Une professeure en lutte contre l’intégrisme et une matonne piégée par ses détenus se partagent l’affiche cette semaine. Entre autres…
Amal – Un esprit libre de Jawad Rhalib
Belgique, de nos jours. Enseignante de lettres dans un lycée public bruxellois, Amal soumet à ses élèves des textes exerçant leur esprit critique, notamment ceux des philosophes des Lumières. Quand une lycéenne musulmane est harcelée par des condisciples coreligionnaires au motif qu’elle serait lesbienne, Amal pense déconstruire leur intolérance par la pédagogie et le soutien de l’institution scolaire. Elle va déchanter en découvrant que cette dernière abrite (et protège) la cause du désordre…
La Salle des profs (Autriche), Pas de vagues (France), Amal (Belgique)… En un mois à peine, trois films internationaux situant leur intrigue dans l’enceinte d’un établissement scolaire ont encore surgi sur les écrans. Trois films inscrits dans des contextes différents mais mettant en lumière une problématique commune : le malaise du corps professoral et l’absence de solidarité émanant d’une hiérarchie timorée face aux attaques perpétrées contre ce pilier sociétal. Cette synchronicité par-delà les frontières ne peut se réduire à quelque coïncidence : l’école souffre, et en dépit des dénégations ou pommades enduites par les responsables politiques successifs, ses serviteurs tout autant.
Cas d’école
Histoire de loup dans la bergerie, de lanceuses d’alertes non entendues (et à qui malheur arrive), de discriminations gigognes et de manipulation mentale, Amal condense en un film tous les maux pouvant gangrener une institution… et la détruire grâce à la lâcheté complice des tenants — théoriques —de l’autorité, tous démissionnaires lorsqu’il s’agit de rappeler les limites de la loi. Bien que difficilement applicable dans un lycée public en France (où la laïcité se doit d’être respectée sans condition), la situation que présente Jawad Rhalib pourrait se transposer dans n’importe quel autre compartiment de la société, dès lors qu’un leader religieux ou sectaire tient des discours prosélytes identique en vue d’accroître son influence politique, économique ou communautaire.
Chacun sait qu’il n’y a pas de protagoniste solide (ni donc de film viable) sans antagoniste crédible. Ainsi, si Lubna Azabal endosse avec une forme d’évidence costume et combats d’Amal, son personnage ne brillerait pas de son lustre héroïque sans la présence méphistophélique de Nabil, que campe le toujours trop méconnu Fabrizio Rongione. Avec son ton doucereux et son calme permanent, ce converti sournois semble incarner le dicton “trop poli pour être honnête” dans chacun de ses gestes ou propos.
Sans être didactique dans l’exposé des différentes problématiques, Amal – Un esprit libre souffre toutefois une faiblesse au cours de son dernier acte, durant la séquence où le prédicateur au double langage est démasqué. La manière dont ce tartuffe se fait piéger paraît fort peu compatible avec son caractère roué et manipulateur. Toutefois, comme ce rebondissement ne scelle pas la fin de l’histoire — loin s’en faut — on en tolère le caractère improbable.
Amal – Un esprit libre de Jawad Rhalib (Bel., avec avert. 1h51) avec Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Kenza Benboutcha… en salle le 17 avril 2024.
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Borgo de Stéphane Demoustier
Venue du continent avec mari et enfants, Mélissa a été affectée comme surveillante pénitentiaire dans une centrale de Corse où la quasi totalité des détenus sont insulaires. Reconnue par l’un d’entre eux, elle tombe dans un cercle vicieux en se trouvant malgré elle redevable d’un service. De fil en aiguille, Mélissa consent à davantage de coups de mains à la limite de la légalité… jusqu’à finir complice d’un assassinat.
Grand consommateur de faits divers et d’histoires authentiques, le cinéma s’ingénie la plupart du temps à les réinventer pour, paradoxalement, leur offrir davantage de réalisme ou un point de vue plus singulier. Casse-tête pour les réalisateurs, ce désir d’originalité aboutit parfois à des situations absurdes où l’artifice prend le pas sur toute autre considération, sabotant sans pitié aucune l’édifice dramatique. Stéphane Demoustier trouvait-il trop classique la structuration du récit de Borgo ? Il a en tout cas choisi d’en dynamiter la linéarité et la chronologie de l’action, alternant en permanence ce qui se passe avant et après l’attentat.
Façon puzzle
Las, cette coquetterie narrative tient surtout de la fausse bonne idée. À la rigueur le procédé permet-il “d’égarer“ le spectateur autant que la police dans son enquête, voire de matérialiser l’idée d’un cycle inextricable en Corse. Mais c’est beaucoup d’énergie dépensée pour tenter de donner un habillage vaguement particulier à une histoire somme tout banale. L’atmosphère de l’île s’avérant à elle seule génératrice d’ambiances extraordinaires (ou d’inquiétude — voir Une vie violente de Thierry de Peretti ou Le Silence de Orso Miret, qui s’attachent à cerner les particularismes corses) — à quoi bon greffer un bricolage de montage dont le secret s’évente assez vite ?
Et puis il y a le personnage Mélanie. Ou plutôt, cet intense engouement (hype, en langue tendance) autour de Hafsa Herzi conduisant à un étrange constat : le jeu déployé par la comédienne ces derniers temps ne varie guère d’un iota. Comme si elle se laissait enfermer dans une image d’elle-même, dédaignant les nuances de l’interprétation. Une prison dont on espère qu’elle parviendra à s’échapper dans les meilleurs délais.
Borgo de Stéphane Demoustier (Fr., 1h58) avec Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Louis Memmi… en salle le 17 avril 2024.