Second volet des Trois Mousquetaires, Milady offre à Eva Green de prolonger l’exploration de ce rôle-titre complexe, à la duplicité mystérieuse et au passé tragique. Rencontre avec la comédienne et le réalisateur Martin Bourboulon.
D’Artagnan ayant été un succès, abordez-vous la sortie de Milady avec sérénité ?
Martin Bourboulon : Je pense qu’il n’y a aucun metteur en scène qui serait capable de dire à 5 jours de la sortie que tout va bien (rires) Je pense même que James Cameron, avant même que Avatar 2 ne sorte, devait avoir une anxiété. J’ai terminé ce film il y a à peine deux mois. Ça fait pratiquement quatre ans que je suis dessus tous les jours… Le premier film a été d’un succès ; il a été bien reçu, il a plu aux mes acteurs — ce qui me réjouit encore plus. On est dans une vague ; maintenant, on ne peut rien prévoir de la sortie. Donc on verra bien…
Eva, vous avez tourné les deux films en même temps. Mais durant combien de temps avez-vous été Milady ?
Eva Green :Je suis arrivée un peu tard, c’était un peu plus condensé — je ne sais pas exactement combien de jours j’ai eu de tournage, mais je me souviens que la première scène que j’ai eue, c’était avec Vincent Cassel — merci Martin ! (rires)
MB : Une bonne entrée en matière, c’est la plus importante (rires)
EG : Mais j’avais l’avantage de le connaître “l’animal”-Vincent. Parce que si je ne l’avais pas connu, il y aurait eu encore plus le trac : c’est quand même une scène assez shakespearienne, tragique…
Aviez-vous lu l’œuvre de Dumas avant de plonger dans le film ?
EG : Dans le cadre scolaire. Là, j’avoue, j’ai regardé un petit peu quelques passages avec Milady, mais je préférais me “focusser” sur le script. Les scénaristes ont pris certaines libertés pour moderniser l’œuvre de Dumas. Le personnage est différent du roman, où — même si elle y est fascinante — je trouve qu’elle est proche d’une psychopathe avec un côté assez extrême, sans aucun scrupule. Dans cette nouvelle adaptation, elle a quelque chose de plus sourd, et peut-être d’un peu plus humain. C’est pour cela que j’ai dit oui : cette blessure secrète qu’elle porte et qui explique pourquoi elle s’est construite une carapace de femme fatale.
Cette blessure secrète que Milady porte explique pourquoi elle s’est construite une carapace de femme fatale.
Eva Green
J’ai aussi dit oui à ce projet à cause de la scène avec Constance : je trouvais que c’était très beau. On voyait le vrai visage de cette femme, sans fard ; quelque chose de très sincère et féministe. Je pense qu’elle est sincère dans tout ce qu’elle dit. Elle est bouleversée par le geste de Constance : c’est la première fois que quelqu’un lui témoigne une acte de bonté.
Aviez-vous en permanence la conscience de sa cicatrice pour construire son personnage — même si celle-ci n’est pas toujours visible à l’écran ?
EG : Oui ! Je pense que si elle n’avait été que machiavélique à 100%, je n’aurais pas voulu le faire. J’ai aussi adoré ces quelques secondes que Martin a ajoutées, où elle est seule et qu’elle enlève sa perruque — des petits moments où l’on voit l’humain…
C’est aussi un rôle très physique. A-t-il exigé une grande préparation ?
EG : Oh oui, c’est super ça ! (rires) C’est une chorégraphie : l’équipe de Dominique Fouassier est formidable — très sympathique, en plus — et très patiente. On est très fière de soi quand on arrive enfin à faire ce combat final… Toute cette préparation physique aide à créer le personnage, à se centrer.
MB : Ils le disent tous modestement… Mais j’avais vraiment envie de mettre en place ce principe de mise en scène qu’était la narration du temps réel. Puisqu’on se proposait de porter un nouveau regard sur cette histoire qui n’avait pas été adaptée depuis 60 ans [en France au cinéma, NDR], j’avais vraiment à coeur de revisiter un petit peu les scènes d’action et comme principe qu’on les voie et qu’on les vive. Et ça passait par la narration du temps réel : techniquement du plan-séquence mais au-delà, en restant au contact des personnages et de leurs traumas quand ils vivent la scène.
Le combat final — qu’on ne spoilera pas — ne peut être possible pour un metteur en scène que si les acteurs acceptent et réussissent à jouer la scène eux-mêmes : ils ne sont jamais doublés puisqu’il n’y a pas de coupe ni de montage. Si on fait une scène qu’on découpe avec 70 plans, un coup j’ai la doublure, un coup j’ai Eva… Là, c’est eux : Eva et François [Civil, NDR]. Donc s’ils ne travaillent pas ensemble correctement la chorégraphie, s’ils ne se préparent pas, je ne peux pas faire le film que j’ai en tête. C’était pareil au début, dans la grande scène du bois où les garçons se battent, dont je me suis servi comme d’une présentation.
Au cinéma, quand un acteur entre dans une pièce, soit la caméra est à l’intérieur et elle attend que l’acteur arrive — dans ce cas-là, on est dans la pièce AVANT le personnage ; soit on est derrière le dos du personnage, et l’on entre dans la pièce avec lui. Dans ces deux films, j’ai toujours essayé d’entrer dans les pièces avec les acteurs ; d’être en point de contact permanent pour ne jamais prendre un regard objectif, mais être le plus immersif possible. C’était ma manière de proposer un nouveau regard sur cette histoire.
D’où vient la diction si particulière de Louis Garrel ? De lui ou de vous ?
MB : C’est un mélange. en fait. On avait à cœur tous les deux de faire un roi qui soit à mi-chemin entre quelqu’un dont on pourrait complètement rigoler en ne le prenant pas au sérieux. Et qui, en un regard, aurait une autorité démoniaque et nous dirait « je te coupe la tête » . Donc, un mélange un peu bizarre. On en avait un peu discuté ensemble et il est parti dès les premiers jours sur ce personnage, avec cette diction, ce contretemps, ces rythmes un peu décalés, cette gestuelle, ce côté aigu, hésitant…
Le premier soir il m’appelle et me dit : « c’est une catastrophe ! — Mais, non, je te promets, c’est vraiment étonnant, ça m’a surpris. — Ah bon, tu es sûr ? » Le troisième jour de tournage : « c’est une catastrophe ! » Il faisait ça tout le temps, et puis à un moment, il a compris qu’on ne pouvait pas faire de retake — et heureusement, d’ailleurs. Et après, on a construit ce personnage au montage. Il est extraordinaire.
Où avez-vous tourné les scènes extérieur censées se dérouler à la Rochelle ?
MB : Entièrement à Saint-Malo. Pour moi, c’était un commando du GIGN qui s’infiltrait en temps réel, dans une enclave menacée — j’avais demandé au chef-costumier de leur faire des gilets, des bandeaux etc. J’avais très envie aussi, en mise en scène, d’avoir des ruptures sonores fortes, donc d’assumer des silence longs et d’être toujours derrière eux. Et ça dure 9 minutes avant même qu’ils arrivent dans le fort. Paradoxalement, la Rochelle n’était pas très appropriée ; donc merci les Malouins et les Malouines !
L’image semble avoir une dimension esthétique légèrement différente entre le premier et le second volet…
MB : Ils ont un dénominateur commun de fait : ils sont tournés en même temps. Mais après le retour d’expérience du premier film, on a modifié la colorimétrie. En France, comme partout dans le monde, peu de salles de cinéma sont calibrées au même niveau. On le voit aussi chez nous : un film qu’on regarde sur un iPhone, sur sa télévision, sur son ordinateur, n’a a pas forcément toujours la même lumière. On avait eu des retours pour des scènes du premier film — qui étaient assumées dans un côté un peu dense, un peu sombre — et qui étaient ressorties dans certaines salles très éteintes.
J’ai souhaité que ça soit “sale”. Parce que plus c’était sale, plus c’était sexy.
Martin Bourboulon
Comme la nature du deuxième film était d’être avec de la mer, des éléments naturels plus vivants et plus extérieurs-jour, la colorimétrie a un petit peu changé ; il y a plus de brillance. Mais j’ai souhaité, dans le deuxième film comme dans le premier, que ça soit “sale”. Parce que plus c’était sale, plus c’était sexy (rires). Pour les garçons et le mood du film.
Comment conçoit-on un film quand on sait qu’il sera scindé en deux épisodes ?
MB : C’est une obligation heureuse ! Pour les fabricants que nous sommes ou pour les acteurs, c’est quand même fantastique de donner un rendez-vous aux spectateurs. On est dans un moment où la consommation des images et des films a quand même changé. Et il n’y avait pas de raison objective à ce que le cinéma se prive du droit d’investir ce territoire du rendez-vous au spectateur, au même titre que les séries qui donnent rendez-vous d’un épisode à l’autre. Là, c’était génial de pouvoir se dire à la fin du premier : « il y a quelque chose qui fait qu’on vous accroche. ; on pourra vous raconter la suite dans le deuxième ».
Avoir le loisir — presque le charme — d’un premier film d’exposition où mettre en place les enjeux, et d’un deuxième où l’on va plus comprendre les traumas des personnages, en l’occurrence ceux de Milady ; comment son passer va resurgir dans ce moment qu’on raconte, c’est une expérience extraordinaire pour un réalisateur. Et puis, c’est rare de faire deux films en même temps. Déjà un, c’est pas facile…
Il peut y avoir un troisième volet : la fin le laisse supposer…
EG : C’est au public d’en décider…
Vous seriez partante ?
EG : Bien sûr !
MB : À quelques jours de la sortie, on ne peut pas absolument pas l’envisager tout de suite. Maintenant, on ne manque pas d’idées, de ressources ni de talents pour le faire… La fin — sans la spoiler — s’amuse, rend hommage à Alexandre Dumas : c’est le spécialiste du feuilleton, du page turner, de l’événement qui attend et rebondit en permanence. Alors à la question : « est-ce qu’on aurait envie d’en faire un ? », la réponse est probablement oui. Mais j’ai envie de dire comme Eva : le spectateur décidera de lui-même.
Les Trois Mousquetaires : Milady de Martin Bourboulon (Fr, 1h55) avec Eva Green, François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï (sortie en salle le 13 décembre 2023)