L’année débute avec des réalisatrices et sous des auspices sentimentaux : d’un côté, une dentiste s’essayant aux applications de rencontres ; de l’autre, un prêtre expérimentant le polyamour. Entre autres…
Iris et les hommes de Caroline Vignal
Changer de point de vue, renverser le regard, inverser les codes en plaçant la féminité au centre et la masculine en périphérie… S’il paraît simple sur le papier, ce concept n’en demeure pas moins délicat à traduire à l’écran. Le risque existe de faire passer le message avant la raison d’exister d’un film (son histoire) en la réduisant à un prétexte. Bref, de privilégier le véhicule au détriment des passagers que sont les personnages et les spectateurs — a fortiori dans des comédies sentimentales ou dramatiques.
En France, des réalisatrices s’intéressent volontiers à la question, comme Blandine Lenoir (Aurore, Annie Colère) ou Caroline Vignal (Antoinette dans les Cévennes, Iris et les hommes). C’est peut-être un hasard si leurs longs métrages affichent le prénom féminin de leur héroïne dans le titre ; est-ce une coïncidence si Laure Calamy se retrouve au générique de la plupart d’entre eux ?
Personnage-titre de celui-ci, Iris est une dentiste quadragénaire dont l’existence ressemble au cliché de la famille-modèle : zéro problème pécuniaire, une fille brillante et un mari attentionné. Mais — car il y a toujours un “mais” —, sa vie sexuelle est en berne. Suivant les conseils d’une vague relation, Iris s’inscrit sur une application de rencontres et entame, à son grand étonnement (et à son immense plaisir), une double-vie faite de cinq à sept sans lendemain. Mais — car il y a décidément toujours un “mais” — peut-on à ce point chambouler ses habitudes sans en payer un quelconque prix ?
Caroline Vignal renouvelle un genre qui fit florès durant l’Âge d’or d’Hollywood : la comédie de remariage, dont elle soustrait ici — modernité et relecture obligent — la composante “séparation/divorce“. Homme au foyer télétravailleur, le mari est un décor, une silhouette de fond de court apathique, pendant qu’Iris se livre à ses expérimentations sensuelles. Inhabituel, mais crédible. Comme l’est la chape invisible de la morale ou celle de la culpabilité qui s’abat ici ou là sur la malheureuse dentiste, amenuisant ses bouffées de félicité.
Entre les deux, les hommes défilent selon ses règles, certains hâbleurs, d’autres plus habiles en conversation horizontale. On redoute la mauvaise rencontre, on s’attend à un coup de foudre… et on est cueilli par un un intermède de comédie musicale. Plus qu’un démon de midi féminisé, Caroline Vignal livre un regard sociologique sur ce qu’il est attendu des hommes comme des femmes… et renvoie en prime celui que l’on adresse aux femmes qui s’écartent de la norme.
Un dernier mot pour un second rôle, la très expressive Suzanne de Baecque interprète de la patiente Nuria — l’assistante médicale d’Iris. Reconnaissable à sa candeur écarquillée, la comédienne révélée au théâtre a multiplié les apparitions en 2023, avec des rôles rappelant ceux que sa partenaire Laure Calamy endossait à ses débuts il y a une dizaine d’années. Finalement, il n’ y a pas de hasard mais de la continuité.
Iris et les hommes de Caroline Vignal (Fr., 1h38) avec Laure Calamy, Vincent Elbaz, Suzanne de Baecque…
Amours à la finlandaise de Selma Vilhunen
Vous souvenez-vous de Secrets et Mensonges (1996) de Mike Leigh, et notamment de la séquence-clef de la “révélation” ? Un moment de tension dramatique si extrême qu’il confinait à l’absurde voire, paradoxalement, au burlesque. Évoluant sur une comparable (et délicate) ligne de crête, Amours à la finlandaise amalgame sans fausse pudeur ni jugement des situations de tragédie et des scènes dignes d’un vaudeville contemporain — un mariage harmonieux.
En va-t-il de même pour celui de Juulia, lorsqu’elle apprend que son époux Matias mène une relation extra-conjugale depuis des mois avec Enni ? La nouvelle digérée, Juulia propose à l’infidèle de transformer leur couple en union polyamoureuse. Une idée d’autant plus culottée qu’ils ont de la progéniture, que Juulia est une députée en vue et que Matias est… pasteur. L’arrangement insolite se met en place et connaît des conséquences inattendues…
Le contexte nordique, où les passions amoureuses mettent à l’épreuve le principe de réalité (en particulier les tiraillements entre les aspirations à liberté individuelle et le carcan moral protestant), renvoie fatalement à Bergman. Certes, l’accroche de l’affiche appuie sur la proximité en revendiquant « des scènes de la vie extra-conjugale » ; n’empêche ! Selma Vilhunen s’avère très adroite dans l’écriture et la réalisation des séquences d’explications entre ses protagonistes : Matias face à son directeur de conscience ; les amants entre eux à deux, à trois, à quatre ou en famille à Noël… Chaque combinaison induit des résonances intimes particulières, des dialogues singuliers… et de grands moments d’inattendu. La vie, plus que “le cinéma”, en ressort.
La trame d’Amours à la finlandaise aurait pu déboucher sur une farce égrillarde, mais à l’instar de Entre adultes consentants (2004) de Mike Nichols ou du plus ancien Bob et Carole et Ted et Alice (1969) de Paul Mazursky, elle permet de s’interroger sur la définition du lien amoureux à un instant t. Et fait ressortir la médiocrité masculine de Matias — censé être une boussole morale mais plus enclin à indiquer le sud à titre personnel — face à Juulia, politicienne taraudée par la ménopause qui, elle, parle/agit vrai en toute circonstance.
Alma Pöysti incarne avec cette héroïne un rôle à l’opposé de celui qu’elle tenait dans Les Feuilles Mortes. Si elle y avait gagné de la notoriété, ce Kaurismäki sans beaucoup d’intérêt la faisait ressortir fade par osmose. Dans cette chronique cadencée par les migrations d’oiseaux et les fin d’années, Pöysti se rapproche plutôt, et c’est heureux, de Liv Ullmann.
Amours à la finlandaise de Selma Vilhunen (Fin.-Fr.-Suè., 2h01) avec Eero Milonoff, Alma Pöysti, Oona Airola…