Une écrivaine poursuivie par le fantôme de son défunt mari ainsi que deux couples passant à table sont à l’affiche cette semaine. Entre autres…
Sidonie au Japon de Élise Girard
Après moult valses-hésitations, Sidonie a embarqué pour le Japon où Kenzo Mizoguchi, son éditeur local, lui a concocté une tournée promotionnelle à l’occasion de la réédition de son plus grand succès. Déjà chamboulé par ses réticences et sa méconnaissance des usages nippons, le voyage est perturbé par les surgissements inopinés du fantôme d’Antoine, son époux décédé. Et s’il fallait l’interpréter comme une bonne nouvelle ?
Totalement dédié à la promotion du cinéma japonais d’art et d’essai en France et fervent soutien de Ryusuke Hamaguchi (Senses), Koji Fukada (Love Life), Kiyoshi Kurosawa (Les Amants sacrifiés) ou récemment Kei Ishikawa avec le remarquable A Man, le distributeur Art House Films signe ici une première en sortant sous sa bannière un long métrage d’une cinéaste française. Il ne s’agit pas d’une inflexion absurde puisque du titre — dont la simplicité aux allures de littérature enfantine dissimule une épure vertigineuse rappelant la philosophique asiatique — jusqu’au cœur de son film, Élise Girard revendique l’immersion, l’imprégnation culturelle de son héroïne à l’occasion d’un récit initiatique.
Terre d’observation, de contemplation, de fascination, l’archipel japonais exerce davantage qu’une attraction sur certains cinéastes occidentaux. Au point qu’ils en font le décor d’épiphanies — comme si son insularité et son éternité favorisaient la matérialisation d’idées ou de situations incapables de survenir dans leur environnement ordinaire. À l’instar de Wenders (à plusieurs reprises), de Sofia Coppola ou de Gaspar Noé, la cinéaste donne ici l’impression que son histoire est voyagée par le Japon. Pas uniquement parce qu’il s’agit d’un road movie, mais que que chaque fibre du récit est consubstantiellement liée au pays hôte — sans qu’il ne soit question d’un quelconque folklorisme touristique, ces abominables clichés sur les traditions.
Sidonie a plus d’un tourment
Réflexion “à fragmentation“ sur le temps — sur l’acceptation de l’éphémère, l’apprivoisement de l’absence physique des êtres, la confiance dans le passé et le futur… — Sidonie au Japon est un film de consolation déguisé en demi-comédie de fantôme. Les apparitions d’Antoine sont en effet plus saugrenues que rattachées au registre de l’épouvante, et les interlocuteurs de Sidonie font tout pour les normaliser étant donné qu’elles n’ont rien d’atypique au Japon. De fait, Élise Girard ne recourt pas à une machinerie numérique sophistiquée pour faire figurer le fantôme dans l’image : des trucages optiques et des lumières judicieusement placées suffisent à suggérer l’a-normalité de sa présence sans ombre. Présence qui rappelle d’ailleurs davantage celle des anges-gardiens des Ailes du désir, visibles par les seuls enfants.
Loin d’être un spectre tourmenteur, Antoine survient pour raccommoder l’âme de Sidonie. C’est donc en s’éloignant au bout du monde que l’écrivaine retrouve paradoxalement le chemin de la proximité sentimentale… mais aussi d’une inspiration qui l’avait désertée depuis la mort de son compagnon, en s’affranchissant peu à peu de liens invisibles la maintenant dans un “état“ et son statut vitrifié d’autrice réduite à la réédition de son grand roman. Le fait qu’Isabelle Huppert incarne ce personnage et se “délocalise” au Japon (ce qu’elle fait déjà en Corée pour Hong Sang-soo) accentue le décalage : la comédienne semble elle aussi plus libre de vivre, de rire… À croire qu’il y a une alchimie propre au pays hôte.
Sidonie au Japon de Élise Girard (Fr,-All.-Jap.-Sui. 1h35) avec Isabelle Huppert, Tsuyoshi Ihara, August Diehl… en salle le 3 avril 2024.
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Et plus si affinités de Olivier Ducray & Wilfried Méance
Rentrant de sa promenade avec le chien, le ronchon Xavier découvre que son épouse Sophie a invité pour dîner le jeune couple de voisins dont les ébats (très) bruyants perturbent leurs nuits. Si Sophie tient à passer une soirée détendue, Xavier brûle de faire allusion aux vocalises orgasmiques des tourtereaux. Au fil des heures et des verres, les vérités vont sortir et les personnalités se révéler…
Après l’inexplicable Grand Prix 2023 (38°5 Quai des Orfèvres, pastiche hors d’âge sanctionné par une notable unanimité critique et publique), le Festival de l’Alpe d’Huez semble avoir repositionné ses exigences avec un palmarès clairement concentré sur des valeurs sûres de la comédie hexagonale. Outre la récompense suprême attribuée à Nous les Leroy de Florent Bernard (on y reviendra la semaine prochaine), Et plus si affinités s’est imposé comme le vainqueur incontesté de l’édition 2024. Quatre prix pour ce qui ressemble à un vaudeville… mais sans réellement de portes qui claquent ni consommation d’adultère à l’écran. L’époque serait-elle au triomphe de la morale bourgeoise ? Pas si sûr, car l’issue peut pas comprend comme un happy end.
Vieux amants
Adaptation d’une comédie espagnole elle-même tirée d’une pièce de théâtre, Et plus si affinités a moins conservé de ses origines son caractère hispanique qu’une irréfragable théâtralité : l’unité de lieu, de décor et d’action en est évidemment la cause — mais des films tels que Sleuth (1972) ou Carnage (2011) ont su tirer profit de cette contrainte pour exercer sur leurs personnages un effet “cocotte-minute”. Les actes sont de surcroît clairement marqués par de courts plans de transition sur la ville à différentes heures de la nuit ou du petit jour — mais Resnais avait quant à lui usé d’un volet tombant aux allures de rideau dans Mélo (1986). Bref, théâtralité ne signifie par statique et la réalisation se charge d’accompagner le dynamique du dialogue, portée par les comédiens.
Sans renouveler le genre, Olivier Ducray & Wilfried Méance montrent leur savoir-faire et font preuve d’intuitions judicieuses, dès la distribution. En appariant Isabelle Carré et Bernard Campan, ils convoquent dans l’esprit du spectateur le “vieux couple” que les deux interprètes constituent à l’écran et à la scène depuis un quart de siècle. Un mixte de véracité et de crédibilité exonérant le scénario de bien des justifications superflues — sans doute la meilleure idée. Julia Faure et Pablo Pauly ne déméritent pas ; il ne peuvent toutefois rivaliser face à la routine inconsciente déployée par les deux complices de Se souvenir des belles choses et de La Dégustation.
Voilà pourquoi le dernier plan — que l’on ne révélera évidemment pas ici — peut apparaître comme plus “dramatique“ car il fait résonner l’histoire de Et plus si affinités avec celles de leurs personnages précédents. La farce n’est pas si grivoise ni tant salace que cela, et la mise à nu plus intérieure que l’affiche ne le laisse supposer.
Et plus si affinités de Olivier Ducray & Wilfried Méance (Fr., 1h17) avec Isabelle Carré, Bernard Campan, Julia Faure, Pablo Pauly… en salle le 3 avril 2024.