Une prof au bord de la crise de nerfs et une infecte gourou de secte sont à l’affiche cette semaine. Entre autres…
La Salle des profs de İlker Çatak
Un collège allemand voit sa sérénité se fissurer lorsqu’une série de vols affecte la salle des professeurs. Une jeune enseignante — Carol Nowak — tente d’identifier le ou la coupable, et ses découvertes vont créer un sentiment de malaise. Celui-ci s’accroît à la suite d’une “opération coup de poing“ opérée dans la classe de Carol débouchant sur la mise au ban d’un élève. Une boîte de Pandore a été ouverte, plus rien ne permettra de la refermer…
Ces derniers mois, par-delà des frontières, l’école et la communauté éducative semblent constituer pour les cinéastes un théâtre idéal pour déployer des enjeux dramatiques majeurs. Un monde de Laura Wendel, About Kim Sohee de July Jung ou L’Innocence de Horokazu Kore-eda avaient ainsi approché la question du harcèlement du primaire au lycée, rendant compte de la cécité (involontaire ou contrainte) de l’encadrement enseignant mais aussi de la persistance de tendances grégaires peu estimables. Avec La Salle des profs, lker Çatak pousse le curseur un cran plus loin en dépeignant en parallèle deux micro-sociétés (la classe d’une part, de l’autre le bloc profs-administration) se soumettant chacune à leurs règles internes plutôt qu’à une justice extérieure. Ou comment le désir de faire “au mieux“ en parant au plus pressé s’avère le plus court chemin vers le chaos.
Absence de collégialité
Une succession de (mauvaises) initiatives catalyse ici un effondrement général. Du côté enseignant, c’est confraternité et l’union de façade qui sont balayées par le surgissement de difficultés. Liée à leur apparition, Carol en devient une sorte de bouc émissaire — et le fait qu’elle ne se coule pas dans le moule, soit plus jeune que les autres, vouvoie certains de ses collègues ou ait des origines polonaises semble devenir des facteurs aggravants. Si le vieux dicton « malheur à celui par qui le scandale arrive » se trouve en l’occurrence — hélas pour elle — bien vérifié, on notera qu’une situation de crise est toujours un puissant révélateur de caractères humains ! Du côté des enfants en revanche, il y a moins de fausseté dans les réactions, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont moins violentes, ni moins bien décrites. Le distinguo opéré par Catak est subtil et parfaitement relayé par ses jeunes comédiens.
Huis clos d’un genre singulier, La Salle des profs ne s’échappe guère de l’établissement où se joue le drame. Comme si une attraction buñuellienne interdisait à la caméra de quitter les lieux. Au reste, ce n’est pas la seule incursion dans une sorte de surréalisme cauchemardesque : outre le descriptif de certaines procédures administratives aux allures — comme souvent — kafkaïennes, İlker Çatak insère dans ce récit au réalise assumé de (rares) inclusions fantastiques trahissant le glissement de Carol Nowak vers les lisières de la folie. De maîtresse du jeu dans sa classe, elle passe en position de proie, le cadre resserrant son isolement grandissant.
Aperçue récemment dans Les Leçons persanes (2020) de Vadim Perelman, mais plus familière des séries, l’interprète de Carol (Leonie Benesch) sculpte en orfèvre ce rôle en or. Quant à l’irruption d’İlker Çatak dans le paysage audiovisuel germanophone, elle offre une alternative bienvenue au maniérisme outré de Jessica Hausner sur le segment de ce cinéma travaillant l’inconfort du spectateur à travers sa culpabilité et sa conscience — dans le sillage de Seidl et bien sûr, de Haneke. Il ne serait pas immérité que grâce leur travail conjoint, Catak et Benesch ravissent l’Oscar du meilleur film international.
La Salle des profs de İlker Çatak (All., 1h39) avec Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak… en salle le 6 mars 2024.
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14 jours pour aller mieux de Edouard Pluvieux
Sur le point de faire un beau mariage avec la fille de son patron, Maxime est toutefois mal à l’aise dans son costume de genre idéal. D’abord, il a travesti ses origines familiales en mentant sur la profession de ses parents “simples“ droguistes. Ensuite, il n’a pas encore obtenu la signature de contrat escomptée par son futur beau-papa. Enfin, il ne supporte pas le frère de sa promise, sorte de new age allumé qui a prévu une retraire dans une simili secte jadis fréquentée par feue sa mère. Mais une série de catastrophes contraint Maxime de l’accompagner dans l’espoir de sauver son mariage…
À l’origine était un sketch de Maxime Gasteuil, nous dit-on. Fallait-il pour autant en tirer un film — ou, à tout le moins, ce film ? Si l’on décortique l’intrigue, on trouve le vieux ressort du “beau mariage” entre un pauvre hère et une princesse, recyclé à l’envi durant les Trente Glorieuses sous la forme de “jeune-cadre-dynamique-convolant-avec-la-fille-du-PDG”. Ces fantasmes petits bourgeois, autant que les personnages über caricaturaux ou les rebondissements éculés semés au fil de l’histoire — la coincée qui se transforme en nymphomane, le ravi de la crèche qui se désagrège peu à peu, le bègue qui se met à parler à la fin… — renvoient au cinéma le moins inspiré de Claude Zidi, ou à ces comédies tardives de Francis Veber, dans lesquelles le roi du buddy movie à la française tend à s’autoparodier.
Certes, la gourou agressive que campe Zabou Breitman laisse un temps espérer que ces 14 jours pour aller mieux vont s’aventurer vers un humour féroce, voire cruel. Mais cela ne dure pas au-delà d’une séquence : la transgression version Pluvieux/Gasteuil demeure sagement domestiquée, pour confiner à l’asepsie à l’instar d’Hommes au bord de la crise de nerfs d’Audrey Dana là où l’on aurait espéré l’audace décapante du Problemos (2017) d’Éric Judor. Peut-être vaut-il revoir ce dernier si l’on veut aller mieux…
14 jours pour aller mieux de Edouard Pluvieux (Fr., 1h36) Avec Maxime Gasteuil, Romain Lancry, Zabou Breitman… en salle le 6 mars 2024