Une actrice de légende et une chanteuse aspirant à en devenir une se présentent sur le devant de la scène cinématographique cette semaine. Entre autres…
Sarah Bernhardt, La Divine de Guillaume Nicloux
Paris, à la fin du XIXe siècle. La plus célèbre des comédiennes de son siècle crée des pièces autant que des modes, et fait scandale par sa liberté… ou plutôt ses libertés. Que ce soit à la ville ou à la scène, Sarah Bernhardt n’épouse pas plus les conventions que ses nombreux amants. Et malgré des passions dévorantes — dont celle pour Lucien Guitry — elle demeure la reine absolue de son cœur…
Énième portrait cinématographique d’illustre sortant cette année, Sarah Bernhardt, La Divine tient de la fausse bonne idée — ou de la bonne fausse idée, comme l’on voudra. S’il était tentant de consacrer un film de plus à la personnalité truculente et excentrique de la reine des planches — histoire de rappeler son avant-gardisme en matière l’art comme de féminisme — ; si Sandrine Kiberlain répond parfaitement aux exigences du rôle, en mariant à merveille le feu et la glace, tout le reste interroge quand il ne consterne pas.
C’est d’ailleurs à se demander si Guillaume Nicloux, dont on apprécie le goût ordinaire pour une certaine causticité dérangeante, n’a pas fait exprès de signer ici un « biopic Wikipedia ». Comprenez, un truc d’une sagesse aussi molle qu’un congrès centriste, gavé jusqu’à la gueule de tous les bons mots (apocryphes ou non) de la comédienne et évitant de justesse la poussière muséale d’une enfilade de tableaux grâce à une construction pas tout à fait linéaire — merci le montage !. Peu regardant sur les anachronismes (notamment les expressions d’époque), comme sur les ressemblances (le colosse Lucien Guitry se trouve gratifié d’une silhouette athlétique grâce Laurent Lafitte ; heureusement qu’Arthur Mazet campe un Sacha plus réaliste), Sarah Bernhardt, La Divine a la rigueur élastique et se replie sur l’évocation quand ça l’arrange. Du cinéma décoratif, pas franchement mémorable.
Sarah Bernhardt, La Divine de Guillaume Nicloux (Fr., 1h38) avec Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, Amira Casar… En salle le 18 décembre 2024.
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Everybody Loves Touda de Nabil Ayouch
Maroc, de nos jours, Chanteuse traditionnelle, Touda se produit dans les bars et fêtes familial autour d’un répertoire très codifié. Mais son horizon lui semblant bouché pour elle et son fils, elle aspire à quitter son village pour Casablanca avec l’espoir de devenir une authentique Cheikha, admirée et respectée pour son talent et ses improvisations…
Représentant le cinéma marocain à lui seul (ou presque) depuis une vingtaine d’années — il est avec ce nouveau long métrage pour la sixième fois le candidat officiel proposé par le royaume chérifien pour l’Oscar du meilleur film international —, Nabil Ayouch deviendrait-il un cinéaste académique ? Depuis son très réussi (et très polémique) Much Loved (2015), Ayouch peine pourtant à retrouver son audace, patinant dans des chroniques émollientes ou des projets “à concept” — tel le précédent, l’anecdotique Haut et Fort (2021), sans doute en compétition à Cannes parce qu’il aurait été désobligeant de le placer ailleurs.
Everybody Loves Touda a également fait un passage sur la Croisette, mais dans la section “Cannes Première”, réservée aux avant-premières de prestige hors compétition. Et c’est tant mieux car une fois encore, on frise l’anodin. Film (sur un registre) musical, Everybody Loves Touda joue sur plusieurs tableaux : le mélo, le portrait d’une mère courage, le rejet des marginaux (artistes, femmes, personnes en situation de handicap, ressortissants de la ruralité etc.) et repose sur un gros “truc” de cinéma : l’exercice de style virtuose qui doit faire déclencher un effet “whaou !“ au spectateur (et accessoirement, aux jurys.
En l’occurrence, il s’agit d’un très long plan-séquence final chanté coïncidant avec un acte fort de Touda. Le problème, c’est que le dispositif hurle tellement fort son caprice de mise en scène (ou d’épate ?) qu’il fait quasi écran à la narration… et par là-même, en vient à interroger légitimité de ce choix. On se souvient avoir été plus enchanté.
Everybody Loves Touda de Nabil Ayouch (Fr.-Mar., 1h42) avec Nisrin Erradi, Joud Chamihy, Jalila Tlemsi… En salle le 18 décembre 2024.