Un mort récalcitrant et une séductrice conquérante voguent de conserve dans les salles cette semaine. Entre autres…
Mickey 17 de Bong Joon Ho
Quelque part, dans le futur. Pour échapper à une dette contractée auprès d’un mafieux, Mickey Barnes et son associé Timo embarquent pour un voyage sans retour à bord d’une navette spatiale affrétée par le politicien déchu Kenneth Marshall visant à coloniser la planète Niflheim. Afin d’être retenu pour ce vol, Mickey a accepté de devenir un “expandable”, un factotum prêt à toutes les expériences et missions suicide, y compris à mourir puisque la technologie permet de réimprimer une nouvelle version de sa personne à l’identique en cas de trépas — et seulement à cette condition. Alors qu’il est en mission sur Niflheim, Mickey 17 est déclaré mort et un Mickey 18 voit le jour au caractère diamétralement opposé. L’anomalie s’aggrave quand les deux clones se retrouvent face à face…

Forcément attendu au tournant après sa consécration planétaire, Bong Jong Ho avait heureusement pour lui avantParasite une carrière (et une exposition) internationales — comprenez “occidentales” — grâce à Snowpiercer (2013). Mickey 17 s’inscrit à bien des égards dans le même sillon du film d’anticipation babélien où l’humanité du futur forme une cohorte mondialisée usant d’un même idiome (certes, l’anglais est bien pratique comme langage véhiculaire pour la diffusion d’un film) mais demeure plus que jamais divisée en strates et castes selon un système économique ultra-pyramidal. Où le sacrifice de la vie des plus précaires bénéficie à des dominants arrogants et inconséquents. La vie d’un individu n’est-elle pas ici ravalée au rang de celle d’un personnage de jeu vidéo, dont les évolutions sont régulièrement sauvegardées ?
Mickey vs. Donald
Alors que ses prises de vues ont démarré il y presque trois ans — une éternité au regard de l’accélération du monde —, la sortie de Mickey 17 percute l’actualité d’une manière aussi violente que troublante. Rarement cinéaste aura fait preuve d’une pareille synchronicité avec le réel. Prenons, au hasard, le personnage de Marshall : politicard au sourire percarbonaté, fort en gueule, vulgaire, brutal et manipulé par sa conseillère d’épouse, il a choisi Niflheim moins pour l’exil que pour pouvoir annexer et exploiter de nouvelles terres. Sans faire beaucoup de contorsions, on voit les similitudes avec ce qui s’imprime quotidiennement en Une de nos journaux et propulse d’emblée Mickey 17 en objet filmique d’intérêt supérieur à l’époque de Donald 47.

Obsédé par sa gloire et son propre culte, amateur d’un transhumanisme transformant l’ouvrier en consommable, Marshall opte pour la force et la peur contre la réflexion ou la raison. Notamment lorsqu’il s’agit de s’interroger sur la coexistence possible avec les formes de vie présentes sur Niflheim : les jugeant monstrueuses, il cherche à les éradiquer sans considérer qu’elles manifestent un intelligence collective et individuelle. On retrouve au passage l’un des thèmes chéris de Bong Joon Ho : la perception de l’altérité comme monstrueuse (voir The Host, Okja…) alors que le monstre véritable est celui qui s’obstine à ne pas se considérer comme tel — l’Homme. Ici, entre les traîtres, les pervers, les rapaces, les laquais serviles, les lâches, les dealers et on en passe, le tableau est chargé.
Doté d’un personnage limite camusien et fataliste confronté à une version désinhibée de lui-même, Mickey 17 multiplie les grilles analytiques. Pamphlet politique, interrogation sur l’identité comme pouvait l’être Blade Runner avec la problématique du répliquant ou la singularité de “la conscience humaine” — question d’autant plus pregnante avec l’émergence des IA génératives —, ce film est aussi (avant tout) un divertissement encapsulant toutes ces thématiques. Et c’est peut-être là sa principale qualité : assumer tous les attendus du grand spectacle d’une SF ambitieuse, touche de macabre incluse… en s’éloignant (enfin) des rails des franchises de super-héros — à moins qu’il ne vise justement à rappeler que les vrais super-héros ne portent pas toujours de cape.

Mickey 17 de Bong Joon Ho (É.-U., 2h17) avec Robert Pattinson, Naomi Ackie, Steven Yeun, Anamaria Vartolomei, Mark Ruffalo, Toni Collette… En salle le 5 mars 2025.
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Le Système Victoria de Sylvain Desclous
Architecte reconverti par nécessité dans la conduite de chantiers, David en dirige un impossible : celui d’une tour de la Défense aux délais intenables. Sous pression de son commanditaire, il est à deux doigts de démissionner quand il rencontre Victoria, une chasseuse de têtes qui va lui faire entrevoir un autre monde : familier du pouvoir et d’une forme de transgression. À la fois étonnée et séduit, David se laisse embarquer dans une relation passionnée…

De Sylvain Desclous, on avait aimé Vendeur (2016) et surtout adoré De grandes espérances (2023), formidable thriller politique dans les arcanes du pouvoir et de l’ambition. On déchante forcément un peu devant cette Victoria, dont le système et le propos semblent d’une époque révolue : faut-il incriminer Eric Reinhardt pour cette intrigue à la Sulitzer, où un brave gars un peu prolo et pétri de grands principes sociaux se fait entortiller par une émissaire du grand Kapital ? D’autant qu’on ne lésine sur aucun cliché d’un côté comme de l’autre, entre le gentil idéaliste écolo et les méchants riches suborneurs, forcément dépravés, amateurs de luxe et dépourvus d’éthique. Bref, nulle surprise jusqu’au dénouement à la roublardise téléphonée.
Reste le sel du récit, ou plutôt son piment : la liaison David-Victoria. Las, sa crédibilité bat de l’aile d’entrée tant l’alchimie paraît improbable entre le côté bourrin de l’un et distance bourgeoise de l’autre. Froides comme un poïkilothermes sorti du congélateur, leurs étreintes ont autant de sex appeal que le quartier de la Défense un soir de mauvais temps. On objectera sans doute que le sentiment amoureux ne repose pas que sur une esthétique de galipettes, mais il est ici question de faire a minima comprendre par quels ressorts, y compris organiques, la mécanique de l’emprise peut s’enclencher.
En creusant bien, le réel motif d’étonnement est la présence de François Busnel dans le rôle bref d’une ancienne relation de Victoria. Son jeu (et son physique) à la Macaigne, retenu presque inquiétant, laissent entrevoir l’existence trouble de son personnage. Aurait-il manqué sa vocation ?

Le Système Victoria de Sylvain Desclous (Fr., 1h41) avec Damien Bonnard, Jeanne Balibar, Cédric Appietto, Antonia Buresi, Sharif Andoura… En salle le 5 mars 2025.