Authentique dandy nimbé d’une immarcescible élégance, Alain Chamfort publie pourtant L’Impermanence, annoncé comme son ultime album. Un point pas vraiment final à une carrière exemplaire. Conversation avec un artiste hors du temps.
La tournée de L’Impermanence débutera à l’automne. Lorsque l’on conçoit un album, anticipe-t-on à chaque fois le moment de sa “nouvelle vie”, de sa réinterprétation sur scène, ou bien envisage-t-on dans un premier temps l’objet album et la session studio ?
Alain Chamfort : C’est plutôt comme ça que je fais les choses. Après, on s’adapte. Mais dans un premier temps, on travaille sur l’album. L’idée de le produire sur scène après, c’est autre chose ; c’est une deuxième étape. Je préfère ne pas être embarrassé par ces idées-là. Parce que sinon, on est obligé dès le départ de se limiter et de se dire : « ah ça, on pourra pas le refaire sur scène », et d’adapter au fur et à mesure en fonction des possibilités futures qu’on risque d’avoir. Le mieux c’est de faire l’album, de le concevoir le mieux possible et puis après, trouver une manière de l’adapter quand on sera sur scène.

Il s’agit une conception à plusieurs mains. La voix, évidemment, c’est la vôtre ; la musique, également. Mais il y a la complicité, maintenant de longue date, avec votre parolier Pierre-Dominique Burguad. Comment est-ce que vous échangez avec lui, en particulier sur L’Impermanence et sa trame si particulière ?
D’abord, on parle beaucoup, on est très proches, on se fréquente très régulièrement, on passe beaucoup de temps ensemble. Et au hasard de ces moments, on parle. Évidemment, il y a des discussions sur des sujets divers qui nous intéressent. Ça peut être des sujets légers, des commentaires sur l’actualité, des parfois importantes, et puis des moments un peu plus profonds… Comme n’importe quel ami avec qui on se sent bien, et à qui on n’a pas de problème pour se confier ni entendre ses retours. Il y a vraiment une espèce de tranquillité qui fait qu’on va au bout de ce qu’on a envie de dire ; on n’est pas gênés par la pudeur.
Après, quand je lui donne mes musiques… Là, on était partis sur l’idée que c’était le dernier album. Donc dans la façon de le concevoir, il y avait quand même cette thématique de la finalité des choses, de la finitude, avec effectivement cette idée d’impermanence : que tout redémarre d’une autre manière, que c’est jamais complètement fini. Partant sur ce principe-là, les chansons sont arrivées assez naturellement, avec des moments de conversation qui lui revenaient : « on pourrait les traiter sur cette musique… »
La fin pourrait être un sujet dramatique, plombant. Or, c’est tout le contraire — le premier titre se nomme d’ailleurs L’Apocalypse heureuse. Il y a même une “mélancolie heureuse” qui traverse l’album, qui le survole si l’on reprend Altiplano, avec cette idée de lâcher-prise et qui va jusqu’à La Grâce qui s’offre en conclusion. Mais peut-on parler de conclusion, car on pourrait presque avoir une lecture cyclique de l’album…
C’est tout ce qu’on espère, c’est tout ce qu’on souhaite… (sourire) L’album est fait pour accompagner dans une espèce de boucle sans fin. Le track-listing a été pensé de cette manière-là : l’ordonnancement et la chronologie des chansons ont été assez naturels. Ça semblait assez logique de placer les titres de cette manière-là.
Vanité Vanité est assez fascinante, voire hypnotisante : elle donne l’impression d’être un rap…
C’est un rap doux, hein… (sourire) J’ai posé une voix sans mélodie, pour que, quand la mélodie du refrain. arrive, ça fasse du bien. Et comme on évoque plein de situations, d’observations, de vanités — qui sont aussi les nôtres, on n’est pas là pour faire un bilan sur les autres, on s’inclut dedans — c’était un lien un peu comme une actualité, des informations : un ton et pas de mélodie.
Ce qui tranche avec le rap classique, c’est qu’il y a ici une forme de revendication sans agressivité qui n’en est pas moins percutante…
MC Solaar le fait aussi (sourire) Il n’ y a pas besoin d’hurler pour dire les choses qui tiennent à cœur.
Le fait d’être dans l’idée — l’acceptation pourrait-on dire — d’un dernier album, donne-t-il à l’écriture de la musique des envies de lâcher-prise particulières ?
Ça n’a pas changé grand-chose dans la manière dont on s’est mis au travail. La seule chose, c’est qu’on avait un album précédent qui s’appelait L’Ordre des Choses, qui avait été effectivement plutôt bien reçu : les critiques étaient super bonnes de la part des médias et du public ; je dirais presque qu’il y avait une sorte d’unanimité sur sa réception. Donc on ne partait pas de quelque chose de simple, on ne voulait pas décevoir. Et il y avait un challenge de poursuivre une thématique qu’on avait déjà un peu abordée avec les microsillons.
Après, la musique… Par exemple, L’Apocalypse heureuse qui figure sur cet album c’est une co-composition avec Arnold Turboust. Je me suis toujours dit qu’un jour ce serait bien qu’on fasse quelque chose, et c’était le dernier moment pour — en tout cas, c’était le dernier album ; l’occasion, en tout cas. Cette chanson, je sais pas si elle aurait été la même si j’avais faite tout seul.
Autre collaboration : Sébastien Tellier. C’est un univers assez étonnant, et finalement, qui semble assez logique à l’écoute de votre duo Whisky glace.
Oui, oui, c’est vrai. Parce que c’est un peu sa culture, à lui, les années 1980. Je crois d’ailleurs que ce qu’il connaissait le mieux de moi, c’était cette période-là : Poses, peut-être Rock’n Rose, Amour année zéro… Je pense que c’est ces albums-là qu’il avait en tête et qu’il a retenus de moi. C’est drôle, parce qu’il est venu me voir en spectacle, dans les conversations musicales qu’on fait depuis quelques temps — où il y a une alternance entre une discussion et des moments où je me mets au piano et j’illustre ce dont on est en train de parler — et il connaissait pas du tout mon travail (sourire). Finalement, il a découvert ce soir-là tout ce que j’avais fait depuis les années 1980. Ça lui était passé un peu à côté.
Retrouver ce genre de sonorité, de programmation synthétique… J’y avais toute ma place, donc c’était pas non plus complètement anachronique. Et puis, c’était l’occasion, justement, de tester quelque chose avec quelqu’un qui avait annoncé son intention de travailler avec moi. Donc, j’ai accueilli ça avec beaucoup d’ouverture d’esprit et on a fait ça assez rapidement..
Très étonnamment, Pascal Bonitzer (qui vous a choisi comme comédien pour son film Le Tableau volé sortant le 1er mai) confiait lui aussi ne pas vous connaître musicalement mais vous avoir vu dans un film…
C’est étrange, hein… Comme quoi, on peut jamais savoir ce qu’on produit ; de quelle manière les gens s’intéressent à vous… Je ne le savais pas, mais en même temps, ça ne me surprend pas énormément,. Parce que c’est vrai que dans les discussions qu’on a eues ensemble, on a rarement parlé de chansons, C’est sur quel film ? Don Juan, non ?
Oui, je pense que c’est le Don Juan de Bonzon. Vous prenez avec beaucoup de philosophie le fait que certaines personnes connaissent peu certains pan de votre carrière…
Ah, ça fait partie des choses qu’il faut accepter (sourire). J’ai composé tout un tas de nombres d’albums, dont j’étais assez content ; après, ils ont plus ou moins été bien reçus, avec plus ou moins d’intérêt. Il faut accepter ça. Je ne me se soucie pas trop de la manière dont les gens me perçoivent, en fait J’essaie de suivre ce que j’ai envie de faire, et puis de le faire le mieux possible, et de m’imaginer qu’en travaillant le mieux possible, ça va se sentir.
L’impermanence c’est aussi l’idée des modifications, d’évolutions, d’avatars… Et c’est ce qui a aussi marqué votre parcours musical, cette volonté sans cesse de vous renouveler et de remettre votre ouvrage sur le métier…
C’est ce que je sais faire, quoi. Quand on a une activité qui nous convient et qu’on a la possibilité de la poursuivre — avec des moments parfois plus difficiles : c’est vrai que c’est pas non plus une autoroute —mais je n’ai jamais été dans une situation où j’étais vraiment bloqué, il y a toujours eu une opportunité qui s’est présentée et qui m’a permis de passer ailleurs. Donc on continue son cheminement. Quoi qu’il arrive.
Après il faut un petit peu s’adapter. À un moment donné, je pensais que quand on m’a rendu mon contrat en 2000-je-ne-sais-plus-combien, je me suis dit : « peut-être qu’ils ne veulent plus que je chante parce que je ne correspond plus aux normes qu’on attend aujourd’hui, avec des artistes plus jeunes, avec des gens correspondant plus à l’époque… » Ça, j’étais prêt à l’accepter. Parce que je pouvais quand même écrire des chansons pour d’autres ou produire.… Mon rôle de chanteur, il ne me semblait pas non plus complètement indispensable. Je prenais les choses comme elles étaient, en me disant que je ne manquerai pas. Comme j’aime faire de la musique et que j’aime écrire des choses, tant que j’ai l’impression de pouvoir le faire…
À cette époque, vous avez quand même pris pas mal de risques et créé l’événement dans le monde de la musique avec L’Impromptu au Jardin du Luxembourg et puis Saint Laurent, deux propositions “disruptives” comme l’on dit aujourd’hui. Deux moyens détournés pour montrer que vous étiez toujours là avec des projets différents…
Bah oui… Comme je n’avais pas de projet personnel, je n’avais pas de. maison de disque, Pierre-Dominique est venu me voir avec des textes et cette idée de Saint Laurent. Ça me permettait de m’engager sur un projet un peu annexe, un peu parallèle, continuer quand même à écrire, mais sans être concerné en premier chef. Pour ces chansons qui me concernaient, je voulais continuer à travailler avec Jacques Duvall, qui m’accompagnait depuis longtemps. Je trouvais qu’on avançait d’une manière qui me plaisait bien et que le personnage qu’on présentait évoluait avec le temps et avec les albums. Et je voulais continuer.
Pierre-Do me donnait des textes pour essayer de m’attraper avec des chansons mais ça ne marchait pas, Mais avec Saint Laurent, c’était tout simple, je n’étais pas concerné. Donc on a pu faire ce projet, qui est un peu parallèle et on l’a fait vivre parce que personne ne le voulait. On a eu toutes les casquettes, fabricants, producteurs, on a tout fait. Mais c’était sympathique à l’arrivée : il a quand même marché, suffisamment pour qu’on n’ait pas regretté de l’avoir fait.
“Personne n’en voulait”… dans le métier. Mais le public en a voulu…
Étrangement, les gens qui on entendu cet album l’apprécient. Alors qu’on avait fait le tour des maison de disques, il n’arrivaient pas à comprendre de quelle manière ils pouvaient le présenter aux gens, qu’il y avait une confusion avec Saint Laurent… Plutôt que d’essayer de trouver une solution, ils abandonnaient tout de suite.
Vous annoncez que L’Impermanence est votre dernier album. Mais, si jamais Pierre-Dominique Burgaud revient vers vous avec des textes ; si un concept venait ou des confrères et des consœurs vous sollicitaient, seriez-vous encore partant pour des participation ou des collaborations ?
Bien sûr ! C’est ça que je vais m’autoriser maintenant. C’est-à-dire, avant d’amener ce format un peu lourd, passer à des choses beaucoup plus ludiques, plus d’expérimentations… Il y a plein de gens avec qui j’ai travaillé, et on peut partir sur des idées comme ça, sur 3-4 titres, genre un EP. On n’est pas obligé de rester dans ce format un peu pesant. On a fait le faire dernier, on l’a fait de cette manière-là, et puis après, on passera à autre chose.
L’Impermanence renvoie à L’Intranquillité de Pessoa : on ne satisfait pas d’être dans l’état…
Aussi. On la provoque aussi, cette impermanence. Elle est tout constamment autour de nous, et elle est en nous aussi. Donc dans la réflexion, la pensée, les sentiments… Je trouve ça assez joli. C’est une façon d’intégrer ça en soi. Moi ça m’a aidé à plusieurs mes reprises quand j’ai traversé des moments un peu compliqués, comme tout le monde. C’est comme ça, quoi… et ça restera pas comme ça (sourire) Donc on va attendre, on va faire tout ce qu’il faut pour que ça puisse s’arranger.

Alain Chamfort, L’Impermanence (BMG), CD 15,99 € ; vinyle 23,99 €.
En tournée pour L’Impermanence et Conversation musicale avec Alain Chamfort : Le Meilleur de moi-même jusqu’au 13 décembre.
