Revolution des Beatles existe en deux versions différentes sur 45t et sur 33t — le fameux double blanc The Beatles. “Partir un jour” d’Amélie Bonnin également, comme si l’histoire se racontait à pile ou face. Ouverture de Cannes 2025.
Partir un jour de Amélie Bonnin
Rude journée pour Cécile : alors qu’elle stresse à l’approche de l’ouverture de son propre restaurant, elle apprend qu’elle est enceinte de Sofiane, son compagnon (et second de cuisine) mais aussi que son père vient de faire un énième infarctus. Sur les conseils de Sofiane (à qui elle ne dit rien du futur heureux événement), Cécile retourne dans son village d’enfance pour prêter main forte à son paternel qui refuse de lâcher les fourneaux de son relai-routier. Pendant cette mise au vert forcée, elle retombe sur Raphaël, un ancien flirt de collège, avec qui le courant repasse comme jadis…

« Partir un jour »… Au-delà de la référence musicale générationnelle que constitue la chanson des 2Be3, le titre du premier long métrage d’Amélie Bonnin est résolument programmatique. Il possède même un je-ne-se-sais quoi de lelouchien : tout départ induisant en effet de manière implicite un retour. Cœur (et corps) du film, ce voyage vers le pays du passé coïncide d’ailleurs avec l’exercice peu banal auquel s’est livré la réalisatrice en reprenant l’argument 🔗de son court métrage homonyme multiprimé. Certes, il est coutumier chez les réalisateurs débutants de proposer une version rallongée d’un film bref leur ayant ouvert le chemin de la notoriété. Il y a une trentaine d’années, Lune froide de Bouchitey et Les Arcandiers de Manuel Sanchez vécurent ainsi leur double existence ; Un petit air de fête (1999) devenu Quand tu descendras du ciel (2003) d’Éric Guirado également. Partir un jour innove toutefois.
Face B
Car Amélie Bonnin conserve son intrigue mais en opérant une substitution majeure puisqu’elle fait ici du personnage féminin l’enfant prodigue de retour — pour mémoire, dans le court, c’était le protagoniste masculin, écrivain à succès qui retrouvait son ancien béguin devenue caissière. Cette relecture du récit avec effet de symétrie ajoute aux va-et-vient opérés par les personnages. Partir un jour compose même désormais un diptyque : une variation sur un même thème en version masculin/féminin ou, entre le Resnais de Smoking/No Smoking et le concept à la mode des multivers, la mise à l’épreuve d’une même situation dans deux monde parallèles — situation dont seules les prémisses sont inversées.
Est-ce que l’issue des péripéties change selon que l’on a une héroïne ou héros ? Pas tant que cela, au fond, et ces deux films énantiomères nous en disent beaucoup sur la situation de la société aujourd’hui. Sur le couple aussi ou la liberté de chacun de construire sa vie en-dehors des injonctions à la vie maritale ou parentale.
Pour explorer la mémoire collective et le passé individuel, Partir un jour convoque des artifices purement cinématographiques. Déréalisant le réel, le cadre d’un film musical (pas vraiment comédie musicale ni film “en chanté“ comme chez Demy) autorise toutes les libertés : une séquence mélodique peut ainsi survenir au sein d’un contexte joyeux ou dramatique, sans égarer le spectateur ni amenuiser la tension. Quant à la chanson (toujours préexistante et issue d’un corpus populaire), elle “s’empare” des personnages comme dans On connaît la chanson de Resnais — encore lui. Amélie Bonnin a aussi brièvement recourt à “l’effet Peggy Sue”en replongeant ses héros adultes dans le passé, encapsulés dans un onirisme sentimental.

Tout commence par des chansons
Le choix de présenter Partir un jour pour l’ouverture du festival de Cannes s’inscrit dans la continuité du 🔗Le Deuxième Acte l’an dernier ou de Coupez ! en 2022 : des films français empreints de modestie. Comprenez : au budget ostensiblement raisonnable, voire minimalistes et conceptuels, mais non dénués de têtes d’affiche ni d’ambitions populaires. Ajoutons qu’ils prennent un malin plaisir à investir des tropes culturels hexagonaux qui combleraient d’aise Roland Barthes : le restau-route/relai-routier, la patinoire, le terrain de motocross — très prisé en ce moment à l’écran —, les zones péri-urbaines à la limite de l’urbex… Partir un jour, après 🔗Leurs enfants après eux, 🔗Vingt Dieux ou 🔗La Pampa, donne à visualiser cette “France des territoires” que les centres métropolitains se plaisent à ignorer. Cette autre moitié du monde ; la revanche du🔗Loir-et-Cher chanté par Michel Delpech et repris ici par Juliette Armanet.

Partir un jour de Amélie Bonnin (Fr, 1h38) avec Juliette Armanet, Bastien Bouillon, François Rollin, Tewfik Jallab, Dominique Blanc… En salle le 13 mai 2025.