Vrai-faux documentaire sur un comédien filmé par son pote cinéaste, I Love Peru joue sur la confusion entre la personne privée et le personnage public. Un objet ludique et théorique iconoclaste au sens propre et (dé)figuré permettant à Raphaël Quenard d’écrire avec malice sa propre légende. Rencontre avec les auteurs.
Commençons par la fin, ou plutôt par les dernières images : le film s’achève sur un double volet, à la manière d’un battement de paupière pendant qu’Hugo dit qu’il a « fait le film qu’il rêvait de faire ». Le spectateur a l’impression, avec lui, de sortir d’un rêve…
Raphael Quenard : C’est vrai que ça pourrait être ça…
Hugo David : Pour l’instant, vous n’êtes pas beaucoup à l’avoir remarqué. C’était plutôt le mouvement de la caméra qui se ferme puisqu’elle s’ouvre au début du film. La fin, puisque le film est enfin fini, on peut enfin éteindre la caméra..
RQ : J’avoue qu’on n’y a pas pensé, mais votre interprétation du rêve que Hugo aurait fait un rêve de faire un film, ça pourrait être un truc surréaliste — d’autant plus que tu vois un condor à la fin du film. J’entends que ça puisse être interprété comme ça.
HD : Mais vous avez remarqué le mouvement. Déjà parce qu’il se remarque, qu’il est plus marqué pour la fermeture de la caméra. Et que votre œil averti l’a vu dans une salle et pas sur un téléphone dans le train (sourire).

Avant ce long, vous aviez déjà collaboré sur un court, L’Acteur, ou la surprenante vertu de l’incompréhension (2023). En est-il directement ou non le point de départ ?
RQ : Pas du tout. On avait plus fait un film sur un tournage ; on avait profité de Chien de la Casse sur lequel on s’est rencontrés. Et il y a eu un armas d’images qui s’est formé, parce qu’on était bons clients l’un de l’autre — et qu’on rigolait l’un avec l’autre. On passait du temps ensemble parce que Hugo avait vocation — en tout cas, la profession voulait qu’il conçoive un making of. Donc, il avait cette caméra au poing qui faisait partie de notre relation. Au bout d’un moment, il y avait un tel armas d’images qu’on s’est dit : « Viens, faisons un film ». Et y a eu L’Acteur. Après, c’est autre chose.
HD : C’est pas un prototype dans le sens où ça n’a pas été réfléchi. Ce n’était pas : « Tiens, ben, on ferait bien un film, essayons déjà sur un court métrage » Le court métrage est né naturellement parce qu’on était déjà en train de filmer ; et tout de suite après le court métrage, j’ai continué de le filmer. On savait qu’on ferait autre chose et qu’on ferait plus long ; mais au début, on ne savait même pas que si serait un film ou une web série.
Nous, ce qu’on voulait faire, c’était un Strip-Tease. Et donc de parler d’une espèce de looser magnifique — et encore, pas trop magnifique ! C’était plus une fascination pour les gens qui, comme dans l’émission Strip-Tease, ont une obsession. Sauf qu’on voit que cette obsession, elle affecte leur vie, elle est catastrophique et qu’il n’y a rien qui tient debout. Là, puisqu’on était sur un tournage de cinéma, il fallait naturellement raconter qu’il soit mauvais.
RQ : En fait, ça n’a pas été théorisé ; ça a été fait avec les moyens du bord. On savait qu’on avait envie de faire un truc ensemble ; le format et le mode de fabrication qu’on avait expérimenté sur L’Acteur, on avait envie de le poursuivre… On ne savait que ça, en vrai. C’est pour ça qu’au début, on est parti sur une idée qui n’a pas été conservée à la finale — d’ailleurs, le projet a été abandonné à mi parcours. Parce qu’au début, on faisait un truc sur l’underground des coulisses du métier de l’industrie du cinéma pour les tourner en dérision, comme on avait accès à plein de plateaux. Et au fil du temps, on a collecté des images, on l’a proposé à un producteur qui nous a demandé de créer un scénario — scénario dont il a estimé qu’il n’était pas présentable à des financiers.
HD : C’était 3 millions d’euros alors que là, on a certainement fait le film le moins cher de l’Histoire (rires).
RQ : En tout cas depuis la Sortie des Usines Lumière. Et encore avec le nombre de figurants qu’il y avait, s’ils ont été payés, ça dû leur coûter plus cher ! (sourire) Nous, on a tout volé. Y a pas une autorisation, y a pas une personne qui a donné son consentement — on l’a demandée qu’après coup. Ceux auxquels on n’a pas eu accès, on les a floutés, évidemment. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de gens floutés dans le film.
Y a-t-il malgré tout des images “volées” à l’intérieur du film, tournées en contrebande ?
HD : De lui ? Non. Je ne l’ai jamais filmé sans qu’il ne le sache pas.
RQ : Il y a une image volée, mais on ne peut pas dire à laquelle, parce que pour le coup…

Après avoir abandonné votre projet sur les coulisses du cinéma, comment le film a-t-il pris cette forme ?
RQ : Après avoir écrit le scénario du film non finançable, on a arrêté.
HD : On avait quand même tourné pendant un an des images sur des plateaux — toute la première partie du film que vous voyez, c’est ce qui reste de cette époque où, à la fois, on écrivait un “vrai film” mais en même temps, on était tributaires du tout ce qui se passe dans le présent. Et donc, on avait filmé le maximum de ce qu’on pouvait dans le présent. Donc quand le scénario à 3 millions d’euros (où on se faisait plaisir avec des blagues un peu abrasives et trop provocatrices) a fini la corbeille, on avait ces images.
RQ : Ça a été abandonné, mais il y avait quand même ce billet en suspens pour le Pérou — ça c’est une vérité.
HD : Je lui ai dit : « on écrit un court métrage… »
RQ : Il devait y avoir 50 pages, mais c’était vraiment indépendant : c’était sur le deuil amoureux. On a tourné au Pérou pendant 5 jours et en revenant, on a fait un petit montage, d’1h10. On l’a montré à Canal+ et à un distributeur. Ils nous ont dit : « vas-y, on vient avec vous ! » Et du coup, le producteur de la première partie a dit : « je vais le voir quand même… » Et là, il nous a dit un vrai truc : « qu’est-ce qu’il lie cette histoire ? Cette votre amitié à tous les deux » C’est comme ça que ça a pris la forme que ça a maintenant.
Celle d’un documenteur ?
HD : Docu-fiction, mockumentaire, tout ce que vous voulez… C’est tout sauf un documentaire ; c’est une fiction qui prend la forme d’un documentaire et qui est à un degré d’authenticité plus poussé parce qu’elle se nourrit de vraies choses. Mais tout ce qu’il dit est faux, tout ce que je dis est faux ; notre relation n’est pas celle dans les enjeux dramatiques qu’on raconte ; c’est une fiction. Même une séquence de plus anecdotique, ou François Civil le met à l’amende sur un plateau, évidemment que c’est de la fiction. Il faut comprendre que c’est une fiction.
Et en fait, je suis partagé parce qu’il y a des gens qui ont un doute – déjà, c’est très surprenant parce que le film nous paraît très peu plausible. Mais ça veut dire que peut-être que ce film, en tant que fiction, a réussi sa mission qui est de faire oublier que c’est faux au moins pendant le visionnage. Après, quand des gens viennent me voir à la fin, en me disant : « C’est quoi les trucs vrais ? Est-ce qu’il est vraiment radin ? » Là, je me dis : « Aïe ! »
RQ : Ce problème de lecture, il existe même, si tu fais un autre film complètement fictionnel. Par exemple, je sais qu’après Yannick, il y plein de gens qui m’appelaient Yannick et qui croyaient que j’étais ce gars-là. Quoi que tu fasses, je pense qu’il y a toujours une confusion qui s’opère avec ton identité civile. C’est pour ça qu’on ne devrait pas mettre notre identité civile sur les affiches. Sinon, la confusion est trop possible. C’est pour ça que j’avais voulu prendre un pseudo pour écrire mon livre 🔗Clamser à Tataouine. Mission échouée.
Est-ce que vous voyez faire un film totalement différent ?
HD : Ah oui, absolument, oui ! Ce film, on l’a fait aussi parce que… C’est notre façon à nous de pouvoir faire un film ensemble au moment où on l’a fait — que ce soit le court ou le long métrage. C’était impossible pour moi, d’aller voir un producteur, en lui disant : « confie-moi ne serait-ce qu’un million d’euros, t’inquiète pas, je vais faire un film. » C’était une façon de faire un film. La seule raison pour laquelle je pourrais refaire un film dans ce dispositif, qui est quand même assez engageant d’un point de vue planning personnel, c’est si Raphaël redevient un inconnu. Peut-être même du vrai documentaire.
RQ : Comme le film sort, les gens croient qu’on nous a donné de l’argent pour le faire. On a galéré comme des trimards ; on a pas reçu un euro pour faire ce film ; franchement, il est fait avec deux bouts de ficelle. C’est un film de bric et de broc. Vraiment ! Les images, les voix off, on les a enregistrées avec nos téléphones — il doit avoir 500 enregistrements dans son dictaphone. Des trucs de 20 minutes pour tenir une phrase d’une seconde avec l’intonation qui nous convient. C’est pas évident !
On me dit : « Ah, peut-être que tu vas faire un film facilement… » Bah non, après, on ne fait pas un film facilement. C’est la bagarre pour tous les réalisateurs, que d’essayer de monter un projet et de réunir la somme d’argent nécessaire à la concrétisation. Il y a quand même un ratio d’efficacité à souligner : pour les 20 premières minutes du film, on avait 190 heures de rushes qui se sont transformées en 20 minutes. Et par contre, pour le Pérou, on a 10 heures qui se sont transformées en 40 minutes. L’enseignement qu’on en a tiré, c’est que c’est mieux quand on écrit, quand même. Et quand on sait où on va (rires)
HD : Et on a fait 25 minutes en 1 an et demi et 40 minutes en 5 jours… En même temps, peut-être que si on avait tout écrit, il y a beaucoup de choses qu’on aurait pas dites.. Et il y a tellement de trucs différents que ça échappe à tout sens de logique narrative, en tout cas au début. Ça fait vraiment documentaire – ce qui est le but de l’exercice.
RQ : Les autres gens qui participent, ils ne sont pas là pour nous. Ils sont là dans le cadre d’un travail pour un autre patron. Donc on peut pas leur demander ni d’apprendre du texte, ni de faire des choses. Alors qu’ils nous donnent déjà de leur temps. Mais s’ils nous donnent 10 minutes, comme ça a été le cas quand on a les épisodes avec les différents acteurs acteurs…. Tout s’attrape un peu à la volée.
HD : La préparation, elle est impossible. On sait pas si l’acteur, le jour même sera dans une forme discutable ou pas… Si son humeur fera qu’il n’aura pas envie de tourner avec nous…
Justement, ce que vous avez tourné sur le plateau de L’Amour Ouf, était-ce écrit ?
RQ : On a été voir mon agent pour ajouter une clause dans les contrats de mes films : deux jours par tournage, Hugo était autorisé à venir. En amont de ces deux jours où Hugo serait présent, moi j’essayais de discuter avec les acteurs en leur disant : « Est-ce que tu accepterais de te prêter au jeu ? » Pour L’Amour Ouf, cette scène on l’a tournée un quart d’heure après que Gilles Lelouche a parlé pour la première fois à Hugo, quand il a été au courant qu’il était là. On s’amusait… Gilles était dans la loge, en train de nous briefer avec François [Civil, NDR] et J.-P. [Zadi, NDR].
HD : Et c’est là que c’est magique : en plus, on ne lui demande même pas d’intervenir mais tu vois que les comédiens, c’est des gens qui ont vraiment envie de jouer. Donc quand Gilles voit que je suis en train de filmer Jean-Pascal, François et Raph’, lui-même commence à rentrer dans le truc sans demander.

On voit des plans tournés sur le plateaux de 🔗Pourquoi tu souris ?, mais sans son réalisateur Chad Chenouga — pourtant lui aussi acteur. Il n’a pas été filmé ?
HD : Si, il l’a été, et pas mal !
RQ : Il n’a pas été conservé au montage. Pourtant il y a une réplique de lui qui est restée jusqu’aux dernières heures du montage.
HD : Une réplique culte, c’est du Belmondo qu’il répète à l’envi. J’aurais aimé voir cette ligne. Il s’est prêté au jeu, hein, de fou !
RQ : Tout le monde, d’ailleurs, sur Pourquoi tu souris ? Je pense que c’est un des tournages où on a le plus d’images.
HD : Je suis venu quatre jours, C’est pour ça qu’il y a toutes les scènes avec J.-P. et Emmanuelle [Devos, NDR]
Comment avez-vous vécu la sélection du film à Cannes Classics ?
HD : C’est une consécration parce que c’est la plus belle des récompenses aujourd’hui.
RQ : Franchement, on n’y a jamais pensé avant d’être au montage. Au montage, c’est devenu une blague avec le producteur : « Tu verras, on ira à Cannes. Non, ça ne le, mets-le pas dans le montage, ça ne plaira pas au comité cannois » Et à la fin… Je pourrais vous montrer la conversation que j’ai eu avec Thierry Frémaux, je lui disais : « Les frères Lumière l’aurait sélectionné ». J’ai fait des grandes phrases : « C’est un film qui réunit deux gars, une caméra, l’amour du cinéma, et le cinéma dans son plus simple appareil. Ça fait sens que de l’intégrer à ta sélection. » À un moment, il m’a répondu : « Ta pugnacité t’honore, Raphaël. Je cherche une place à ton film. » Alors là…
Un petit mois après, je n’avais pas eu d’appel. Je lui ai envoyé un message en disant : « Je vois les producteurs tomber en dépression les uns après les autres, dont le mien. Thierry, dis-moi que pour moi le show must toujours go on. » Et là il m’a appelé et il m’a dit : « c’est bon ». Et du coup, il nous a régalé. C’était un honneur de nous inviter, il fallait qu’on soit à la hauteur et qu’on propose quelque chose en retour, c’était la moindre des politesses : tu ne viens pas les mains vides. On a fait la montée des marches avec le condor. Ça a donné aussi un peu plus de lumière : ce film qui était très difficile à faire exister n’avait pas de distributeur ; tout ça est arrivé après. Maintenant, on espère le vendre à une chaîne de télé.

I Love Peru (Fr., 1h08) de & avec Raphaël Quenard & Hugo David avec également Anaïde Rozam, José Garcia… En salle le 9 juillet 2025.