Un robot affectueux, des enfants incompris, des araignées invasives et des duellistes acharnés sont à l’affiche de la dernière semaine de l’année. Entre autres…
Mon ami robot de Pablo Berger
Dans une fin d’année peu excitante en termes de longs métrages d’animation (hormis Migration de Benjamin Renner issu du studio Illumination) où l’on n’attend plus guère d’originalité en provenance de Disney-Pixar — qui semble avoir perdu sa (buena) vista, Mon ami robot constitue une divine surprise. Une demi-surprise en réalité, puisqu’il est signé par l’Espagnol Pablo Berger. Quittant pour la première fois les prises de vues réelles, l’auteur de Biancanieves (2012) en reprend l’une des contraintes : l’absence de dialogue pour une histoire aux allures de conte philosophique.
Adaptant ici la BD de Sara Varon Rêves de Robot, Berger épouse le style graphique “ligne claire“ de l’autrice pour narrer les mésaventures d’un chien solitaire faisant l’acquisition d’un compagnon robotique. Leur relation d’amitié fusionnelle va hélas être contrecarrée par une panne de l’automate sur une plage, obligeant le chien à abandonner l’androïde sous le sable pendant un an. Durant cette année, le robot poursuit en pensée l’histoire d’amitié avec son “propriétaire”… tandis que celui-ci se montre plus volage, voire oublieux…
Sans un mot, donc, et dans un New York peuplés d’animaux anthropomorphes, Pablo Berger renvoie le portrait d’une société de solitude et d’égoïsme hyper-réaliste, où l’assouvissement des désirs immédiats et la fascination pour les simulacres oblitèrent l’importance des relations authentiques. Paradoxalement, une “intelligence artificielle” s’avère ici plus sensible qu’un être vivant, en exprimant ses affects avec une pureté d’âme déchirante. Le Robot de Berger évoque irrésistiblement le merveilleux Géant de fer (1999) de Brad Bird, dont la conscience et l’abnégation synthétiques surpassent celles des humains qui l’entourent et le pourchassent. Il mériterait de le rejoindre au rayon des authentiques classiques contemporains.
Mon ami robot de Pablo Berger (animation, Esp.-Fr., 1h42)…
L’Innocence de Hirokazu Kore-eda
Un Prix du Scénario à Cannes a couronné Kore-eda pour L’Innocence. Sans doute autant pour la thématique (le harcèlement scolaire) que pour son judicieux recours d’un récit “à la Rashōmon”, où différents points de vue viennent peu à peu révéler la complexité des enjeux. Car une vérité considérée d’un seul côté demeure toujours bancale ; sa valeur ne s’établissant réellement qu’à la convergence des regards, au-delà des contradictions apparentes.
L’Innocence — qui s’est longtemps appelé Monster — suit donc la trajectoire de Minato, un collégien élevé par une mère célibataire persuadée que le mal-être de son fils est imputable à des brimades exercées par un enseignant. Celle-ci perd patience face à l’immobilisme de l’école et au comportement étrange du professeur, alors que l’état de Minato se dégrade. Il faudra en complément l’éclairage subjectif du professeur, puis de Minato, pour découvrir un drame invisible aux yeux de tous…
Ce que Kore-eda renvoie de la société nippone est violent, brutal, ravageur — comment ne pas songer à About Kim Sohee (2023) de July Jung dénonçant, là aussi en plusieurs temps, la machine à détruire les élèves coréens comme les lâchetés complices des différentes administrations ? Est-on si loin du trop fameux “pas-de-vaguisme“ en France face aux signaux faibles et forts comme aux cas avérés de maltraitance dans et hors de l’école ?
Alors, ce récent changement de titre pour sa sortie hexagonale est-il heureux ? Si L’Innocence dévoile autant que le précédent le secret final du film, il en gomme une certaine âpreté. Et biaise inconsciemment la perception du spectateur à ce moment où, dépositaire de toutes les données de la situation, il est amené à s’interroger sur sa potentielle réaction à la place des personnages. Indubitablement, “l’effet-miroir“ n’est pas le même quand on doit se positionner fasse à l’innocence ou face à la monstruosité…
L’Innocence de Hirokazu Kore-eda (Jap., 2h06) avec Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa…
Vermines de Sébastien Vaniček
Disons-le tout net : il y a chez Sébastien Vaniček du Carpenter non pas qui sommeille, mais s’éveille. Outre un goût pour les huis clos forcés où se confronter à des créatures extra-ordinaires, le réalisateur partage avec son aîné cette appétence pour le genre fantastique, parfait véhicule pour pointer les bizarreries torves de la société. Et tout particulièrement ses déséquilibres de classes.
En l’occurrence, il confronte les habitants d’une cité populaire (les Arènes de Picasso à Noisy-le-Grand) à une infestation d’araignées exotiques malencontreusement introduites dans leur immeuble. L’évolution adaptative et l’augmentation exponentielle des arachnides transforme les résidents en proies. Mais qui sont réellement les prédateurs dans cette histoire ?
C’est autant par sa manière d’investir (et donc, de filmer) des espaces affreusement banals et/ou restreints que par la diversité de ses personnages que Vaniček révèle son talent, dans cet escape movie respectant tous les codes du survival. Particulièrement crispant pour les arachnophobes, Vermines recèle un double-fond politique loin d’être anodin : il dope d’ailleurs son finale de façon plutôt inattendue mais avec pertinence. Un coup d’essai prometteur.
Vermines de Sébastien Vaniček (Fr., 1h45) avec Théo Christine, Lisa Nyarko, Jérôme Niel…
Une affaire d’honneur de Vincent Perez
Bien que désuète (et interdite sans succès à maintes reprises depuis… le XVIe siècle), la pratique du duel pour l’honneur se prolongea en France jusqu’en 1967. Elle connut même un engouement remarquable dans le Paris de la fin du XIXe siècle où, militaires orphelins de l’Alsace-Lorraine, nobliaux fin de race, bourgeois romantiques et plumitifs avides de publicité jouaient de la rapière ou du pistolet à la moindre invective. C’est autour de cette époque sanguine que Vincent Perez a tricoté son nouveau drame historique.
On y découvre Clément Lacaze, un maître d’armes réputé, devant à contre-cœur (et contre les usages) relever le gant contre un haut gradé ayant exécuté son neveu en duel… mais aussi initier la militante féministe Marie-Rose Astié à ferrailler. La chose s’avère d’autant plus incongrue à l’époque que cette adapte des pantalons et du droit de vote veut le faire contre des hommes !
Certes un brin égratignée par quelques anachronismes (comme parler de « diktat » en 1887, soit longtemps avant le traité de Versailles qui valut son intégration à la langue française), la reconstitution est propre et le film s’appuie sur une solide distribution — dans laquelle Vincent Perez s’est réservé le rôle de l’antagoniste — et joliment emballée par la partition des frères Galperine. Elle témoigne aussi d’une écriture visuelle maîtrisée.
Chacun des cinq duels que Perez propose en effet sa singularité par le choix des armes, des décors, des bretteurs, variant le spectacle comme les enjeux. Et dire que sous couvert d’’honneur, prétexte fourre-tout bien commode, les duels servaient à réprimer des aspirations à la liberté. La belle affaire !
Une affaire d’honneur de & avec Vincent Perez (Fr., 1h40) avec également Roschdy Zem, Doria Tillier, Guillaume Gallienne…