Une fable métaphorique à base de fusion et la fission d’un noyau familial se percutent dans les salles cette semaine… Entre autres
Else de Thibault Emin
Un monde semblable au nôtre. Anx travaille à domicile comme graphiste, dans une autarcie et un confort matériel certains. Une étrange épidémie se déclenche dont les symptômes conduisent à la fusion des êtres avec les objets et l’environnement extérieur, comme s’ils se statufiaient vivant. Les autorités déclarent donc un confinement qui ne devrait pas trop changer Anx… sauf que Cass vient de s’inviter chez lui. C’est donc en couple qu’il doivent affronter le risque épidémique. Ce qui diminue leurs chances au lieu de les augmenter…

Empreint d’audace et de fragilité (comme il sied souvent à un premier long métrage doté d’un budget serré), Else est un petit conte apocalyptique d’appartement — huis clos oblige — dont les résonances sont évidentes : le souvenir de la pandémie demeure vivace dans les esprits. Mais ce n’est pas tant sur ce versant symbolique qu’on s’attachera car la métaphore de la métamorphose corporelle, décidément très prisée en nos temps attirés par leurre du transhumanisme (cf 🔗The Substance) est ici un brin filandreuse — 🔗Thibault Emin semble en effet voir l’unification fusionnelle du vivant avec l’inanimé comme une chance. Else présente davantage d’intérêt dans la forme que dans son fond.
Maison témoin
Thibault Emin questionne avec avidité la forme cinématographique ; s’en empare, l’ausculte, l’expérimente et la malaxe comme un plasticien. Cet intérêt pour toutes possibilités offertes par l’image et le son devenant rare, il convient de lui en savoir gré : depuis Un chien andalou, puis Eraserhead, on sait que le sentiment du bizarre peut survenir autant de l’histoire que du traitement audio-visuel prodigué au récit. Le cinéaste s’en donne donc ici à cœur joie saturant, désaturant le teintes ; cherchant à créer une expérience sensorielle au-delà la sphère oculo-auriculaire. L’intention est louable, mais le format du long est-il adapté quand un court ou un moyen métrage bien dense aurait produit un résultat sans doute plus marquant ? Là réside l’un des paradoxes de l’économie du cinéma émergent qui, parfois, doit arbitrer entre meilleure visibilité et satisfaction artistique. Mais relativisons : c’est mieux que d’avoir à choisir entre la peste ou le choléra…

Else de Thibault Emin (Fr., 1h42) avec Matthieu Sampeur, Edith Proust, Lika Minamoto… En salle le 28 mai 2025.
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Hot Milk de Rebecca Lenkiewicz
Sofia a accepté d’accompagner en Espagne sa mère Rose : celle-ci a cassé sa tirelire afin de suivre la thérapie du Dr Gómez, dans l’espoir de retrouver l’usage de ses jambes. Pendant que Rose résiste à la possibilité de guérir en se libérant de son passé, Sofia s’émancipe de cette mère revêche et étouffante au contact d’Ingrid, une amazone rencontrée sur la plage. Cette relation estivale donnera à Sofia la force d’affronter ses propres démons, à commencer par Rose…

Adaptation d’une autrice de renom par une scénariste à succès, signant ici sa première réalisation et réunissant une distribution de qualité… Hot Milk a tout du all-star-game. Ajoutons que le sujet coche plein de cases en phase avec les préoccupations de l’époque : un regard féminin sur des questions féminines, des représentations queer à l’écran, les problématiques du patriarcat et de sa reproduction à travers les génération, du grand âge et la dépendance etc. Un film-dossiers (au pluriel), si l’on était réducteur.
Mais, et c’est bien connu, on ne fait pas de (bon) cinéma ni avec de bons sentiments ni avec des intentions — pas plus qu’avec des messages politiques ou philosophiques uniquement. Hot Milk s’avère inconfortable à regarder. Non parce qu’il se révèle insidieusement trouble, plutôt parce que tout est sujet à désagrément. Déjà, le voyage des deux Britanniques n’a rien d’une escapade pour les plaisir ; le bruit continuel des chiens parasite leur séjour ; la distance qu’elle doivent parcourir pour accéder à la clinique ; les coupures de courant qu’elles subissent ; les méduses qui attaquent Sofia lorsqu’elle se baigne…
Vain de soleil
Ajoutons que la relation Sofia/Ingrid est aussi bancale que celle entre Sofia et sa mère (ou son père) ; que la thérapie est avortée et que les personnages se mentent (par omission) en permanence… quand ils n’expriment pas de la jalousie, de la rancœur ou de la cruauté domestique les uns par rapport aux autres. Bref, rien ne va jusqu’à la fin, particulièrement déconcertante et frustrante, gâchée par sa brutalité alors qu’elle devrait être un point d’orgue dramatique.
Alors que l’on pourrait (devrait) être dans un cadre favorable à la résilience, cette tension lancinante contamine un film qui en devient non-aimable. Toutes choses égales par ailleurs, on a l’impression d’échanger avec une personne passive-agressive : l’énonciation semble neutre mais l’accumulation de signaux déplaisants émis par l’interlocuteur finit par être plombant. Loin de renvoyer à une boisson d’enfance régressive ou un philtre souterrainement sensuel, le “lait chaud” du titre évoque plutôt la casserole en train de bouillir, annonçant l’imminence d’un débordement furieux !
Abritant un secret digne du Spellbound d’Hitchcock (mais ici aussi mal exploité que son potentiel érotique), il manque à ce film un soupçon de venin qu’un François Ozon aurait sans doute su instiller.

Hot Milk de Rebecca Lenkiewicz (G.-B., 1h32) avec Emma Mackey, Vicky Krieps, Fiona Shaw, Vincent Perez… En salle le 28 mai 2025.