Deux meilleurs ennemis se retrouvent dans les salles en cette semaine olympique. Entre autres…
Deadpool & Wolverine de Shawn Levy
Ayant échoué à intégrer les Avengers, Deadpool a rangé son costume mais n’est pas pour autant rangé des voitures puisqu’il est devenu concessionnaire automobile. Sa vie pépère est troublée un jour par l’irruption de Paradox, une sorte bureaucrate au service de la continuité temporelle du MCU qui lui propose d’intégrer enfin le multivers chez Disney. Seule condition : vouer à la disparition tous les personnages de son propre univers. Peu docile de nature, Deadpool se rebelle et plonge à travers les mondes parallèles pour rechercher le responsable indirect de cette situation, Wolverine. Malgré leur rivalité ontologique, ils vont devoir faire équipe pour sauver leurs existences mutuelles…
Le salut du MCU, au moins à court terme, viendrait-il de l’impertinence ? Après avoir enregistré quelques “déceptions“ artistiques et au box office — la claque du déficitaire The Marvels (2023), ainsi que les résultats discutables de Thor : Love and Thunder (2022) ou de Ant-Man et la Guêpe : Quantumania (2023) — les pontes de Marvel (donc de Disney) semblent commencer à douter de leur stratégie bulldozer. À s’étonner, presque, qu’après quinze années de pilonnage et une bonne trentaine de films (sans compter les séries), le public soit gagné par une très prévisible lassitude face à leur machine à cash certes en expansion continue mais s’enferrant dans la complexité de son propre cosmos.
Lancé par une incarnation cool et disruptive — Tony “Iron Man” Stark, figure excentrique par excellence —, le MCU canal historique avait perdu la distance sarcastique de son sale gosse en lui offrant Avengers : Endgame (2019) pour tombeau. Auparavant, Logan (2017) avait scellé le sort du plus populaire de tous les personnages Marvel, Wolverine, mélange sexy de bestialité instinctive et d’ambiguïtés humaines. Deux êtres manquent et tout est dépeuplé. Mieux que Thanos, en somme. Comme espérer continuer à marcher quand on se tirer des balles dans les deux pieds ? Peut-être en ajoutant dans le jeu de quilles un chien dépourvu de collier, Wade “Deadpool“ Winston ; un genre de bête indressable capable de mordre avec délectation la main qui la nourrit. Si accepter de se faire niaquer fort en public est le prix à payer pour renouer avec le succès, Marvel consent à cette modeste pénitence.
Pool parties
Ce troisième volume de Deadpool est donc gouverné par une subtile relation sadomasochiste où un personnage va torpiller à feu nourri les contours comme les responsables légaux de l’univers qui lui donne vie… avec la bénédiction totale de ces derniers. Une mise à sac ciblant indifféremment les personnes à ville comme à la scène, les mondes intra- et extra-diégétiques : le quatrième mur étant tacitement pulvérisé afin que le public profite par procuration (et revanche) des outrages commis sur Marvel, Disney… entre autres victimes collatérales. Et il y en a une flopée rencontrée au fil de cette transgression aventure. Notamment les studios Warner Bros., égratignés à travers le concurrent DC Comics et Mad Max : Furiosa ; la défunte 20th Century Fox, jadis maison-mère de Deadpool (depuis engloutie par Disney) ; la ribambelle de Spider-Men du Spiderverse de Sony ou tous les héros laissés pour compte par Marvel depuis deux bonnes décennies.
Connu pour son esprit potache et polisson, Deadpool surjoue ici avec profit son emploi d’insoumis, usant de la parodie irrespectueuse à tout-va et débitant plus de mots orduriers ou de provocations qu’un régiment de Ricky Gervais et de Louis CK en permission. Son mépris affiché pour les précautions oratoires rend par conséquent chaque ligne de dialogue aussi corrosive que jouissive : tout le monde s’avère susceptible d’être la cible de ses saillies, y compris les puissants, les héros Marvel ou les minorités d’ordinaire préservées par le politiquement correct. Il est miraculeux qu’un tel second degré puisse encore advenir, et soit soutenu par un florilège de gags dépassant le registre de l’allusif dans le domaine de l’homo-érotisme, de la scatologie, de la politique, du corporatisme économique… Libertaire en roue libre et sans surmoi, Deadpool incarne le superhéros dont chacun aimerait pouvoir endosser l’identité puisqu’il s’octroie tout sans restriction. Y compris d’emprunter les sens interdits, pied au plancher de préférence.
Deux gars, des bagarres
En opposant Deadpool à Wolverine, Ryan Reynolds réussit le coup parfait légitimant l’existence de cet opus : il donne corps au running gag de sa série en ressuscitant le X-Men absolu et en l’incorporant de facto dans son propre univers de mouton noir — qui se ressemble, s’assemble. La “bromance” est rythmée par une succession d’affrontements aussi joliment chorégraphiés que du Matthew Vaughn — le combat du générique d’ouverture, au passage, rappellera la solidité à toute épreuve de l’adamantium. Auto-réflexif à souhait, Deadpool & Wolverine ne prend aucun gant pour filer les métaphores quant à l’identité réelle de leur némésis commune : derrière Paradox, Parque solitaire tissant, coupant les fils des existences et finissant pour s’embrouiller dans ses écheveaux, on devine la silhouette du manitou Kevin Feige. Un peu aux abois, à l’instar de quelques autres personnages faisant ici une apparition surprise.
Certains d’entre eux sont tellement inattendus qu’on se gardera bien de dire qui ils sont. Et encore moins de révéler les propos inhabituels qu’ils tiennent à l’écran, notamment à la toute fin du générique.
Deadpool & Wolverine de Shawn Levy (É.-U., 2h07) avec Ryan Reynolds, Hugh Jackman, Emma Corrin, Morena Baccarin… En salle le 24 juillet 2024.