Des extra-terrestres à tentacules hostiles voyageant dans le temps, une séparation heureuse et deux femmes de taulards se rencontrent sur les écrans cette semaine. Entre autres…
Alienoid – L’Affrontement de Choi Dong-hoon
Enfin la suite ! Cinq mois après la sortie en salle d’Alienoid – Les Protecteurs du futur, cette seconde partie boucle la fresque coréenne XXL mêlant fantastique et action. Les deux volets d’Alienoid cumulent en effet plus de 4 heures sans temps mort — une gageure, le temps étant l’un des carburants narratifs — en se déployant entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine, là où les protagonistes se livrent à leurs chassés-croisés.
Le premier opus s’achevait au moment où le chef des envahisseurs extra-terrestres, s’apprêtant à libérer dans l’atmosphère la haava — un composant toxique pour les humains —, était expédié dans le passé par le Gardien. Quand débute L’Affrontement, l’Alien criminel a vaincu son adversaire mais il est piégé et blessé au Moyen Âge ; il lui faut donc s’emparer de l’arme du Gardien pour accomplir ses funestes plans. Ses desseins seront contrecarrés par des mages experts en sorts ainsi que par Ean, fille adoptive du Gardien, qui elle aussi a fait le saut dans le passé. En parallèle, dans le Séoul de 2022, une policière se prépare à contribuer à l’inéluctable combat devant se produire entre aliens et humains…
Sauvés !
Oubliez toute suspicion de rallongement de sauce face à cette seconde partie : il s’agit d’un complément en bonne et due forme du premier volet qui, non seulement apporte sa conclusion à l’histoire mais — bonheur des récits construits autour de paradoxes temporels — se paie le luxe d’offrir un autre regard sur quelques morceaux de bravoure du film précédent sans redondance. En témoigne la fameuse séquence de l’hôpital ou celle de la contamination de Séoul. L’Affrontement fait par ailleurs éclore des graines semées précédemment puisque des personnages très secondaires dans Les Protecteurs du futur se trouvent investis ici d’un rôle plus important. On se souvient que dans sa géniale Trilogie (Un couple épatant/Cavale/Après la vie, 2003) Lucas Belvaux avait procédé d’une manière comparable. Et il fallait avoir vu l’ensemble pour posséder la compréhension à 360° des événements.
Sans dilater l’intrigue, Choi Dong-hoon permet d’assimiler des enjeux complexifiés par les paradoxes et soubresauts temporels, ainsi qu’au spectaculaire de prendre sa pleine place : les combats demeurent impressionnants, malgré la tentation de tourner certaines confrontations en farce avec les personnages semi-grotesques des mages et ceux des serviteurs “Patte gauche“ et “Patte droite“. On relativise toutefois car ils répondent à des archétypes de faire-valoir tels que l’on peut les rencontrer dans les contes traditionnels.
Jouant avec les époques, ce captivant diptyque où des extras-terrestres tentent de prendre le contrôle de citoyens lambda en les parasitant, puis de répandre leur méphitique atmosphère (orange) sur le pays entier, renvoie aussi de manière métaphorique à une réalité géopolitique très concrète : les relations tendues avec le voisin au-delà du 38e parallèle. Outre la crainte de la propagation d’un agent (numérique, nucléaire, biologique) paralysant la société, Alienoid matérialise celle d’une attaque fomentée par un ennemi infiltré comme pendant la Guerre Froide aux États-Unis avec Les Envahisseurs, V ou Invasion Los Angeles. Transfigurée en fable, la peur n’est pas oubliée mais apprivoisée. C’est déjà ça.
Alienoid – L’Affrontement de Choi Dong-hoon (Co. du Su.,. 2h02) avec Ryu Jun-yeol, Tae-ri Kim, Woo-bin Kim… En salle le 28 août 2024
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Septembre sans attendre de Jonás Trueba
Plaisant sous-genre du cinéma hollywoodien datant de l’Âge d’or des studios et découlant du vaudeville, la comédie de remariage a fortement imprimé l’inconscient collectif. Rien que de très logique dans la mesure où son concept suit l’idée gentiment normative du couple voué à s’unir pour la vie, nonobstant la possibilité d’un accident de parcours mutuel (voir le diptyque de Yves Robert Un éléphant ça trompe énormément/Nous irons tous au paradis). On eût pu croire que la libération des mœurs mettrait un terme à ce registre ou l’aurait versé dans une amusante désuétude ; presque un siècle plus tard, le retour des conservatisme moraux le rend parfaitement contemporain comme le montre indirectement ce film de Jonás Trueba.
Celui-ci suit Ale et Alex — une réalisatrice, un comédien — unis depuis une dizaine d’années, ayant résolu de se séparer alors qu’ils sont toujours en excellents termes. Pour célébrer leur rupture, ils organisent une fiesta à laquelle ils tente de convier leurs proches. Mais les réactions de leurs amis, entre incrédulité ou hostilité, les amène non pas à douter mais s’interroger davantage sur le couple et leur propre histoire…
Acta est fabula
Dans l’ultime film de Bernard Rapp Un petit jeu sans conséquence (2004, adapté de la pièce de Jean Dell et Gérald Sibleyras), un couple annonçait une séparation bidon à ses amis, histoire d’observer les réactions et finissait par récolter les fruits amers de son canular. Septembre sans attendre en est donc le pendant sérieux, entre chronique et dramédie allenienne — l’histoire pourrait se transposer sans peine dans le milieu arty de Greenwich Village — avec parfois des accents de faux documentaire. Fernando Trueba, interprète du père un brin soixante-huitard prêtant sa maison pour accueillir la fameuse fête de rupture, fait figure de porte-parole générationnel par son attitude et ses répliques décomplexées.
À noter que cette histoire de prise de distance mal comprise par l’entourage (et rendue difficile par le fait que les deux futurs ex- non seulement partagent le même appartement) mais travaillent ensemble, est aussi un récit rempli de distanciation par rapport au monde cinématographique : le film jouant avec lui-même, la confusion naît parfois entre les séquences présente la vie d’Ale et Alex à la ville ou au sein du film qu’ils sont en train d’achever. Ironiquement, le cinéma ne veut pas non plus dissocier ces deux partenaires si féconds à la scène… notamment devant la caméra de Trueba. À quoi bon lutter ?
Septembre sans attendre (Volvéreis) de Jonás Trueba (Esp.-Fr., 1h54) avec Itsaso Arana, Vito Sanz… En salle le 28 août 2024
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La Prisonnière de Bordeaux de Patricia Mazuy
Au parloir de la prison bordelaise où son chauffard de mari est incarcéré, la très bourgeoise (et très seule) Alma remarque Mina, son exacte opposée venue de la banlieue de Carcassonne visiter Nasser, son époux braqueur. Très vite, Alma propose de l’héberger ainsi que ses enfants dans sa vaste demeure, de lui trouver un travail… Ce brusque déménagement éveille la suspicion de Yacine, le complice de Nasser : Mina saurait-elle où le magot du casse est planqué ?
Bien qu’innocentes des crimes commis par leurs hommes, Mina et Alma sont elles aussi des “prisonnières collatérales“ puisqu’elles partagent hors les murs de la centrale une autre forme d’isolement — cela, quelle que soit leur situation respective. Malgré les moyens matériels dont elle dispose, Alma vit en effet recluse dans sa cage dorée. La théâtralisation qu’elle déploie lors des échanges sociaux (notamment face à Mina) vise à masquer le vide de son existence. À la manière d’une vampire, elle reprend des forces au contact de son hôte, de ses enfants, en jouant de l’autorité que lui confèrent son âge et sa position.
Bourge de là
Cet ascendant d’Alma sur Mina, conséquence du déséquilibre socio-économique entre les deux femmes, se retrouve également dans les moindres interactions du quotidien. Grâce à son entregent, la première permet à la seconde de trouver un travail aisément ; elle s’autorise aussi à jouir du luxe d’être crue sur sa bonne mine (et sa bonne mise) lorsqu’elle ment effrontément — privilège refusé à Mina. L’assurance et la respectabilité apparentes l’emportent sur la vulnérabilité populaire : parfaite illustration de la maxime “on ne prête qu’aux riches”.
Les comédiennes n’ont guère besoin de forcer leur naturel pour incarner chacune leur personnage : Isabelle Huppert (future Prix Lumière) est ainsi idoine dans cet emploi dont on subodore une part d’ambiguïtés, entre bienveillance sincère et manipulation prédatrice. S’il est toutefois permis de formuler un regret : les instants de tension psychologique ne sont pas aussi intenses que ceux échafaudés par la cinéaste dans son précédent film noir, le sépulcral Bowling Saturne (2022). Cela n’empêche pas de rester captif.
La Prisonnière de Bordeaux de Patricia Mazuy (Fr., 1h48) avec Hafsia Herzi, Isabelle Huppert, Noor Elsari… En salle le 28 août 2024.