Premier “vrai” long métrage de cinéma d’Héléna Klotz, La Vénus d’argent permet à la chanteuse Pomme d’effectuer ses débuts devant la caméra dans la peau de Jeanne, une jeune femme douée avec les chiffres ambitionnant de réussir dans le trading. Un conte initiatique moderne à l’ombre des tours, des palaces et des mirages aussi dorés que la parole des courtiers est d’argent. Rencontre au festival de Sarlat avec la réalisatrice.
Pourquoi vouloir aborder le monde la finance ? Le connaissiez-vous au préalable ?
Héléna Klotz : Pas du tout. Je n’avais pas du tout de connexion avec ce monde-là, même si j’ai fait un bac scientifique. Mais il est très peu exploré au cinéma, alors que c’est quand même une des choses qui régissent le plus le monde et nos sociétés. Il commence à y en avoir un peu dans les séries mais très très peu dans la fiction au cinéma. Comme je suis toujours intéressée par la jeunesse et le futur, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à imaginer entre ce monde de l’argent et un personnage jeune.
Avez-vous mis du temps à trouver vos interprètes, en particulier Claire Pommet alias Pomme ?
Je fais des casting pour gagner ma vie. Quand je commence à penser mon film, le moment du casting, fait partie de la manière dont je me construit en tant que réalisatrice. Là, c’est venu assez naturellement pour être honnête : il n’y a pas vraiment de réflexion. Pour les rôles principaux, j’ai vu une personne par rôle, quasiment. En fin de compte, je n’ai vu que Pomme pour le personnage de Jeanne. On s’est fait confiance, on a eu envie de partir dans l’aventure. On ne s’est pas dit qu’on n’y n’arriverait pas, mais qu’on allait y arriver. Je n’ai pas donc fait d’essai avec une autre comédienne.
Vous aviez toute confiance, même si elle n’est pas une comédienne à la base,…
En fait, on a beaucoup travaillé le personnage. Après, comme c’est quelqu’un qui performe sur scène, elle a un rapport à son image, au travail… Elle n’a pas peur de la scène, ni de l’exposition, ni d’être vue… C’est déjà un beau terreau pour une jeune comédienne…
Souvent, les chanteurs qui passent devant la caméra ne parviennent pas à faire oublier leur autre visage ; ça n’est pas le cas ici…
Ça me fait plaisir parce qu’elle a le film sur ses épaules : elle est de tous les plans… Il fallait qu’on y croie, en plus : elle joue un rôle pas facile, avec toute cette langue hyper technique des traders, il fallait y croire.
Langue maniée notamment dans les entretiens d’embauche. Comment vous êtes-vous renseignée sur la manière dont se déroulent ces “séances de torture” ?
J’ai vraiment fait refaire des entretiens d’embauche à des gens qui avaient des salles de trading et qui en faisaient passer. Je suis donc partie de vrais entretiens, avec deux frères qui bossaient chacun dans une banque différente, concurrents dans la vie, que j’ai mis ensemble pour se faire passer des entretiens l’un-l’autre — j’ai eu tout de suite un niveau élevé ! Dans film, 70 à 80 % des dialogues des entretiens d’embauche sont véridiques.
Vous disiez avoir beaucoup travaillé sur la question de la jeunesse. Jeanne et Augustin que vous suivez ici se projettent à dix ans dans l’argent pour l’une, dans la foi pour l’autre ; autrement dit, dans des univers plutôt immatériels…
L’argent, c’est abstrait… mais pour ceux qui n’en ont pas, c’est très concret ! Je pense qu’il y a une désillusion de la part du personnage d’Augustin, le militaire, ou un déplacement qui fait qu’à un moment, il a envie de réparer quelque chose Peut-être que ça vient aussi de ce qui s’est passé avec Jeanne, et de ce parcours qu’il fait après qu’elle lui a parlé. En tout cas, j’ai l’impression qu’il a une espèce d’idée d’élévation chez Augustin. On voit qu’il a une blessure dans le dos ; Il a vécu un truc un peu violent, il revient et il a l’envie de passer à autre chose, de sortir. Jeanne, si elle fait tout ce parcours, c’est qu’elle veut rentrer dans ce monde de l’argent et pouvoir se créer du choix. Ce n’est pas abstrait, c’est très concret.
Vous montrez également la vie d’une caserne, qu’on avait pu découvrir dans Titane de manière déréalisée. Ici, c’est très concret. Comment avez-vous abordé cette réalité ?
Je suis vraiment allée voir des casernes, j’ai pris pas mal de temps pour discuter avec des gendarmes, qui étaient là-bas, pour comprendre ce type de vie, comment les vies s’organisent… Les femmes ne peuvent pas travailler parce que les hommes sont tout le temps partis en mission. Beaucoup de femmes s’en vont, parce qu’elles n’ont pas vraiment d’avenir… à part être femme au foyer. Ce sont donc des lieux assez masculins. Mais il y a par contre des enfants.
À quel moment est venue cette idée de mêler les deux mondes : la gendarmerie et la finance ?
Dès le début, c’était presque le dispositif de départ qui m’a donné envie de faire le film — plus que l’histoire : ce sont deux mythologies contemporaines. Moi qui suis plus visuelle à la base, je trouve que d’un côté la caserne de gendarmerie avec les tours d’habitation et de l’autre la finance avec les tours de bureaux, c’était un truc assez fort sur le monde d’aujourd’hui. Ce sont deux espaces assez peu montrés au cinéma, c’était pas mal d’avoir un personnage qui passerait d’un lieu à l’autre. Dans la finance, ils se regardent beaucoup à travers les reflets, les miroirs ; comme si la frontalité n’était pas possible et passait à travers des projections et des mirages.
La lumière semble répondre à des codes…
Oui, c’est très important pour moi la forme d’un film, l’esthétique… Il y a un côté un peu crépusculaire avec pas mal de nuit, un côté un peu conte… Avec des éléments qui entrent en contraste, entre des lignes assez froides et verticales dans la finance — plus des jeux de reflets et des miroirs — et la caserne davantage dans la nuit, avec des lumières de gyrophares rouges, bleues. La fête dans la caserne est très rouge et bleu… C’est aussi important pour le spectateur d’avoir accès à un monde, qui rivalise avec le monde de la vie. Il y a une espèce de voyage… À la fin, le dernier entretien d’embauche se fait à la lumière du jour : parce que Jeanne a changé et le film lui aussi change, avec un dispositif qu’on a jamais vu auparavant.
Le personnage du trader Farès, le “mentor“ de Jeanne, conduit une Rolls. Est-ce la voiture qui a inspiré le titre du film ?
Exactement. Tout simplement, j’ai su que ça s’appelait La Vénus d’Argent. J’avais d’autres idées mais elles n’étaient pas très bien : Les Paradis perdus, mais c’est pas très fun ; Le Petit Soldat mais c’était déjà Godard ; Trompe le monde mais c’était pas dingue…
La Vénus d’argent de Héléna Klotz (Fr., 1h35) avec Claire Pommet, Niels Schneider, Sofiane Zermani… (en salle le 22 novembre 2023)