Partageant avec Vincent Lindon l’affiche de 🔗Jouer avec le feu des sœurs Coulin, Benjamin Voisin et Stefan Crepon se connaissent bien : condisciples au Cours Florent, ils furent même colocataires pendant 5 ans ! De quoi retrouver des automatismes sur le plateau. Confidences lors du Festival de Sarlat, où Benjamin Voisin a décroché le Prix d’interprétation masculine…
Qu’est-ce qui vous a attirés dans chacun des rôles ?
Benjamin Voisin : Le fait de jouer ensemble… Stefan et moi, on se connait depuis dix ans et le Cours Florent ; c’était facile de jouer ensemble.
Stefan Crepon : Ça donne envie, oui !
BV : Et jouer deux frères, quand on a lu le scénario. Et la souplesse d’esprit qu’avaient les réalisatrices…
SC : … l’intelligence du point de vue…
BV :… quant au vote extrémiste et aux pensées violentes qui peuvent subvenir de nos jours… J’ai trouvé qu’elles étudiaient vachement bien la question et qu’elles l’amenaient avec beaucoup de place pour le public. Il y a plein d’endroits où on a la place de rentrer dans le film et de s’imaginer au sein de cette famille. Que ce soit par l’amour qu’il y a entre nous ; par le désordre des avis de chacun ; par les passions, par la volonté de vivre autre chose et de s’en aller ou par le poids de rester… Il y avait vraiment beaucoup de choses mises en un seul film. Mais en premier c’était le fait de jouer ensemble.
Avez-vous eu la tentation de jouer chacun le rôle de l’autre ?
BV : À un moment seulement. parce que je jouais au théâtre en même temps — j’avais dit : « je me fiche du rôle, je veux jouer sur ce film. » Finalement, ça s’est fait comme ça s’est fait. En amont peut-être mais alors quand on commence à tourner on est très proche de son personnage. On reste dans ce truc d’unité où on joue tous les uns avec les autres ; on pense juste à survivre et à défendre son point de vue. Pas forcément dans un côté égoïste. C’est plus : « comment je peux lui “rendre hommage”, lui donner le respect qu’il mérite ? » Je dois être à la hauteur de ce qu’il raconte.
Aviez-vous identifié des écueils particuliers avant de tourner ?
BV : Le rôle n’était pas compliqué à jouer ; il l’était certainement plus à mettre en scène. Pendant la préparation, les sœurs Coulon me parlaient en permanence de difficultés sur la sympathie : ne pas vouloir que ça soit le mec cool à la mode ; ne pas montrer qu’on aurait pu prédire qu’il allait tourner mal, mais montrer aussi que ça puisse arriver partout, de chez tout le monde… On sentait qu’il y avait beaucoup de travail qui était investi dans mon interprétation sur le plateau. Elles me demandaient plein de trucs ; elles-même ne savaient pas ce qu’elles voulaient…
L’écueil, c’était de ne pas être bon acteur et si les sœurs n’avaient pas eu de goût. Mais j’ai été assez rassuré sur la chose dès la première minute où on est rentré dans la pièce pour passer les auditions avec Stefan : c’était des réalisatrices qui avaient beaucoup de goût. Et souvent quand Vincent [Lindon, NDR] fait un film, il sait de quoi il parle ; si on aborde des sujets politiques, ce n’est pas dans le vent.
SC : Pour moi, c’était plus de trouver ma place. Déjà, à la lecture du scénario c’était comme ça : il y a deux très fortes personnalités qui se déchirent en permanence dans le script et puis ce personnage plus taiseux, plus dans la retenue, qui fait un peu l’équilibre et le balancier dans cette famille. Il fallait savoir comment me positionner vis-à-vis de tout cela. Qu’est-ce qu’il pense de ce qui se passe devant lui ? À quel endroit va-t-il prendre parti ? Est-ce qu’il va plutôt décider de laisser libre cours à son amour juste pour son frère ou son père ? Comment va-t-il se positionner — notamment dans ses silences ? Comme il ne parle pas tant que ça, c’est par ses regards qu’il va raconter comment il va prendre position.
Quand on est comédien et qu’on interprète un personnage défendant ce type d’idées extrémistes, comment fait-on pour ne pas se brûler ?
BV : Alors moi je suis absolument détendu : je pourrais jouer tout et son contraire. Tout mon travail en amont n’est pas là pour changer ma personnalité. J’ai fait très facilement la distinction entre qui je suis et ce que je fais, donc j’ai joué un rôle. Je pourrais jouer un prêtre comme je pourrais jouer un tueur en série : les deux ne m’affecteraient absolument pas dans ma vie.
Est-ce facile de jouer avec Vincent Lindon ? Prend-il de la place ou, au contraire, vous en laisse-t-il ?
SC : C’est marrant parce qu’en fait, je trouve que c’est les deux. Il prend de la place et il nous accueille. Il prend de la place, forcément : même sans dire un mot il en prendrait. Parce qu’il a la carrière et l’aura qu’il a. Il n’arrive pas vierge sur le plateau. Il a son bagage : ça, on ne peut rien y faire. Et lui-même ne peut rien y faire Il est qui il est. Après, c’est une présence extrêmement forte et puissante, mais sans être écrasante : il nous laissait la place nous de nous exprimer. Très vite il y a eu en fait ce trio qui s’est formé : je trouve qu’on ressent bien le côté “famille” de ces trois personnages. C’était véritablement le cas sur le plateau.
BV : On ne va pas jouer les faux humbles : Vincent nous a beaucoup aimés parce qu’on n’a pas de réseaux sociaux, parce qu’on vient du théâtre. Parce qu’on est impliqués dans des films qui demandent un certain goût artistique… On l’a vu le premier jour, il nous mettait quand même un peu au défi — il nous l’a dit : si jamais il y en avait eu un qui partait en cacahuète, il aurait craqué dès le premier jour. Et il a vu qu’on était là pour faire bien le film et essayer de rendre la cause la plus audible, la plus belle et en même temps la plus violente possible En gros, on était là au travail. Et en deux jours, c’était réglé.

Franchement on a passé des moments formidables ; je crois même prétentieusement qu’on a offert à Vincent une occasion de faire un film en détente. Il n’en revient pas d’avoir eu un Prix d’interprétation à Venise pour ce film-là Parce qu’on passait le temps à être dans le jardin à jouer au football ensemble. À la fin les assistants mise en scène devaient nous rappeler pour tourner ! On a vraiment passé un très bon moment et je trouve qu’on le ressent dans le film. S’il y avait eu plus d’envie chez les acteurs de vivre chacun sa part de marché, ça aurait pu gêner le film Là, c’est vraiment le film de deux réalisatrices…
SC : …Et nous on s’est mis à leur service.
Y a-t-il eu des imprévus ou des accidents heureux sur le tournage ?
SF : il y en a eu un qui n’a pas été gardé, malheureusement. Un truc merveilleux, d’un petit déjeuner. [Le personnage de Vincent Lindon] se lève un matin et la veille, il un peu trop bu ; on est dans la cuisine et on essaie de faire pas trop de bruit. Les réalisatrices nous avaient dit : « on vous laisse le temps que vous voulez, vous improvisez ce que vous voulez. Montrez-nous comment vous étiez votre colocation tous les deux Vous devez juste savoir que vous devez faire le moins de bruit possible. » Rien n’était écrit ; on a improvisé dans la cuisine — il me versait du lait sur la tête, on se jetait des trucst À un moment, on savait qu’on devait faire un bruit de trop, que Vincent arrivait et qu’on devait se calmer.
D’un coup, il est arrivé dans son rôle de père très énervé parce qu’on l’avait réveillé. Il y avait du lait partout et là, il fait : « non mais c’est chiant ». On est très tendus parce qu’on sait pas s’il joue ou pas, on ne sait pas si c’est le père ou si Vincent est vraiment énervé contre nous parce qu’on va refaire la scène une énième fois. Et là, il explose de rire de rire et nous deux, comme on était tendus les 30 secondes avant, pareil, on libère un truc. Et il y a eu une prise avec un fou rire absolument dément. La scène toute seule marchait bien, mais je pense que ça ne rentrait pas dans la continuité du film.
Pensez-vous que ce film peut avoir une influence sur certaines personnes ?
BV : Je crois un peu. J’espère. Oui, je crois ! J’ai l’impression que là où [les réalisatrices] sont très malines, c’est que ça peut autant influer sur des gens qui ont des enfants, qui voient le truc leur échapper et qui n’arrivent pas à leur dire : « assieds-toi, coupe ça, comment ça va. toi ? » Et au jeune qui va se dire : « Bon, c’est pas vers ça que j’aurai les réponses. Même si ça promet beaucoup de choses qui brillent, peut-être que derrière il y a tellement de choses acerbes et sombres que je vais quand même m’intéresser un peu au verso de la pièce. »

Jouer avec le feu de Delphine & Muriel Coulin (Fr., 1h58) avec Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon, Maëlle Poésy, Arnaud Rebotini, Béatrice Pérez, Édouard Sulpice, Sophie Guillemin…