<<Retour en 2015<<Fin mai, le plateau de la Maison de la Danse se peuplera de danseurs amateurs âgés de 5 à 100 ans (ou presque) pour Babel 8.3, un projet patiemment édifié, bien plus solide qu’une tour…
Babel 8.3 ! Quel titre paradoxal… Lorsqu’on évoque Babel, en général, c’est plutôt pour rappeler la fin funeste de son orgueilleuse tour : sa construction avortée, se soldant par la dispersion des Hommes ayant perdu la capacité de se comprendre entre eux (Dieu ayant eu l’idée taquine de mélanger leurs langues pour semer un peu de discorde là-dedans). Or ce spectacle, c’est exactement le contraire : son édification vise à rapprocher non seulement des arrondissements voisins (les 8e et 3e), mais des voisins tout court. Des âges, aussi : parmi les 200 danseurs répartis en quatorze groupes, on trouve les résidents de l’EPHAD La Vérandine, les élèves de l’École maternelle Louis-Pasteur comme ceux du Collège Longchambon.
Vacances studieuses
Ce sont eux que l’on découvre en cette après-midi de vacances scolaires sur le plateau de la Maison de la Danse. Tout de rouge vêtus, ils travaillent sous la direction d’Abdou N’Gom de la Compagnie Stylistik, et de Dominique Hervieu — deux des dix chorégraphes impliqués dans Babel 8.3. Il faut que le projet leur tienne à cœur, pour que ces ados consentent à sacrifier une semaine de leurs congés, vienne répéter en groupe, avant de se retrouver le week-end pour un filage collectif. Enthousiastes, ils se montent attentifs aux consignes précises délivrées par leurs deux guides : il s’agit ici de tourner devant un fond d’incrustation des « pas de deux » ressemblant à des saluts, qui seront assemblés sur une vidéo, et projetés lors du spectacle.
Oh, bien sûr de temps en temps, certains se relâchent. Mais ils n’ont pas le loisir de pousser trop loin en direction du chahut : sans se départir de son sourire, Dominique Hervieu les rappelle à l’ordre d’un ton n’appelant pas la discussion. Les trublions auront appris à l’occasion que la danse est une discipline exigeant de la concentration. Une discipline, en somme…

Dominique Hervieu, Abdou N’Gom et Bruno Mars
Hier, sur ce plateau étaient présentes les doyennes de la troupe, venues de l’EHPAD. Pour des enchaînements moins acrobatiques, évidemment. L’une d’entre elles a récité un poème ayant échappé à la maladie de l’oubli lui rongeant la mémoire. L’équipe vidéo se diffuse en boucle pendant les pauses cette grand-mère fascinante de fragilité. Ils l’abandonnent le temps de filmer les prestations des adolescents : guidés par la voix Bruno Mars sur Uptown Funk de Mark Ronson, cornaqués par Abdou et Dominique, les collégiens défilent, deux par deux. Personnalisent leur passage par une signature : un geste, un gimmick, un mouvement qui rend original leur duo. Après cette séquence vient le moment d’un salut groupé : tous posent devant l’objectif, en restant les plus immobiles possibles. Une formalité qui nécessite plusieurs tentatives : un fou-rire persistant contaminant une poignée d’éléments masculins. Heureusement, une pause est prévue…
Eh bien, chantez maintenant !
Pendant que certains se détendent en coulisses avec un ballon de foot ou se restaurent, Dominique Hervieu suggère à quelques obstinées en place sur le plateau d’enregistrer une bricole : un témoignage, un poème, un chanson… Une jeune fille à l’air sérieux se propose d’interpréter a capella Tourner dans le vide, d’Indila. Les plus de seize ans ignorent de quoi et de qui il s’agit, mais qu’importe, c’est d’accord. Droite comme un I, la collégienne se met en position face à une équipe bienveillante : ça sera mignon ou touchant, doivent-ils penser.
Les premières notes stupéfient jusqu’en haut de la salle. Puissance vocale, technique, justesse… Venue pour danser, l’élève de 3e offre un moment de grâce en demeurant immobile. Dominique Hervieu est bluffée ; elle lui fait reprendre une, deux, trois fois le morceau en solo, en duo… Chaque interprétation est exempte de défaut ; elle surclasse même ses partenaires. À sa console, le réalisateur jubile : il a peut-être sous les yeux le premier bout d’essai d’une future carrière de vocaliste. Il faut corriger le proverbe : tous les chemins partent de Babel…
Babel 8.3, les vendredi 29 et samedi 30 mai 2015 à 20h30, le dimanche 31 mai à 15h à la Maison de la Danse, Lyon 8e, en partenariat avec l’Auditorium-ONL. www.maisondeladanse.com