« J’ai été un cinéphile obsessionnel, je passais ma vie dans les salles obscures. D’ailleurs, j’ai pensé que ma vie serait le cinéma ; le théâtre est arrivé parce que j’ai raté la FEMIS » Ainsi parle l’ancien directeur du Festival d’Avignon, qui revient au cinéma comme réalisateur après une longue éclipse pour s’intéresser à l’un des maîtres de la scène, Molière…
Vous avez été très occupé ces dernières années, mais pourquoi avoir attendu vingt-trois ans pour refaire du cinéma. Fallait-il que la figure de Molière s’impose à vous pour que vous repreniez une caméra après Les Yeux fermés ?
Olivier Py : Ah non, je ne trouvais pas les financements. C’est tout. J’ai essayé, hein (rires) J’ai essayé, mais je n’ai pas réussi pendant presque vingt ans. Jusqu’à ce que L’Atelier de production me téléphone au moment où je ne croyais plus pouvoir faire du cinéma. Peut-être parce que je suis un peu trop cabochard et que je voulais faire un film comme je voulais le faire et sans compromis. Et heureusement, j’ai trouvé une production un jour qui m’a dit : « Allez, allons-y, faisons-le ».
Le scénario existait, donc…
Non, non. Pour vous raconter ma vie, après ce premier long métrage improbable, il y a 30 ans, j’ai fait 7 ou 8 scénarios que j’ai posés à l’Avance [sur recettes, NDR], j’ai démarché, et puis je n’ai jamais réussi. Mais il y a quelques années, j’ai fait avec Lise Beaulieu — la monteuse de mon premier film — un court-métrage qui s’appelle Mediterranée, à partir des Super8 de mes parents. Ça ne coûtait pas très cher, il fallait juste le génie de Lise et du scotch. Donc, ça m’a de nouveau donné envie. C’est comme ça que j’ai rencontré des producteurs qui m’ont appelé pendant le Covid. Pendant le Covid, j’avais du temps, voilà !
Pour faire le lien entre Les Yeux fermés et Le Molière imaginaire, même si on se situe dans des univers et des thématiques assez éloignées, il y a quand même des points communs : Thanatos et l’influence de la nuit…
Oh mais c’est tellement juste ! Je ne sais pas comment on peut faire un cinéma qui ne parle pas de la mort. Je pense que le cinéma, essentiellement, parle de la mort. Le cinéma est toujours en noir et blanc même quand il en couleur : et il est toujours muet même quand il est parlant. Et il parle toujours de la mort. Le sujet fondamental, c’est toujours la mort. Mais c’est pas forcément morbide (rires) C’est le génie du cinéma : on peut parler du cinéma, mais c’est pas forcément morbide.
Et quid de la nuit ? Sachant qu’il y a une différence malgré tout : pour le premier, vous utilisez des petites caméras qui étaient moins précises…
C’était les débuts. Elles étaient moins précises, mais en même temps, c’est ce que j’aimais. Parce que je n’aime pas les 35 couleurs. Je veux qu’il y ait un traitement de pellicule. Alors on s’était beaucoup amusé avec le même chef-op’ à faire un film qui ne ressemblait pas à du 35, mais une sorte de 16 gonflés, de Super8. À détraquer la balance des blancs, que ce soit trop rouge, trop bleu… En tout cas, que ça ne ressemble pas à du cinéma réaliste, ce que je suis totalement incapable de faire. J’aimerais bien, mais je n’y arriverai jamais. Ce sera pour une autre vie.
Là, justement, il y a quand même un effet de réalisme qui est beaucoup plus marqué même si on sait qu’on est dans une nuit ou quelque chose d’onirique…
Oui… La nuit, c’est le monde où je me réconcilie avec moi-même. Je suis totalement dépressif jusqu’à la tombée du jour. Quand arrive la nuit, je me dis que finalement (rires), c’est pas si insupportable que ça — ça a toujours été comme ça. Donc, pouvoir rester dans la nuit, jour et nuit, ça fait souvent le théâtre, mais ça peut être aussi le cinéma, faut être totalement claustrophile, ça me va très bien. Et tout de même, pour la pellicule, là, il y a un travail qu’on a fait avec Luc [Pagès, NDR], qui fait que ça ne ressemble pas à du 35 mm couleur réaliste.
Notamment parce qu’on le tournait à la bougie. Moi, j’y croyais pas trop au départ. Mais les caméras ont changé, évidemment. On avait une caméra à la fois stable et puis surtout légère, à qui l’on a fait faire un peu les pieds au mur, puisqu’on a toujours toujours en plan-séquence et à la bougie. On avait quelquefois même trop de lumière avec nos mille bougies qu’on éclairait, qu’on éteignait… Mais on peut pas tricher avec la bougie, hein. C’est pas la couleur, c’est le chatoiement, qui d’ailleurs ressemble un peu au mouvement stroboscopique du cinéma. Ça nous a rendus très heureux. Dès qu’on éteignait les “lumières de la ville” — les projecteurs —dès qu’on disait « action », on avait une sensation d’être dans une machine à remonter le temps.
Comment avez-vous tourné vos plans-séquences ?
Alors, je ne vais pas vous mentir : bien sûr, le film était un plan-séquence, mais ce n’est pas un seul plan-séquence, sinon, on l’aurait tourné en un jour, et nos producteurs auraient été très heureux ! Je leur avais vendu ça, il y aura une journée de tournage, et ils étaient très contents (sourires) Il y a eu plusieurs plans-séquences — vingt-cinq ? Mais malgré tout, ça fait des plans-séquences très longs, pour lesquels on a d’abord storyboardé, de manière très précise, un peu comme un grand film hollywoodien, avec Pierre-André Weitz —le décorateur.
On a fait des maquettes du film, on a filmé tous les mouvements de caméra qu’on voulait faire avec un simple téléphone dans les maquettes. Et puis ensuite, on a beaucoup travaillé en répétition, avec la caméra dans un lieu qui nous a permis d’essayer tous les mouvements de caméra et de vérifier que ce qu’on avait proposé au storyboard était jouable, avec des acrobaties quelquefois incroyables, puisque quelquefois, les chefs-op’ se passaient la caméra pour pouvoir continuer.
Des plans-séquences qui quelquefois font 10 minutes, ce sont des moments d’héroïsme fou où le temps s’arrête,
Olivier Py
Faire des plans-séquences au cinéma, c’est extrêmement excitant. Pour moi, en tout cas, quand c’est des scènes très découpées, le tournage est beaucoup plus rébarbatif. Des plans-séquences qui quelquefois font 10 minutes, ce sont des moments d’héroïsme fou où le temps s’arrête, où il y a un danger perpétuel. Je me rappelle des scènes avec Jeanne [Balibar, NDR], où on a eu des poules qui, à chaque fois, nous faisaient perdre le plan-séquence à la dernière minute, parce qu’il y avait une poule qui sautait au milieu du cadre (sourire)
Est-ce pour retrouver à la fois la spontanéité du théâtre et la spontanéité du cinéma-pellicule que vous avez choisi cette contrainte ?
Pas vraiment. J’ai envie de faire ça aussi par rapport à l’histoire. L’idée que le temps du film et le temps réel étaient superposés. Si j’ai la chance de trouver un jour de financement pour faire un film, je ferai un film très découpé. Plus jamais de plan-séquence. Terminé !
Le Molière imaginaire de Olivier Py (Fr., 1h34) avec Laurent Lafitte, Stacy Martin, Bertrand de Roffignac… en salle le 14 février 2024