Une erreur sur la personne, un road trip familial et un retour aux sources précèdent la Fête du Cinéma sur les écrans. Entre autres…
Les Pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse
Identifié par la superstar des policiers comme étant Paul Bernardin — un homme suspecté d’avoir assassiné toute sa famille avant de disparaître mystérieusement — le malheureux Michel Uzès est interpellé au Danemark puis relâché. Au grand dam de deux enquêtrices amatrices, qui poursuivent leurs investigations, persuadé qu’il est bien le monstre recherché. Pendant ce temps, le vrai Bernardin coule des jours heureux en Amérique du Sud…
Si l’on avait observé un authentique saut qualitatif entre Apnée (2016) et Oranges sanguines (2021), ce troisième long métrage réalisé par le patron de la compagnie des Chiens de Navarre déçoit en partie parce qu’il n’offre pas le même renouvellement, voire se complaît [attention spoiler] à revisiter la séquence gore de torture-mutilation ayant valu sa sulfureuse renommée aux Oranges… précités. Pour sanglante qu’elle fût, celle-ci était sans doute moins caustique que le portrait féroce de la société et du cynisme des politiciens brossé par ailleurs dans le film.
Mise en pièces
Les Pistolets en plastique reprend également cette forme hybride empruntant à la tradition du film à sketches — terme que l’auteur récuse — puisque des saynètes faisant intervenir des personnages éphémères, dans des décors extérieurs, s’agrègent à la ligne narrative principale. Ces segments quasi autonomes s’avèrent aussi bien commodes pour accueillir une foule de caméos disposant ainsi d’un espace où mettre en valeur leur présence autant que leur personnage (Jonathan Cohen, Vincent Dedienne, Aymeric Lompret voire Romane Bohringer peuvent témoigner). C’est tout juste s’ils ne font pas de l’ombre aux autres interprètes de cette distribution pléthorique, de laquelle se distinguent Gaëtan Peau dans le rôle du faux coupable (aux antipode du modèle hitchcockien) et surtout Charlotte Laemmel en vieille fille introvertie révélant des tendances perverses insoupçonnées.
Sinuant de moments d’une noirceur désopilante (mention ici pour la concierge raciste décomplexée) à des passages plus laborieux, l’univers de Jean-Christophe Meurisse s’inscrit quelque part entre le cinéma de Roy Andersson, le cinéma grolandais et la prolifique production de Quentin Dupieux. Où ? Trop tôt encore pour le dire : il n’a pas encore atteint sa maturité pour affirmer sa pleine et entière singularité.
Les Pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse (Fr., 1h36 avec avert.) Avec Gaëtan Peau, Anthony Paliotti, Delphine Baril, Charlotte Laemmel, Laurent Stocker… En salle le 26 juin 2024
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La Famille Hennedricks de & avec Laurence Arné
Justine et Ludo ont recomposé une famille avec Henri l’ado de l’une et Joseph, le fils de l’autre. Mais la vie plutôt roots à la ferme pèse sur l’aîné qui rêve de retourner vivre chez son père plus fortuné. Afin de recimenter sa tribu, Justine entreprend au débotté un road trip sur les lieux de son enfance, le long de la côte atlantique. En cachant à son petit monde qu’ils partent sans un sou en poche…
D’aucuns auront peut-être eu une impression de déjà-vu à la lecture de l’argument du premier long métrage de Laurence Arné. Et pour cause : celui-ci suit de quelques mois la sortie de Nous, les Leroy de Florent Bernard reposant sur une trame voisine (le besoin d’une famille traversant une période critique de revenir dans des endroits fondateurs pour se retrouver), traitée ici de manière moins dramatique. Les grands esprits se rencontrent, pourrait-on dire.
Sur la route
Plus nostalgique que mélancolique, La Famille Hennedricks est aussi un autoportrait de sa réalisatrice qui ne cache pas avoir puisé dans son histoire personnelle outre le sujet de la “cohabitation” dans une fratrie composite, les décors charentais ayant accompagné ses jeunes années, la musique permettant en définitive de lier les membres entre eux… sans négliger la recette des croquettes de coquillettes (qu’elle tient de sa grand-mère). Il ne faut pas creuser loin pour qu’affleure le sel des souvenirs.
D’une facture classique, le film rappelle toutefois que Laurence Arné possède un goût pour les personnages transgressifs — ne l’avait-on pas découverte en DRH trash dans la série Workingirls ? Car sous ses dehors policés, Justine commet ici sciemment une foule d’actes de délinquance (grivèlerie, vols, extorsion, délit de fuite etc.) et de mensonges en ignorant volontairement des conséquences : celles-ci pèsent moins que l’espoir de ressouder le lien familial. Il y a là comme une tentation d’irrévérence qui mériterait d’être poussée davantage : au cinéma, c’est non seulement permis mais vivement encouragé.
La Famille Hennedricks de & avec Laurence Arné (Fr. 1h38) avec également Dany Boon, Ferdinand Redouloux, Jehan Renard… En salle le 26 juin 2024
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L’Enfant qui mesurait le monde de Takis Candilis
Homme d’affaires austère et égoïste, Alexandre Varda se rend en urgence sur une île grecque où sa fille, qui avait coupé les ponts avec lui, vient de périr. Ayant prévu d’y rester le moins de temps possible, Varda doit revoir ses plans lorsqu’il se découvre grand-père de Yannis, un jeune autiste passant son temps à tout compter et mesurer. À son contact, une lueur longtemps réprimée va se rallumer chez Alexandre…
Jadis réalisateur mais surtout durant plusieurs décennies grand ponte des programmes à TF1 puis sur France Télévisions, Takis Candilis renoue donc ici avec ses premières amours en signant cette adaptation de Metin Arditi… évoquant le retour d’un puissant capitane d’industrie à ses sources familiales grecques. On comprend qu’une corde affective ait pu vibrer face aux thématiques abordées par le roman, démultipliant l’effet de projection dans le personnage d’Alexandre en quête de racines, d’apaisement et de rédemption.
Hélas, trop d’intentions et peu d’aboutissement plombent ce film qui succombe à des facilités folkloriques — ah, la Pâque orthodoxe et ces œufs bariolés ! — et laisse ses comédiens en roue libre (Campan, abandonné à lui-même, serre des dents avec outrance et grimace pour bien montrer qu’il est méchant). Appuyé là où le sujet exige que chacun se défasse de ses pesanteurs, le conte mute en prêche aussi anodin que dispensable. Admettons que Candilis avait besoin de cette étape, cette réinitialisation personnelle, pour se remettre dans le bain avant d’envisager une nouvelle réalisation.
L’Enfant qui mesurait le monde de Takis Candilis (Bel.-Fr.-Gr., 1h44) avec Bernard Campan, Raphaël Brottier, Maria Apostolakea, Fotinì Peluso… En salle le 26 juin 2024