Prix du Festival des Montreurs d’Images aux Rencontres du Sud, une histoire d’emprise et de jalousie est à l’affiche cette semaine sur les écrans. Entre autres…
Désireuse de fuir la vie oppressante de la ville, Natalia a choisi de s’installer dans un petit village espagnol isolé où elle pense exercer plus sereinement son activité de traductrice, en économisant sur ses modestes ressources. Hélas, son propriétaire lui a loué une bicoque pourrie et les habitants des alentours ont des comportements plutôt malaisants. Notamment Andreas, un cultivateur de légumes qui va lui faire une bien étrange proposition : si elle accepte de coucher avec lui une fois, il réparera son toit…
Apparue, puis reconnue grâce des films consacrant à ses personnages féminins principaux des portraits intimes, sensibles et souvent douloureux (Des choses que je ne t’ai jamais dites, Ma vie sans moi, The Secret Life of Words…), Isabel Coixet ne déroge pas ici à ses habitudes. Un Amor a en effet ceci de particulier de s’attacher à Natalia non seulement dans son apprentissage de sa vie de néo-rurale “en milieu hostile (et patriarcal)” mais surtout dans la description clinique de sa liaison avec Andreas.
Engagée sur des bases sordides — où le corps féminin devient un objet de troc, marchandisé au même titre qu’une cagette de légumes ou un service banal — la relation prend un tour inattendu : la jeune femme développant une addiction physique et psychologique pour l’imposant maraîcher. Une relation biaisée, fatalement asymétrique puisque amorcée alors de Natalia se trouve en situation de faiblesse, isolée et dépendante. Syndrome de Stockholm, romance à la Belle et la Bête ? Comme dans le conte de Mme Leprince de Beaumont, Andreas cache sous sa rusticité apparente une personnalité plus complexe et cultivée… mais il n’octroie pas à sa partenaire les même égards sur le long terme.

Seule contre tous
Si le colosse taiseux n’a rien d’un enfant de chœur, que dire des autres villageois dont le comportement vis-à-vis de Maria s’avère plus sournoisement insidieux ? En particulier de son voisin immédiat Piter, esthète raffiné bien sous tous tous rapports… mais qui prend très mal qu’elle l’ait éconduit. Son attitude hypocrite et revancharde, sa propension à exclure ou à entretenir une stratification féodale dans le hameau (où lui-même se situe bien évidemment dans l’élite) font de ce manipulateur un personnage beaucoup plus pernicieux qu’Andreas dans la mesure où il va saboter toute la vie sociale de Natalia.
Au reste Isabel Coixet n’est pas spécialement tendre avec Natalia qui va cacher sa liaison avec Andreas-le-manuel au reste de la communauté car elle pressent qu’elle risque de “déchoir” de sa position d’étrangère sur le point d’être cooptée par l’aristocratie locale. Il y a du péché d’orgueil dans son attitude puisqu’elle semble voir aussi cette passion clandestine comme honteuse, indigne de son rang d’intellectuelle.
Histoire d’une greffe impossible, Un Amor ne cesse au fil de son récit de démentir son titre tant il y a de méfiances, de trahisons, de coups bas, d’envie, de déceptions, de jalousie et de souffrances. Perdue au milieu de ce monceau de sentiments négatifs, l’aventure amoureuse apparaît d’autant plus ténue et brève. On comprend d’autant mieux la longue séquence finale, entre le cérémonial et l’exutoire, montrant Natalia enfin affranchie de l’emprise invisible de ce village maléfique. Jadis révélée par le long métrage en plan-séquence 🔗Victoria (2015) de Sebastian Schipper, Laia Costa resurgit ici pour partager l’affiche avec l’ancien boxeur Hovik Keuchkerian. Avec sa carrure à la Denis Ménochet, on n’est pas loin de croire qu’il est la découverte de ce film.

Un Amor de Isabel Coixet (Esp., avec avert. 2h09) avec Laia Costa, Hovik Keuchkerian, Luis Bermejo… En salle le 9 octobre 2024.