Un écrivain, son double vocal ainsi qu’une tueuse à gages en rupture de ban se promènent dans les salles cette semaine. Entre autres…
Le Répondeur de Fabienne Godet
Jeune imitateur se produisant dans un petit théâtre parisien, Baptiste est abordé à l’issue de son spectacle par un écrivain à succès, Pierre Chozène. Débordé par les sollicitations téléphoniques incessantes et les contingences du quotidien, ce dernier propose à Baptiste de devenir son secrétaire d’autant plus particulier qu’il devra endosser sa voix et se faire passer pour lui auprès de tous ses correspondants. D’abord méfiant, Baptiste accepte l’étrange emploi, allant jusqu’à prendre des initiatives. Les choses se compliquent lorsque la fille de Chozène entre dans l’équation…

🔗Fabienne Godet en convient : son buddy movie reprend l’idée jadis tricotée dans Cyrano d’un messager agissant dans l’ombre pour aider un ami à s’exprimer. À la différence de Christian, dépourvu de mots dans la pièce de Rostand, c’est un homme étouffant sous leur poids qui ici besoin de secours. Non pour pouvoir déclarer sa flamme au grand jour mais a contrario demeurer davantage loin de toute exposition. Et sur le registre du “valet envoyé par son maître pour tromper le monde mais tombant en cours de route amoureux d’une de ses cibles“, Baptiste présente également un air de cousinage avec le Ruy Blas de Victor Hugo. Du théâtre romantique à la rom-com, il n’y a qu’un pas.
En scène !
Car Le Répondeur a cette excellente idée de ne pas s’arrêter à son point de départ — à savoir, l’imposture téléphonique, les répercussions directes nées des quiproquos en résultant ou les éventuelles dégradations entre imitateur et imité. Chozène devient un personnage secondaire et Baptiste, l’équivalent d’un Sgnanarelle vivant des aventures dépassant le cadre de son emploi de “voix de substitution“. Mais n’oublions pas qu’il avait une existence créative autonome et sa personnalité propre avant son recrutement.
Au passage, il est amusant de noter que Baptiste ment par omission en présence d’Elsa ; autrement dit, il lui “tait“ sa véritable fonction. De même qu’il reste coi lorsqu’elle lui demande de poser pour elle, opérant ainsi entre le père et la fille une dichotomie de sa personne : à l’un sa voix, à l’autre son corps (et davantage que ce qu’un modèle concède). Privé de son pouvoir vocal, Baptise se rapproche alors de son illustre homonyme, le mime (Jean-)Baptiste Debureau.

Humain, après tout
À l’heure où l’IA s’insinue dans le moindre recoin de la vie quotidienne, s’imposant comme la solution de facilité à tous les maux, il y a quelque chose de rafraichissant — d’encourageant, même — à voir que l’humain peut encore être considéré comme un recours. Surtout lorsqu’il est question de trouver un assistant à qui déléguer des tâches rébarbatives en usant de mimétisme. L’humain reste perméable à ses affects, à son libre arbitre… et plus faillible qu’une IA tendant à égaler le vivant pour le duper au test de Turing ! L’humain de chair et de sang est, enfin une créature plus “exotique” à convoquer pour un écrivain passant déjà ses journées en compagnie d’ombres imaginaires. Bénéfice collatéral inattendu de l’“interface Baptiste” : Chozène renoue avec d’authentiques contacts humains et redécouvre la vie.
Pas étonnant, donc, que le film, dans la foulée de sa présentation au festival de l’Alpe d’Huez (où il a remporté le Prix du Public) ait déjà été acheté en Espagne, Italie et Allemagne pour donner naissance à des remake. Ce Répondeur n’a pas fini de faire parler.

Le Répondeur de Fabienne Godet (Fr, 1h42) avec Salif Cissé, Denis Podalydès, Aure Atika, Clara Bretheau… En salle le 4 juin 2025.
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De l’univers de John Wick : Ballerina de Len Wiseman
Petite fille, Eve Macarro a été témoin du meurtre de son père par les hommes du Chancelier, dont elle réchappe par miracle. Recueillie par Charon, le concierge du Continental, elle est confiée à la stricte Directrice de Ruska Roma — l’école de ballet couvrant un centre de formation de tueurs d’élite. Devenue adulte, Eve rompt ses liens avec Ruska Roma afin d’assouvir sa vengeance. Ce qui lui vaut d’avoir une flopée de contrats sur sa tête, et de croiser la route de l’inoxydable John Wick…

On prend les mêmes et on recommence… ou presque. Tel est le principe du spin-off visant à revitaliser une série en changeant de point de vue tout en conservant le bénéfice de la notoriété acquise. La “bible“ (le cadre du monde des tueurs à gages, l’Hôtel Continental, Ruska Roma, John Wick lui-même) ne devant être sacrifiée, on ajoute des nouvelles têtes d’affiche de prestige, une surenchère de cascades. Mais au fond du fond, il faut bien se rendre à l’évidence : comme dans toute franchise poussée à l’extrême, l’originalité scénaristique en prend un violent coup au passage.
The look of Luc
Dès lors que l’on est conscient que le moindre arc dramatique ou que le plus ténu des rebondissements est éculé, on assiste au spectacle ; à la chorégraphie des combats et à la pyrotechnie de l’ensemble — le film tenant de la démonstration d’un artificier ayant eu carte blanche un 14-juillet. Cela demeure plaisant, car les combats sont bien réglées et la surenchère des armes employées (des banals couteaux de cuisine au plus inattendu lance-flamme) évite la monotonie.

Demeure cette obstinante impression de déjà-vu. Bien au-delà du concept de la vengeance filiale (essoré depuis la mythologie), elle trouve son origine dans le personnage de Eve-Ballerina elle-même. Cette badass féminine semble tout droit sortie d’un film de Luc Besson ; Len Wiseman accentue ses talent d’intouchable amazone en reprenant quelques codes implicites du cinéaste français; jusque dans l’ambiance sonore. Dans un film reposant sur la défense d’une paternité bafouée, avouons que cela ne manque pas de piquant.

De l’univers de John Wick : Ballerina (Ballerina) de Len Wiseman (É.-U., 2h04) avec Ana de Armas, Anjelica Huston, Gabriel Byrne, Keanu Reaves, Norman Reedus, Lance Reddick, Ian McShane… En salle le 4 juin 2025.