israël, de nos jours, dans le contexte du 7-Octobre. Y. est musicien. Avec sa compagne danseuse Jasmine, ils vendent des prestations artistico-événementielles (et plus si affinités) à la jet set du pays pour pouvoir vivre au quotidien. Lorsqu’un individu haut placé propose à Y. de composer un nouvel hymne national, celui-ci accepte ce contrat très rémunérateur…

Une ouverture opératique pétaradante montre l’obscénité dans laquelle vivent et se gobergent les nantis, ivres de leur pouvoir et de leur argent, obnubilés par leurs plaisirs extravagants et égoïstes. Le ton est donné : chez ces heureux du monde protégés par l’armée, la sono et les feux d’artifice sont là pour couvrir le bruit des bombes qui tombent quelques kilomètres plus loin, de l’autre côté de la frontière. Et silencier tout ce qui pourrait perturber la fête permanente. Sauf que le réel finit toujours par revenir plus fort qu’un boomerang, même si les autorités tentent de filtrer les informations venues de Gaza. Attentat, otages, victimes militaires…
Un oui qui veut dire non
Oui est un film hybride qui tient à la fois de la chronique en temps réel/commentaire d’une situation politique (un peu ce que faisait Moretti dans Journal intime, à la différence que 🔗Nadav Lapid ne se met pas en scène, il prend des doubles comme témoins). Mais c’est également un film-collage zappant d’un registre à une autre, perméable à des intuitions et des tentatives formelles qui lui font quitter le cadre du réalisme brut pour épouser celui de la triste farce ou d’un fantastique noirâtre. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ces détours stylistiques ne visent pas à altérer la crudité des faits que Lapid veut pointer ; ils servent au contraire de véhicules pour atteindre leurs destinataires — en particuliers politiques et israéliens.
Pop et frontal, ce Oui lesté d’un “Non“ profond et total face aux événements abrite en son milieu un chapitre plus sobre qui par contraste à des airs de “ventre mou” ; or il se déroule à la lisière de Gaza, alors que la mort rôde. Paradoxalement c’est celui où il y a le plus de frivolité potache et de tendre mélancolie entre Y. et son ex. Faut-il comprendre que des fleurs peuvent pousser du chaos ?

Oui de Nadav Lapid (Fr.-All.-Isr.-Chy., int. 12 ans avec avert. 2h30) avec Ariel Bronz, Efrat Dor, Naama Preis… En salle le 17 septembre 2025.
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Dalloway de Yann Gozlan
Paris, un futur proche. En résidence dans une résidence pour artistes entièrement domotisée, Clarissa dispose de Dalloway, un assistant numérique pour l’aider à accoucher (avec peine) de son nouveau roman. Mais le traumatisme de la mort de son fils, ajouté à des événements étranges survenant dans l’immeuble, à la canicule, aux dysfonctionnements de Dalloway, finissent par persuader Clarissa que sa vie et son identité sont menacées…

Rattrapé non par la patrouille mais par la réalité et l’actualité. Paru en 2020, le roman Les Fleurs de l’ombre de Tatiana de Rosnay anticipait les dérives d’une société s’abandonnant aux outils numériques. Cinq ans plus tard, une partie des craintes sont avérées et la menace de multi-nationales avides codant des IA génératives pour qu’elles vampirisent l’originalité des artistes n’a plus grand chose à voir avec de la science-fiction. À deux pas de ce précipice, Yann Gozlan signe un nouveau techno-thriller angoissé et angoissant qui raconte tout autant l’acte de créer qu’il interroge la potentielle (et fantasmée ?) empathie des machines — ce qui serait un comble dans un monde où l’homme se défait de plus en plus de ce qui constitue l’une de ses caractéristiques. La fin pessimiste-optimiste est à ce titre une habile trouvaille. Et un pari sur l’avenir.

Dalloway de Yann Gozlan (Fr., 1h50) avec Cécile de France, Mylène Farmer, Lars Mikkelsen… En salle le 17 septembre 2025.
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Les Tourmentés de Lucas Belvaux
Jadis légionnaire, Skender vit désormais à la limite de la clochardisation. Max, un ancien camarade devenu majordome, le présente à Madame sa richissime patronne, laquelle lui propose un étrange deal : une énorme somme si Skender accepte de lui servir de gibier durant un mois de chasse à courre. Skender accepte à ses conditions…

Belvaux cinéaste adapte Belvaux romancier. Et reste logiquement en terres connues : celles où la voix du plus faible se donne à entendre contre la loi du plus fort. Étude psychologique triangulaire jouant sur une action potentielle, donc une possible frustration (la chasse aura-t-elle lieu et si oui, qui du chasseur ou du gibier l’emportera ?), s’intéresse surtout à la mécanique d’usure de l’attente ; cet affût auquel les deux participants se livrent chacun à leur manière. Chacun spécule également sur l’issue du duel, ce qui donne lieu à des séquences… imaginaires, actant le fait que la préparation à la guerre est autant affaire de corps que de mental.
Vrais tourments
« Préparation à la guerre » ? En Europe, ce syntagme semblait il y a peu encore appartenir à une réalité parallèle ; on le considère différemment aujourd’hui. Pareillement, le concept de la chasse à l’homme qui a fait florès au cinéma — notamment dans Les Chasses du Comtes Zaroff (1932) ou Le Prix du danger (1982) — quitte dangereusement le rayon de la dystopie horrifique pour s’ancrer dans la société du spectacle. N’a-t-on pas vu ces derniers mois le 🔗ministère de la Sécurité intérieure américain étudier le projet d’un jeu télévisé conduisant des migrants à se battre entre eux dans l’espoir d’arracher la nationalité américaine ? Ou “l’influenceur” Mr Beast s’amuser de la 🔗possibilité de lancer un jeu inspiré de Hunger Games — « mais sans tuer des gens » ?
Fort heureusement, Les Tourmentés demeure encore (combien de temps ?) une fiction, portée par d’excellents comédiens dosant toutes les ambiguïtés de leurs personnages et de notre époque à la morale élastique. On se rassure comme l’on peut.

Les Tourmentés de Lucas Belvaux (Bel.-Fr., 1h55) avec Niels Schneider, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham… En salle le 17 septembre 2025.
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La Tour de Glace de Lucile Hadzihalilovic
Fuguant en plein hiver du foyer montagnard où elle réside, une adolescente se réfugie sans le savoir dans un studio de cinéma où elle découvre avec fascination une star de cinéma interpréter l’héroïne de conte favori, la Reine des Neiges. La jeune intruse va peu à peu entrer dans l’intimité trouble de la vedette. À ses risques et périls…

Une pincée de giallo pour la patine vaguement intemporelle (mais quand même très connotée années 1970), un soupçon de Mankiewicz (Eve, évidemment), des flocons de conte de fées et la virtuosité visuelle jamais démentie de Lucile Hadzihalilovic. Mais une somme d’ingrédients, de talents et de références fait-elle pour autant un film ? On assiste plutôt ici à une collection de “moments“, à un scrapbook d’idées, à une leçon de choses techniques ; bref à une évocation davantage qu’à une histoire captivante. L’objet est de belle facture mais il ressemble à ces exemplaires de démonstration factices que l’on trouve dans les vitrines des magasins : plaisants à contempler mais hélas creux et inopérants.

La Tour de Glace de Lucile Hadzihalilovic (Fr.-All., 1h58) avec Marion Cotillard, Clara Pacini, August Diehl… En salle le 17 septembre 2025.